Avouez qu’elle a de la gueule cette pochette. Entre un Eddie au rabais avec une tignasse à faire pâlir Molière et ce logo dessiné à main levée par un gamin de douze ans, il y a là tout le charme des années 80/90 concentré sur un petit livret en papier. Pourquoi diable est-ce que Power Play Records a souhaité en changer lorsqu’il réédita l’album en 2008 ? Non, vraiment je ne comprends pas... Heureusement, Century Media n’a pas fait la même erreur et pour cela je leur en suis reconnaissant. Une autre chose pour laquelle on peut les féliciter, c’est bien la qualité de cette réédition qui, pour la version CD, se montre particulièrement fournie. Mais avant d’entrer dans les détails, un petit peu d’histoire...
Originaire du Wisconsin, Morbid Saint est un groupe de Thrash dont les premiers balbutiements remontent à 1982. Ce n’est pourtant qu’en 1988 qu’il sortira sa toute première démo intitulée
Lock Up Your Children. Deux ans plus tard, après la signature d’un deal avec le label mexicain Avanzada Metálica, les Américains décident de réenregistrer les huit morceaux de cette démo et de les sortir sur un album intitulé
Spectrum Of Death. Produit par Eric Greif (producteur de groupes tels que Death, Invocator, Morta Skuld, Num Skull..., président des sociétés Perseverance Holdings Ltd. et Mutilation Music qui gèrent l’ensemble des aspects liés à la propriété intellectuelle de Chuck Schuldiner et avocat de groupes et de labels tels qu’Autopsy et Season Of Mist), celui-ci rencontre très vite un certain succès parmi les amateurs de Thrash. Galvanisé par cet intérêt soudain pour sa musique, Morbid Saint se penche alors rapidement sur la composition d’un nouvel album. En 1992 le groupe sort une démo intitulée
Destruction System sur laquelle figure, à la manière de
Spectrum Of Death, les quelques titres devant constituer l’intégralité de son prochain album. Malheureusement, Morbid Saint mettra fin prématurément à sa carrière, emportant avec lui ce deuxième essai longtemps resté inédit. En effet, il faudra attendre 2015 pour voir éditer "officiellement" et de manière individuelle ce
Destruction System via le label Weird Face Productions.
Comme je le disais un peu plus haut, cette réédition de
Spectrum Of Death (à l’exception de la version vinyle) se veut particulièrement fournie car en plus de ce premier album auquel est venu se greffer la démo
The Black Tape (sortie à l’époque à seulement cinquante exemplaires), on trouve également sur un deuxième CD l’intégralité de l’album
Destruction System (dans sa version rough mix) ainsi que quatre titres enregistrés entre 2010 et 2011 suite à la reformation de Morbid Saint. En plus de ces vingt-six morceaux, vous y trouverez également un copieux livret de trente-deux pages dans lequel figure une interview particulièrement complète de Morbid Saint ainsi que de nombreuses photos d’époque et autres flyers en tout genre. Bref, un must-have pour tout amateur de Thrash digne de ce nom.
Car si dès la fin des années 80 le Thrash va voir sa côte de popularité chuter au profit d’un Death Metal souvent beaucoup plus violent, cela ne va pas empêcher un bon nombre de groupes de sortir quelques albums particulièrement marquants.
Spectrum Of Death est clairement de ceux-là et autant vous le dire tout de suite, cette réédition (la première digne de ce nom) était naturellement très attendue. Avec seulement trente-deux minutes au compteur, il est de ces albums qui se concentrent sur l’essentiel, sans détours, sans artifices, sans prises de tête... Un Thrash acide et particulièrement abrasif dont l’agressivité exacerbée le place parmi les albums les plus vindicatifs du genre. Il faut dire que la voix arrachée et bestiale de Patrick J. Lind tranche de manière particulièrement significative avec ces voix souvent plus aigües que l’on a l’habitude d’entendre dans le Thrash.
Un parti pris radical qui se marie évidemment très bien avec ce rythme soutenu (et varié) imposé tout au long de l’album (exception faite de l’instrumentale "Spectrum Of Death"). Pas ou peu de mid-tempo ici mais un Thrash virulent aux rythmes enlevés qui ne lève le pied qu’en de très rares occasions ("Lock Up Your Children" à 1:25, "Burned At The Stake" à 1:13, "Damien" à 1:13, "Beyond The Gates Of Hell" à 1:20...) afin d’apporter un soupçon de groove dans ce chaos un brin foutraque. Sans être exceptionnels, les riffs dispensés par le duo Jim Fergades et Jay Visser font largement le boulot. Certes, les deux hommes n’ont rien inventés et on ne se souviendra pas d’eux comme des plus grands guitaristes que le Thrash ait connu, néanmoins cela n’enlève rien à la qualité des compositions et au fait que chacune d’entre elle recèle de très bons moments capables de vous arracher les cervicales à force de headbanging ("Lock Up Your Children" à 0:17, "Assassin" à 1:58 suivi de ces quelques cavalcades, "Crying For Death" et cette introduction mouvementée). Qui plus est, les nombreux soli dispensés ici et là qui concourent eux aussi à cette atmosphère électrique et survoltée sont bien loin de faire pâle figure face à la concurrence de l’époque.
