Situs Magus - Le grand oeuvre

Une bonne surprise, ce n'est pas si courant que ça. Je vous avouerai que pour moi, au niveau du Black Metal, de moins en moins de sorties m'enthousiasment. Peut-être parce que l'euphorie liée à la découverte du style s'est quelque peu ternie, peut-être parce que je suis plus exigeant à force de passer à la moulinette écrite ce que j'écoute ou peut-être aussi tout simplement parce que je vieillis.
Mais la vie est ainsi faite qu'il faut savoir tomber sur le bon disque au bon moment. C'est ce que je n'ai pas fait avec ce premier disque de Situs Magus, intitulé « Le grand œuvre ». Non, je ne l'ai pas écouté en boucle, non je n'ai pas été sous transe à son écoute et je n'ai pas non plus juré sur ma tête que ce disque serait le meilleur disque de tout les temps.

Cependant maintenant que j'y réfléchis, je me dis que j'ai acheté cet opus en fin d'année dernière et je constate que nous sommes en juillet et que le bougre tourne toujours régulièrement dans ma chaîne hi-fi... Tel un chewing-gum collé sur une paire de Nike, « Le grand œuvre » s'accroche irrémédiablement à mes oreilles depuis plus de six mois. Certes c'est plutôt un gage de qualité mais ce qui m'ennuie c'est qu'au bout de tout ce temps, je n'arrive pas à définir si je suis absorbé ou repoussé par la masse que forme cet opus. Cinq titres (dont une introduction), un groupe français formé d'inconnus (c'est un peu notre spécialité locale ça, le « formé d'inconnus »... Blut Aus Nord, Deathspell Omega, Daft Punk, Les Inconnus...) à l'artwork résolument tourné vers l'occulte et la magie énochienne, la réflexion du siècle des lumières et l'univers des franc-maçons.

La construction donc, en point d'orgue d'un disque proclamé comme alchimique, scientifique et fort bien bâti. C'est clair et net, le compas, Situs Magus ne l'a pas que sur la pochette, il l'a aussi dans l’œil au vu des structures progressives réglées comme une pendule chocolatière que nous sert le combo. Plus qu'un disque, un tout qui ne s'apprécie que comme tel. Difficile au premier abord de discerner les différents titres du disque, tellement l'album semble compressé, distordu et compact. La production aide d'ailleurs au rendu final, grâce à ces guitares finement concassée et à ces nombreux bruitages servant l'ambiance de messe secrète distillée par nos érudits. Situs Magus a de la gueule et sait lâcher les chevaux au moment opportun, comme sur le final d' «  Œuvre au blanc » mixant allègrement cloches, cris décharnés et riffing ô combien tranchant.

Viser la lune, ça n'leur fait pas peur... Situs Magus se frotte joyeusement aux Deathspell Omega, aux Darkspace et autres Blut Aus Nord en sachant toutefois s'en démarquer par une originalité dans le son et les arrangements. Fascinant, tout en laissant parfois l'auditeur abasourdi par les aspérités telluriques des pierres musicales, « Le grand œuvre » introduit un univers fait de dédales, un peu comme un Nightbringer sait le faire. Se perde tout en restant captivé, c'est un pari fort risqué que les frenchies relèvent haut la main grâce à leur Black Metal intellectuel et théorisé. « Oeuvre au jaune » témoignera du savoir-faire du groupe pour créer des ambiances spécifiques, à base de dissonances plongées dans des distorsions temporelles stupéfiantes. Tantôt brut comme un granit ou splendide comme un marbre poli, la musique est le révélateur d'un monde bancal, oscillant entre historique occulte et imaginaire fantasmé.

N'ajoutons rien et restons dans l'évasif pour parler du « Grand Œuvre ». C'est à vous maintenant, chers lecteurs de révéler ce que cache ce disque. À coup sûr, nous avons ici un moment de musique très particulier qu'il faut écouter, imaginer, interpréter et même... vivre. « Le grand œuvre » est une sortie tout particulière qu'il serait idiot de louper, tellement elle propose quelque chose d'inédit et de fort en terme émotionnel. La magie énochienne ne se contrôle pas, elle se calcule pour obtenir sa pleine puissance et je terminerais donc par une citation de John Dee, en accord avec le groupe :  « Les doctrines mathématiques sont telles qu’elles présentent une nécessaire affinité avec la magie, et ceux qui enseignent cette dernière sans elles sont hors de la voie, œuvrent en vain et n’obtiendront en rien l’effet désiré. »

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