Gråt Strigoi - Communion of the Nameless
Chronique
Gråt Strigoi Communion of the Nameless
L’underground est ainsi fait: il recèle souvent de pépites qui ne demandent qu’à être reconnues par un plus grand nombre de personnes et ce sont parfois certains hasards qui vous mènent vers elles. Et encore plus quand ces formations décident de prendre à leur compte une démarche totalement indépendante et de do it yourself. L’on ne sait pas grand chose au sujet de Gråt Strigoi, si ce n’est que le groupe provient de Glasgow et qu’il est apparu en deux mille dix neuf, avec déjà un premier album de bonne qualité, Alt Dette Car Skjedd Før, Alt Dette Vil Skje Igjen, rapidement suivi d’un deuxième album l’année suivante, A Path Through Ashes, qui voyait le groupe prendre une dimension plus narrative dans sa musique. La seule chose pour laquelle nous sommes sûrs concernant le duo formant Gråt Strigoi, c’est qu’il se positionne clairement contre les dérives actuelles d’extrême droite de nos sociétés post modernes et annonce clairement la couleur en refusant d’être amalgamé à toute cette bêtise qui gangrène aussi le metal extrême. Toujours aussi prolifique, le duo nous proposait déjà en juin de cette année son troisième album, Communion of the Nameles, dans un anonymat quasiment rageant tant cette oeuvre est d’excellente qualité.
L’on peut toujours avoir peur lorsqu’un groupe enchaîne les albums aussi rapidement, car même si le duo est créatif, l’on peut avoir quelques inquiétudes quant à la qualité de la réalisation, et surtout de voir le groupe tourner en rond et répéter les mêmes schémas en roue libre. Il ne sera pas du tout question de cela sur cet album et le duo a clairement franchi un cap par rapport à ses précédentes réalisations. Signe assez flagrant, en dehors de l’introduction Hypomonē, tous les titres avoisinent voire même dépassent allègrement les dix minutes, alors qu’auparavant il n’y avait qu’un seule composition de cette durée. C’est déjà un premier signe d’évolution du black metal dépressif des Écossais. L’on retrouve évidemment cette ambiance noire et désespérée sur l’entièreté de cet album, avec des riffs assez hypnotiques et répétés souvent inlassablement sur de longs instants, que ce soit sur un rythme rapide comme sur certains moments de The Great Awakening, Ex Nihlo ou bien encore les débuts de The Hymn that Sealed the Dark Our Sealed Fatalism, que dans une veine bien plus lente. Comme l’on pouvait s’y attendre, le chant de Kieran Gilroy est bien écorché et strident comme il le faut, avec ce rendu de lames de rasoir rouillées, même s’il se permet quelques incartades plus granuleuses et râpeuses. L’on y trouve ainsi un sentiment à la fois de rage, de colère et de dégoût, le tout déversé contre une société qui laisse pour compte une majorité d'anonymes sans voix.
Mais l’on est loin d’être ici dans quelque chose de linéaire et de rébarbatif, dans la mesure où il y a pas mal de choses qui se passent dans les titres, et, en cela, il y a un côté assez narratif sur l’ensemble de l’oeuvre, le tout s’enchaînant de manière assez cohérente, à tel point qu’il n’aurait pas été inconvenant que cet album ne contienne qu’une seul piste. Les acoustiques font souvent leur apparition, avec des arpèges ternes, que ce soit sur Hypomonē, et sur certains moments de The Great Awakening et d’Ex Nihlo. Mais elles n’offrent pas le répit escompté après ces fulgurances ou ces instantanés denses, mais parachèvent un travail de sape opéré de manière chirurgicale. En cela, je ne peux m’empêcher de penser aux vieux Shining ou à Silencer. C’est le même constat pour les passages aux arpèges en sons clairs, notamment sur ce passage glacial vers la fin de The Hymn that Sealed the Dark Our Sealed Fatalism, qui laissent un grand sentiment de désolation derrière eux. Et là, l’on ne peut que se remémorer certains moments des premiers Bethlehem, même si ici le désespoir a remplacé la folie, et, plus près de nous, à Mourning Dawn. D’ailleurs, puisque l’on en est à parler de groupes officiant dans les sphères du black doom metal, il y a beaucoup d’éléments qui vont dans ce sens sur cet album. Le son s’est en effet clairement épaissi par rapport aux deux précédents albums, avec d’ailleurs une production très crue mais vraiment ample et avec un réel grain dans le son des guitares, loin d’être poli, et en tout cas assez proche du son que peut avoir Thou sur ses réalisations.