En dépit d’un riffing assez classique, ce qui fait surtout la force et l’intérêt de Morbid Saint c’est donc la nature primitive, bestiale et chaotique de son Thrash. D’ailleurs, la frontière est ici plutôt ténue entre Thrash et Black/Thrash tant la musique de Morbid Saint partage nombre de points communs avec ce genre souvent plus sale et primitif que le Thrash en général. A l’écoute de
Spectrum Of Death on est ainsi très vite malmené par ce rythme soutenu et particulièrement épuisant, cette voix revancharde et ultra agressive, ces riffs et ces soli un poil chaotiques mais aussi par cette production un peu bancale (cette grosse caisse qui flotte plus qu’elle ne frappe). Bref, tout ce qui fait le charme, voire plus (cette voix, encore et toujours), d’un album de Thrash sorti à la fin des années 80/début des années 90.
En guise de bonus à ce premier album, on trouve les quatre titres de la démo
The Black Tape. Sortie en 1992 à environ cinquante exemplaires, celle-ci présente quatre nouveaux morceaux qui figureront un peu plus tard au tracklisting de l’album
Destruction System. On note évidemment quelques petites différences en comparaison des versions définitives mais au final rien de bien significatif. Il n’y a que la qualité de la production pour venir jouer en faveur de l’album tant l’essentiel était déjà là. Ainsi, on préférera naturellement se pencher sur celui-ci plutôt que sur cette démo même si cette dernière permet de constater que certaines choses ont été abandonnées ou modifiées entre temps dans un souci probable d’efficacité.
Sur le second CD qui accompagne cette réédition on trouve donc l’intégralité du deuxième album de Morbid Saint. Un disque qui ne verra le jour de manière officielle qu’à partir de 2012 avec la compilation
Thrashaholic éditée par le groupe lui-même. S’il s’agit vraisemblablement d’une version "rough mix", on peut tout de même dire que la qualité de la production est bien supérieure à celle de son prédécesseur. Bien plus compacte et moderne (et assez proche dans l’esprit de celle de l’excellent
Violent Restitution de Razor), elle confère au Thrash des Américains un impact supplémentaire que
Spectrum Of Death n’a pas. A l’inverse, elle tend à gommer complètement l’aspect bancal et primitif qui en faisait aussi le charme. Autre temps, autre mœurs, Morbid Saint à fait le choix d’une production qui était celle de son époque. Aussi, peu importe ce que vous en pensez, c’est probablement celle qui a le moins subit l’épreuve du temps.
Pour ce qui est du contenu, les Américains restent fidèles à eux-mêmes et à ce Thrash vindicatif qui a fait sa renommée. On constate néanmoins que le groupe se plaît désormais à calmer régulièrement le jeu via quelques séquences mid-tempo loin d’être désagréables (quel groove !). En effet, ces passages plus aérés et en même temps plus techniques sont ici suffisamment bien amenés pour ne pas rompre avec le rythme induit par ce genre de Thrash qui, dans son ensemble, reste mené tambour battant. Le groupe a donc indiscutablement gagné en maturité (pas de morceaux en dessous de trois minutes) et cela s’entend également au niveau des riffs qui sont tous bien plus efficaces et aboutis que sur
Spectrum Of Death. La voix de Pat Lind, si elle conserve son agressivité, se fait elle aussi moins arrachée. La différence n’est pas fondamentale mais n’en est pas moins flagrante pour autant. Ainsi,
Destruction System marque une franche progression en comparaison de
Spectrum Of Death dont l’écriture des morceaux date, rappelons-le, d’avant 1988. Finalement, si ces deux albums sont assez différents l’un de l’autre, ils possèdent tous les deux de nombreuses qualités individuelles qui en font des disques de Thrash absolument imparables. Le premier pour son aspect primitif et bestial, le second pour ce côté beaucoup plus incisif et à l’esprit résolument plus Thrash (l’ajout de ces gang vocals quasi systématique en est une preuve).
On conclut cette réédition par quatre nouveaux morceaux enregistrés entre 2010 et 2011 et figurant déjà sur la compilation
Thrashaholic parue en 2012 sous l’égide de Morbid Saint. Malheureusement, on ne peut pas dire que ce soit là un retour gagnant. Sans être mauvais, ces quelques titres se montrent particulièrement quelconques. La faute à un riffing le plus souvent inoffensif qui ne produit pas grand-chose (à l’exception de "Life’s Blood" qui ne s’en sort pas trop mal). En tout cas rien ne poussant l’auditeur à s’extasier. Alors oui, ça cravache toujours très dur derrière les fûts, oui Pat Lind semble également toujours avoir la hargne malgré les années qui passent mais bon, cela ne suffit pas toujours. La preuve par quatre.
Trois pages Word, je pense qu’il est temps de conclure cette chronique avant d’avoir définitivement perdu les quelques courageux qui se seront enfilés tous les paragraphes précédents. Je l’ai déjà dit et je le répète, cette réédition de
Spectrum Of Death constitue un achat absolument essentiel pour tout amateur de Thrash qui se respecte. Si Morbid Saint n’a pas la renommée d’un Slayer, d’un Kreator ou d’un Possessed, le groupe a tout de même produit deux sacrés albums qui méritent bien plus que votre attention. Différents et pourtant complémentaires, ils sont le témoignage d’une époque aujourd’hui révolue où beaucoup de choses restaient encore à faire.
Bien que je sois également ravi de voir proposer l’album
Destruction System en guise de bonus à cette réédition (l’artwork ci-dessus est celui d’Andrei Bouzikov pour la version LP sortie l’année dernière sur Weird Face Productions), il est dommage que cet album fort recommandable ne soit pas disponible sous la forme d’un album à part entière. Mais qui sait, peut-être que ce sera le cas un jour ? En attendant, vous savez quoi faire.
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05/10/2024 15:44
02/09/2020 09:01
25/05/2016 09:55
24/05/2016 15:15