Wu Lyf - Go Tell Fire to the Mountain
Chronique
Wu Lyf Go Tell Fire to the Mountain
« C'est trop hype » se plaisent régulièrement à dire de nombreux amateurs de Metal en parlant du dernier disque de Krallice, Altar of Plagues ou Liturgy. Qu'il s'agisse d'un air dédaigneux ou sympathique, il faut croire que dire « hype » c'est très hype. Soit, puisque nous parlons du sujet, partons vers un groupe qui a presque incarné le terme lors de la sortie de son premier opus : Wu Lyf. Entre articles dans les Inrocks, photos dans les journaux people anglais et affolement de la blogosphère américaine, le quatuor d'adolescents mancuniens aura eu droit à la totale. Au final, presque trois ans après ce qu'on pourrait communément appeler un gros buzz médiatique gonflé par une bonne couche de révolution musicale quasiment prophétique, la question demeure : que vaut vraiment « Go tell fire to the mountain » ?
Il faut dire que le groupe servait des ingrédients qui allaient forcément attirer l'attention. Entre un parti pris artistico-économique tordu ( à l'achat du premier EP ultra-limité, vous receviez un foulard marqué de l'emblème du combo qui faisait office d'accès aux concerts...), un patronyme volontairement provocateur ( World Unite : Lucifer Youth Fundation ), une voix criée-chantée sur tout le disque et un enregistrement cryptique dans les caves d'une église désaffectée, fort est de constater que tout cela sortait un peu du commun. Réelle démarche artistique ou vil plan marketing ? On en sait rien, mis à part que l'album est sorti de manière auto-produite (mais cependant mondiale...) cependant il serait bon de préciser que je m'en cogne au plus haut point. L'important, c'est que la musique soit bonne comme dirait cet enfoiré de Jean-Jacques...
Derrière cette esthétique « Brandissez fourches, allumez torches ! On est tous masqués et ça va chier », Wu Lyf est un quator de mômes à peine sortis de l'adolescence, embonpoint et acnés inclus dans la formule. Ce qui frappe de prime abord, c'est la maturité impressionnante qui ressort de ces gamins de dix-sept ans. La capacité à toucher, à émouvoir tout en ressortant en filigrane la vanité de notre pauvre jeunesse est bel et bien présente. « Such a sad puppy dog » n'hésite pas à taper dans les bonnes vieilles guitares aériennes et dans les rythmiques martiales pour proposer une ambiance désespérée et accentuée par cet orgue tristounet. Le clavier du seigneur donc, un premier point qui démarquera Wu Lyf de ses compatriotes puisqu'il est autant utilisé comme élément mélodique que comme nappe de fond. Une bien belle idée qui permet d'apporter une vision solennelle, mystique et amenant valeur d'hymne aux compositions.
De même, pour de l'indie-rock, la production est tout de même relativement écorchée et taillée dans le vif. Une résonance sur la caisse claire qu'on devine naturelle et des guitares au grain imprécis : voilà la clef du succès des musiciens qui ont bien compris que le son pré-mâché par la grande industrie musicale n'est pas forcément un bon point pour forger la personnalité d'un disque. Si on pourrait au final rapprocher certains passages de groupes comme Foals (« Summas Bliss ») ou encore des pontes du Post-rock, la formation sait calibrer ses parties pour qu'elles sonnent d'une manière différente. Une manière plus désespérée, plus organique qui oublie la fête et l'insouciance pour se concentrer sur une tristesse palpable et ancrée dans la chaire à la manière d'une blessure dont on ne guérit pas. Dans une sphère où les groupes donnent souvent l'impression d'être de joyeux lurons à la limite de la crétinerie volontaire, « Go tell fire to the mountain » montre que même s'il est capable de laisser exploser sa jeunesse (« Spitting Blood »), il sait également porter à bout de bras une ambiance à la limite de la dépression chronique (« Concrete Gold »). Ce petit côté Yucadi-Yucada-la-tête-dans-le-Valium donne incontestablement son charme au disque qui dépasse systématiquement l'aspect superficiel grâce à ce petit trait de caractère.
Et puis en plus, la jeune fondation de Lucifer est... jeune. Et ça ce sent. Idéalistes jusqu'au bout des ongles - quitte à faire chanter tous les copains sur « We Bros » -, les teenagers constatent tout en gueulant un peu quand même. Dans une démarche à la limite de l'émeute chic ou de la fécondation in-mater, Wu Lyf t'emmerde tout en contemplation dans une démarche Nous-contre-le-monde vécue comme un fondement de l'idéologie musicale. Cet artwork en forme de livre proposant des collages qui oscillent entre éléments naturels déchaînes, bâtiments de banlieue anglaises et dédicaces au Wu Tang Clan et au joueurs de Barcelone appuie encore un peu plus sur l'aspect jeune et fier de la musique. Colère et frustration certes mais émaillé de quelques instants de liesse collective et profondément ancrée dans la classe ultime. Comme si l'allure était la seule chose qui restait aux pauvres et qu'il fallait absolument la conserver et peu importe le moral.
Finalement, le principal dans la musique est de transmettre quelque chose, ce n'est pas vous qui me contredirez. Et à ce petit jeu on peut dire qu'Ellery James Roberts est un vocaliste directement sorti de l'hyper-espace. Comme un éleveur lance du grain à ses poules, le brave gosse nous jette à la gueule des petits bouts de sa gorge qu'il racle à chaque phrase. Tellement déchiré qu'il en est touchant ou tellement possédé par une lumière qui semble le caresser qu'il finit par baver par terre dans une ultime convulsion hallucinée, le chanteur-crieur renvoie à leurs études bon nombre de types issus du Metal ou du Hardcore. Alors certes, il bouffe les mots, à tel point qu'on ne comprend rien mais putain, on s'en fout. Rarement un type aura réussi à me faire frissonner à ce point là. Oscillant entre profonde violence, folie ou volonté d'approcher la pureté, Ellery tape dans le mille avec ses syllabes volontairement déstructurées qui semblent effleurer de très près la sonorité de l'âme.
Finalement, Wu Lyf, après ce seul et unique coup d'éclat aura disparu en publiant une lettre ouverte où le groupe disait vouloir « apprendre, à voir le monde et à jouer le jeu pour ce qu’il est : un jeu. Mais mieux vaut jouer que se faire jouer des tours, non ? ». Comme quoi – et c'est encore une preuve de sagesse – on peut ne pas faire comme trop de groupes piétinés par l'âge et s'arrêter lorsqu'il en est temps. Je ne sais pas si Wu Lyf aura été le renouveau qu'il semblait incarner pour toute une frange de fans du genre mais ce qui est sûr, c'est qu'il part en laissant un monolithe de béton coulant à la saveur âpre, froide et charnue.
"I'm so sick of these people.
I wish that they would just go slow.
Go sow. And watch it grow.
I'm so scared of all my dreams.
I wish I could sleep tonight.
But you know it's the people.
They hold you down.
But you know they hold your crown.
(You're the light your Lucifer) »
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