Tess - Les Autres
Chronique
Tess Les Autres
Chris a tout ce qu'il lui faut : presque la trentaine, un boulot stable et bien payé, des amis aussi fidèles qu'amusants, une femme aussi aimante que charmante, une peau qui bronze facilement, une vie tip top quoi. La réussite marque ses entreprises : parti de rien, Thrashocore est aujourd'hui une référence lue par des milliers, que dis-je, des millions de lecteurs fanatiques (Il parait que Jon Nödtveidt s'est suicidé quand il a appris que Chris n'aimait pas Reinkaos mais on connaît les bruits de couloirs…).
Pourtant Chris s'ennuie. Ah que les âmes frustrées sont chanceuses ! Elles ne connaissent pas le vide d'avoir tout sauf rien à espérer ! Il lui manque la rage de l'adolescence, ce bel âge où tout s'éveille. Chris en est conscient car Chris est intelligent. Actif, il va dans le grenier ouvrir la malle des souvenirs de cet autrefois si douloureux, si passionnant. Il voit d'un œil humide (Chris est humain) ses premiers emportements, la capsule de sa première bière, sa première étoile acquise à Chamonix à l'âge de trois ans (tu apprends à marcher, Chris sait déjà skier), des photographies de ses nuits de débauches chaudes comme une soirée thaïlandaise avec Frédéric Mitterrand, et ses premiers poèmes.
Oui car Chris est sensible, Chris est poète ! Il regarde ses écrits prépubères avec étonnement, comme si un autre que lui vibrait sous ses lignes :
« Tes baisers ont un goût de cyanure. Je suis addict, j'en veux encore.
Tes baisers ont un goût de cyanure. Tu es si belle, tu ressembles à la mort. »
Ah Annabelle, son premier amour ! Elle était en gris, il était en tafta, elle se surnommait Morticia et lui Cratère. Elle était moche (Chris aime tout le monde, même les moches) mais…
« Je me souviens. Mes jambes en tremblent. Mon cœur s'emballe.
Je me souviens. Ça me fait mal, je me sens bien… »
…Faut dire qu'elle l'avait dépucelé notre Chris…
« …Je me souviens. Approche plus près, viens que je te crache dans l'oreille. »
…Et d'une étrange manière. Puis elle a découvert le skate punk et sa mèche sans gel ne tenait pas la distance face aux piques luisants de Cyril, son meilleur ami gauchiste. La suite, vous la devinez : Chris se retrouva seul, les couilles bleues et le regard rouge.
« Rampe, crache, saute sur ma carcasse.
Piétine et écrase ce qu'il en restera.
Par vos dires, vos regards, je saigne.
Je trace sur mon être comme on grave dans la pierre chaque déception. »
Personne pour le soutenir ! Même pas son père, qui avait préféré lui offrir une Game Gear plutôt qu'un piercing pour son anniversaire. Il hurla de dépit :
« Jamais je ne serais toi,
Plutôt crever.
T'es juste un putain de bâtard,
Jamais je ne serais toi ! »
« Jeune con, toi et ta musique de pleymophile ! Tu te rends compte que non seulement tes riffs sont éculés mais qu'en plus, ta voix de merdeux en train de muer et grogner est insupportable ?! Cesse de chialer, trouve un boulot ! » avait répondu Papa. Chris, au corps frêle et boutonneux, s'était alors enfermé dans sa chambre et cracha une nouvelle fois sur le monde avec ce talent impétueux qu'on lui connait :
« Dans ma boite, je suis le roi. J'ai peur de moi.
Pourquoi t'avoir mis dans ma boite ?
Dans ton coin, ton visage s'efface.
Tu ressembles en tous points à ma créatrice. »
Maman, salope !
« Un trait sur le bras, deux traits, c'est à cause de toi.
Si vos âmes ne peuvent entendre l'horreur que vos remontrances… »
Ça suffit. Chris referme la malle, s'en dégoupille une et rit. Qu'est-ce qu'on était con quand même ! Revigoré, il part dans son salon penser aux jambes de sa femme et combien il va lui mettre ce soir. Car Chris, il est comme ça.
| lkea 8 Mai 2010 - 7674 lectures |
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