Cela ne fait que rajouter un côté totalement étouffant à la musique de Gråt Strigoi, ce d’autant plus que le duo se nourrit désormais d’influences provenant tout autant du sludge que du doom metal extrême, et je ne suis pas loin d’y trouver des points d’accroches avec des références telles que Abandon ou bien encore Funeralium. Pour les seconds, c’est dans cette faculté d’offrir des compositions exigeantes et comprenant beaucoup de parties, de faire évoluer ce mal être et ce dégoût pour l’humanité au fur et à mesure des titres, mais à la différence qu’il n’y a pas ici un côté excessif dans la durée des compositions. Certes ces titres sont assez labyrinthiques, et l’on vous lamine le plus souvent à coup de gros riffs pachydermiques joués lentement, mais l’on ne se perd pas non plus dans des méandres sans fins. La comparaison avec les Suédois vient évidemment à l’esprit non seulement dans ce côté chape de plomb qui vous engloutit sur l’entièreté de l’album, exception faite des quelques soubresauts rapides, et encore, mais aussi dans ce côté jusqu’au boutiste de la démarche, dans cette noirceur assez inextricable que dégage cet album. L’on n’y retrouve bien évidemment pas cette ambiance funéraire d’un The Dead End, mais il y a ce côté absolu et sans fards qui donnent cette même impression d’abattement, de renoncement et de colère.
Car Communion of the Nameless est une oeuvre vraiment exigeante. En effet, le duo, en ayant bien peaufiné ses compositions, s’amuse le plus souvent à prendre des chemins de traverse, ou bien encore suivre des fausses pistes pour malmener et parfois perdre ses auditeurs. Effectivement, la route ne sera pas simple à suivre, le périple sera semé d’embuches, l’on sera tout autant asséné de coups lors de cavalcades qui donnent l’impression de fuir en courant vers une direction inconnue, que molesté par ces coups de semonces de riffs dominateurs, punitifs et terrassants. C’est là que l’on va s’intoxiquer les poumons de toute cette crasse et cette fange que soulève le duo, dans une dénonciation acerbe de ce monde angoissant et puant. De toute manière, l’on sent bien dès l’introduction et son glas funèbre et lointain que l’on ne va pas passer un bon moment, que la fin est proche et qu’il est temps de se réunir pour une dernière marche. Rien n’est fait ici pour ménager l’auditeur, pas même tous ces effets un peu noise qui agrémentent les titres et qui sont tout autant d’agressions au moment où l’on aurait pu trouver un peu de répit, que ce soit par le biais de bruitages inquiétants ou bien tout simplement de larsens stridents qui viennent s’échapper des passages les plus étouffants, quand ce ne sont pas les guitares elles-mêmes qui prennent des faux rythmes ou que l’on laisse mourrir leurs accords. Rien n’est fait à la légère ici et tout a été mis en ordre pour faire passer son message.
N’y allons pas par quatre chemins: Communion of the Nameless est sans aucun doute l’une des meilleures réalisations de cette année deux mille vingt et un, pourtant pas avare en terme de réalisation de bonnes qualités. En agrémentant son black metal suicidaire d’éléments venant du doom metal et du sludge, Gråt Strigoi est parvenu à accomplir une oeuvre à la fois très noire, étouffante, austère dans ses stridences et ses épanchements granitiques, et d’une certaine rudesse. Ce n’est pas le genre d’album à prendre à la légère et qui va même demander une certaine patience pour en venir à bout et surtout pour l’apprivoiser, mais c’est là aussi le signe d’un excellent album dont je n’ai pas encore fait le tour depuis l’été dernier et qui ne fait que grandir au fil de écoutes. Ce Communion of the Nameless est surtout le parfait témoignage sonore du quotidien de nombreuses personnes et c’est en cela qu’il est ô combien pertinent dans sa mise en relief de notre monde actuel, témoignant tout aussi bien de la colère, de la résignation, des angoisses et des peurs induites par nos sociétés actuelles. Il y a tout autant de douleurs dans cet album qu’un appel à relever la tête et à s’unir pour renverser cela, comme si Sisyphe enfin arrivé en haut de la montagne parvenait à lancer ce fameux rocher à la face de ses maîtres et pouvait enfin se libérer de son châtiment.
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