The Gault - Even as All Before Us
Chronique
The Gault Even as All Before Us
La campagne et son spleen. Il est compliqué d'expliquer en quoi ce que l'on considère généralement comme une retraite, un havre de paix, s'avère, selon le temps qu'on y passe et sa constitution personnelle, un enfer. Pour certains, cela en devient pourtant un, pris dans un espace immuable, les fleuves s'écoulant uniformément, les bâtisses sans âge abolissant l'idée d'avenir, les couleurs boisées, terreuses, aveuglant d'une présence semblant inamovible, éternelle, le regard, enfin, des quelques habitants, où chacun s'observe et se juge, sans l'échappatoire qu'offre l'anonymat des villes. Seul, fantôme surveillé par d'autres fantômes, coincé dans un écrin de forêt loin de l'agitation du monde, où le mouvement, la vie qu'il contient, de fait, sont absents. La campagne, une prison à ciel ouvert. De quoi rendre fou.
C'est cette folie qu'exprime Even as All Before Us, jusqu'à sa pochette où l'on ne sait pas si l'on y voit l'entrée d'un village ou d'un camps de concentration. Composé de membres ayant officié ou officiant dans Amber Asylum, Dispirit, Worm Ouroboros, Weakling ou encore Asunder, The Gault aura marqué le petit monde du doom metal avec son unique album. C'est, qu'encore aujourd'hui, rien ne ressemble exactement à la musique des Californiens : déroutante, entre doom metal progressif, folk et cold wave, elle se développe dans une spirale de notes, où les structures des morceaux paraissent aussi bien labyrinthiques que statiques, geste perpétuel ne menant à rien, accumulant mélodies, ralentissements et intermèdes au point de donner le sentiment d'écouter un assemblage de transitions plutôt que des morceaux, l'inachevé comme fil rouge. On reconnaît le style de John Gossard, guitariste de Weakling, faisant de ses capacités techniques celles d'un hypnotiseur, le brouillard intérieur comptant plus que n'importe quelle forme. On reconnaît également Lorraine Rath et Sarah Weiner, ce qu'elles apportent de gracile majesté par des lignes vocales nobles et attristées, par un jeu organique tout en dorure et douce autorité, un jeu faste, martial, incroyable d'harmonie, cajolant les sens au point de les faire hurler. Irrespirable de beauté.
Par contre, on ne reconnaît pas ce chant. Et on ne le connaîtra pas ailleurs, Ed Kunakemakorn n'ayant été la voix que de The Gault. Un chant désarmant de désespoir érodant les derniers barrages intérieurs, qui susurre et parle avec une retenue plus puissante dans les émotions qu'elle transmet que n'importe quel hurlement. Comme s'il se faisait le messager de ce que les autres instruments nous font subir. Comme si on le voyait, là, avec nous, nu dans sa tristesse inconsolable, pourtant sans pathos excessif, le trop-plein ne devenant jamais trop. On pourra appeler « sincérité », « vérité » même, cette fine crête sur laquelle se placent Even as All Before Us et ses larmes incessantes qui, à aucun instant, ne font rouler des yeux, qui, à chaque fois, les mouillent un peu ou beaucoup. Peu importe : cette chose vibrante dans un monde immobile, ce climat psychologique, cet album nous donne la sensation qu'on ne sait que trop bien ce qu'ils sont et ce qu'ils font. Qu'ils sont, dans leur décors de lieux-dit, universels.
Even as All Before Us se termine par un rire. Un rire terrifiant, un rire de quelqu'un n'ayant pas pu s'échapper physiquement et mentalement, créant en réponse une autre cage où être seul, définitivement seul. Il est tentant de finir cette chronique par cette horreur, et cependant, cela ne serait pas juste. Car ce qui fait de The Gault cette formation sans égale, celle qui a créé un des quelques disques qui, dès leur écoute, sont devenus essentiels pour moi, ce sont certes cette poésie fine, cette communion donnant envie de ne rien y changer, cette détresse qui pourra évoquer quelques souvenirs intimes... Mais aussi cette aristocratie qui ne se trouve pas dans les titres, cette dignité derrière le corps qui lâche, où l'on pleure pour soi, notre cerveau malade d'esthétisme puisant ici son dernier plaisir. Ce qui fait de Even as All Before Us l’œuvre non-française la plus française qui soit.
Culte, pour le moins.
| lkea 13 Août 2017 - 1744 lectures |
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