Viande - L’abîme dévore les âmes
Chronique
Viande L’abîme dévore les âmes
Évacuons d’entrée ce qui sautera aux oreilles de n’importe qui : oui, Viande s’inscrit dans cette nouvelle vague death metal où les noms d’Incantation et de Portal nous noient de leurs riffs lourds et leur atmosphère aussi étouffante que cauchemardesque. Clairement, les Français poursuivent l’héritage de ces formations ayant marqué de leur empreinte tant de groupes de death metal contemporain, leurs auras planant déjà au-dessus des EPs précédant ce premier longue-durée paru chez Transcending Obscurity. L’abîme dévore les âmes paraît en effet destiné aux avides d’ambiance morbide et bouillonnante, alliant le traditionalisme d’un death metal doomy à une relecture absconse dont les maîtres australiens – comme l’a encore récemment appuyé le démoniaque Avow – sont les meilleurs traducteurs. Au point que ces quarante-deux minutes peuvent transmettre, pour qui s’arrête à cette filiation, un plaisir certain bien qu’un peu trop anonyme.
Sauf que Viande n’a pas tout à fait le même goût que la palanquée d’autres charognes vénérant les œuvres des troupes de John McEntee et The Curator. Subtilement – car c’est à ce niveau d’esthétique que l’on se situe pour goûter pleinement les discours affamés de L’abîme dévore les âmes –, un traitement particulier de ces influences se devine, un chouïa moins convenu que pensé au départ, jusqu’à prendre tout l’espace mental que les Français aiment manipuler. Quelques passages étonnamment tordus (le début de « Le ventre monde » où l’ombre de Blut aus Nord se dessine), une superposition de voix se mêlant à l’air vicié de l’ensemble (« La tombe avide »), une rythmique aussi pataude qu’inexorable donnant une odeur de métal aux remugles de souffre envahissant les narines… Industriel : ce mot surgit à l’esprit sans toutefois s’imposer, la bande de Chambery jouant de l’horreur en funambules, leurs griffes ne quittant jamais la ligne séparant les deux mondes.
Voilà ce qui fait le sel de L’abîme dévore les âmes. Doté d’une aigreur bien française, celle des Fange, des Proton Burst (il y a quelque chose de La nuit de Druillet chez ces morts-vivants), Viande fait valoir des origines autres qu’un death metal bien trop tendance pour continuer d’épater. Certes, ce tour de passe-passe se base sur peu de choses et, comme cela est le risque avec l’envie de partager un sentiment trouble, cet entre-deux tient parfois trop fragilement pour qu’on le remarque – cf. un titre comme « Miroir Décharné », bien trop classique pour retenir l’attention. Cependant, un peu à l’image de cette pochette verdâtre qui ne s’impose pas à coup de couleurs criardes mais fascine par son jusqu’au-boutisme terne et mortuaire, cette musique de chair entête de nombreuses fois en réussissant son pari de marier un death metal ténébreux à une corrosion issue des scènes noise et industrielle, la magie opérant avec force sur la deuxième partie de l’album (irrésistibles « Le souffle des os » et « Langues de brume », rouillant un palais mental déjà envahi par la putréfaction).
Austère et cependant original, manipulateur mais sans coup d’éclat, l’annonce accablante ne se concrétisant jamais dans un assaut jouissif… Le plaisir qu’offre Viande sur L’abîme dévore les âmes pourra sembler à la fois trop complexe et binaire pour qui aime son death metal vif et barbare comme le sang versé. Si la formation en est encore clairement à ses débuts, avec ce que cela suppose de recherches inabouties et de maladresses, sa capacité à maintenir cette tension entre death metal AOC et incursions industrielles, liant les deux univers en un mouchoir de poche décharné et morne, laisse assez entrapercevoir de belles choses pour s’enthousiasmer et espérer, mordu dans l’attente d’être dévoré. Toujours est-il que parvenir à être aussi ambigu malgré une forme aussi limpide au premier abord, à la fois lisible et brumeuse, minimaliste et grouillante, n’est pas donné à tout le monde. En cela, L’abîme dévore les âmes rappelle la beauté particulière du mort-métal, dont Viande pourrait bien devenir un des plus étranges représentants.
| lkea 20 Avril 2022 - 1526 lectures |
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