Depuis son hallucinante découverte il y a quelques années, je suis toujours resté attaché à Igorrr. A la fois pour la manie du projet de se foutre de toutes les étiquettes, mélangeant sans vergogne le bruit, les rythmiques saccadées du Breakcore aux instruments de variétoche, mais aussi pour son sens esthétique, passant aussi bien par les pochettes organiques, pleines de sueur et de pores dilatés de Mioshe
* que par la constante opposition du sale et du beau dans les compositions du Français. De
"Poisson Soluble" jusqu'à
"Hallelujah", les auditeurs ont assisté à la lente mutation de Gautier Serre, abandonnant progressivement la simple superposition de samples d'univers différents (
"Moisissure") au profit de leur réappropriation :
"Nostril" était ainsi, et restera toujours pour votre serviteur, le sommet de la discographie du triple R. Même si
"Hallelujah" reste un bon album (bien qu'assez posé) pour qui aime sa musique quand elle oublie de prendre ses neuroleptiques.
Après quelques écoutes,
"Savage Sinusoid" semble avoir suivi religieusement la prescription du thérapeute. Il est soigné, presque calibré, bien lisse quand on le compare à ses aînés. Conforme au cahier des charges que l'on imagine imposé par un écurie de la taille de Metal Blade.
"Fais du sale, mais pas trop !" La statue contemporaine faite de milles aspérités et crevasses suintantes a été passée au burin, toilettée, parfumée, gommant les traits grossiers qui, pourtant, faisaient tout le charme d'Igorrr. La pochette en témoignerait presque :
exit Mioshe, probablement trop brouillon pour faire vendre, et bonjour l'omniprésent et synthétique Metastazis. Malgré les efforts de Simoulin pour coller à l'atmosphère du laboratoire de G. Serre, le passage au numérique, le lissage vectoriel, ne me touchent pas autant que les textures et les couleurs délavées des albums précédents. Et malheureusement, cet artwork colle parfaitement au Igorrr-nouveau, garanti
"sample-free" par son producteur. Comme si l'on cherchait à justifier l'existence d'un biscuit moyen par son absence de gluten.
"Savage Sinusoid" calme encore un peu plus le ton d'un
"Hallelujah" que beaucoup trouvaient déjà bien propret pour du Igorrr.
"Chef étoilé, j'ai la recette" : le problème est que l'on commence à la connaître par cœur. Et rallonger la sauce à l'eau claire, aux poncifs et clichés du Metal n'arrangera pas les choses.
Même déçus, on ne pourra que saluer le travail monstrueux derrière chacun des onze titres de
"Savage Sinusoid". Tant sur la composition que sur le nombre d'acteurs ayant été nécessaires pour générer, enregistrer et mixer les centaines de pistes nécessaires à la confection de l'opus - les quelques posts Facebook de Gautier Serre donnaient l'image d'un chef d'orchestre épuisé par son Grand Oeuvre (
"Plus jamais."). L'empilement des instruments est presque palpable,des rythmiques saccadées empruntées aux
free parties les plus énervées, jusqu'aux superpositions de voix, entre Laure Le Prunenec et son timbre qui n'a rien perdu de sa superbe, et un Laurent Lunoir gardant un pied dans l'hystérie ("Viande") et l'autre dans le faussement grandiloquent (l'ouverture de "ieuD"). Faisant appel à une foultitude de musiciens, trop nombreux pour tous les citer ici : clavecins, saxophone (l'entraînant "Houmous"), cordes classiques, sitar, parties 8bit... Retenons également la prestation derrière les fûts de Sylvain Bouvier, qui tient en respect les rythmiques électroniques débridées utilisées par Gautier Serre.
"Savage Sinusoid" comporte également quelques guests, aussi grâce aux connections nouvelles permises par l'écurie Américaine... Invités pour le moins discrets. A l'image de Travis Ryan (Cattle Decapitation) qui se contente d'imiter un siphon d'évier sur trois titres de l'album.
Ne soyons pas de mauvaise foi, même si
"Savage Sinusoid" est sans réelle surprise et très poli, chacun pourra y trouver son compte, amateur du projet depuis ses débuts titubants comme nouvel arrivant désirant se faire une petite frayeur musicale. Igorrr maintient la vitesse de croisière, certes, on est en terrain connu, mais le voyage reste assez agréable. "Va Te Foutre" en forme de rappel à
"Moisissure" avec sa rythmique lourde et son clavecin clinquant, "Robert", plus qu'orthodoxe dans son Breakcore dépouillé, "Cheval" emprunté aux salles de bals... Malheureusement, en plus de souffrir de quelques longueurs ( "Problème d'émotion", malgré une partie vocale impeccable),
"Savage Sinusoid" pâtit de son ton très
Metal. Bourré qu'il est de blast-beats et de guitares clichées au possible (non, les remixer sauce Dubstep ne change pas foncièrement la donne), de
breakdowns plan-plan (la seconde moitié de "Au Revoir", ennuyeuse) et autres platitudes empruntées à la plus rincée des compositions métalliques. C'est dommage, car ce n'est pas vraiment ce que je recherche chez Igorrr. Est-ce la signature chez Metal Blade qui aura poussé le projet à plonger tête la première dans les grosses guitares ? Ou
"Savage Sinusoid" est-il l'album du changement pour Igorrr, qui passerait ainsi d'
électron libre sans étiquette à simple
groupe de métal expérimental ? L'avenir nous le dira.
"Savage Sinusoid" est un album finalement amusant, mais dispensable, qui ne parvient cependant pas à retrouver ce qui faisait la force de l'Igorrr des débuts. Il fera rire ceux qui découvriraient le projet par son biais, sa cible : les amateurs du
roster de Metal Blade, qui reste très orthodoxe, et surtout le dernier endroit ou j'imaginais les trois R signer un contrat. Malheureusement, il laissera sur leur faim ceux qui espéraient prendre en pleine figure un déluge de plans alambiqués, de boîte à rythmes débridées et autres compositions oscillant entre le baroque, la Noise, le Breakcore et les samples débiles (j'entends encore et regrette le
"Vomi." de "Tendon"). Tant mieux pour Igorrr, qui gagnera à coup sûr un nouveau public, et tant pis pour nous.
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