...Et voici ce qui sera l’album le plus saisissant de cette année – voire un peu plus.
Pourtant, rien ne le laissait envisager. Jusqu’à
Sinner Get Ready, Kristin Hayter était pour moi un synonyme de rendez-vous maintes fois manqués, au travers d’albums solo qui ne me touchaient pas autant que je l’espérais. En effet,
All Bitches Die et
Caligula m’avaient laissé mitigé, la sincérité habitant ces œuvres ne suffisant pas à m’emporter dans une musique que je trouvais alors trop convenue dans ses influences metal et industrielles, bien trop lisse pour me partager les douleurs dont Lingua Ignota se veut la catharsis. Seules restaient en tête, comme des invitations à ne pas la laisser de côté, une prestation live hypnotisante donnée à Montpellier quelques temps avant la pandémie, brute avec ce que cela sous-entend de perte de contrôle et d’émotions, ainsi que son implication dans le projet
Sightless Pit où sa performance, marquante car toute en retenue et loin des clichés habituels, m’avait convaincu. Quelque chose semblait alors germer en elle, délaissant les conventions pour laisser poindre une nouvelle forme de son art personnel.
Une sensation qui explose sur
Sinner Get Ready, prouvant que la dame a bien décidé de faire cavalière seule. Certainement, on pourra citer des équivalents, Diamanda Galás, Jarboe même dans la terreur que peut créer Kristin Hayter chez quiconque l’entend. Mais cela ne sera que des indications au sujet de ce disque qui, sans pourtant le surligner autant que ses prédécesseurs, montre une vision originale dans ses thématiques et leurs interprétations. Une œuvre empreinte de la terre qui l’a vu naître, la Pennsylvanie, cette région des États-Unis pétrie de religiosité, meurtrie par des désastres perpétrés par la main de l’homme, à l’image de la ville-fantôme de Centralia et ses perpétuels incendies (auxquels est ici rendu un hommage).
Une terre qui semble être pareille à cette femme autrefois maltraitée et abusée, prenant des airs de croyante appelant une vengeance sans retour (« I Who Bend the Tall Grasses »). Exit les déflagrations noise de
Caligula,
Sinner Get Ready susurre, caresse mais ne maquille pas pour autant les blessures que Kristin Hayter a toujours exposé dans ses créations, sa musique comme métaphore de sa propre douleur. Seulement, là où ses prédécesseurs affichaient des plaies béantes sans aucun espoir de les voir guérir, ce nouveau longue-durée va plus loin qu’une démonstration nous laissant comme un sale goût de voyeurisme. Le traumatisme est toujours là, plus que jamais présent dans cette voix qui s’élève et se laisse aller à, nouveauté qui fait la différence, une maladresse contrôlée, étranglement des notes, incertitude des montées, errance des variations. Mais un dépassement semble se dessiner, une forme de paix qui combat le tumulte par la quiétude, lors de titres solennels, solaires dans leur mélancolie (« The Order of Spiritual Virgins »), leur proclamation (« Repent Now Confess Now » ; « Man Is Like a Spring Flower »), leur béatitude (« The Sacred Linament of Judgement » ; « The Solitary Brethren of Ephrata ») ou leur tranquillité (« Pennsylvania Furnace » ; « Perpetual Flame of Centralia »).
Un exercice de purification, contrit et contraint, où le mal ressenti, toujours appuyé (« I Who Bend the Tall Grasses » comme lame de fond, noyant l’ensemble de sa souffrance), cherche à se surmonter, en quête d’une félicité frôlant la folie. Il y a ces samples peignant une Amérique fervente jusqu’à l’abrutissement, une peinture dénuée de jugement et encore plus poignante en raison de cela. Il y a ces orchestrations généreuses, boisées et dorées, banjo, cuivres, dulcimer, piano, violoncelles, comme une irréalité qu’elle cherche à atteindre. Il y a, enfin, « elle », qui s’enlève et s’élève, console et cajole, non pas pour l’auditeur mais pour elle-même, dans une distance qui l’éloigne de ce monde d’horreurs et la laisse inventer son havre personnel, gagné au prix de son sang, d’un déclin du corps, dans une majesté qui s’exprime comme un murmure.
Cela ne fait pas de
Sinner Get Ready un disque se voulant parfait. Il assume même ses imperfections, ses moments de creux ou ses hésitations (palpables sur « Many Hands » par exemple), comme autant d’instants choisis. Mais cela fait de lui un album d’une force et d’une profondeur rares laissant hébété, avec le sentiment d’avoir assisté à la naissance d’une grande artiste et – plus beau encore – la renaissance d’une femme.
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