Daïtro - Y
Chronique
Daïtro Y
N'y allons pas par quatre chemins. Daïtro est au screamo ce qu'est pour moi Indochine à la variété française. C'est vrai qu'à y regarder de plus près, on peut tracer des parallèles assez facilement entre le dernier disque des Lyonnais et le début de carrière des Franco-belges. Des structures relativement simples et basées sur une recette qui fonctionne, une durée des titres somme toute normale (ce qui paraît évident, mais mine de rien, Daïtro propose des titres assez longs pour un groupe du genre...) et surtout une voix complètement fausse déclamant des paroles françaises que l'on estimera ridicules ou absolument géniales selon le cas.
On pensera ce qu'on veut de ma comparaison, mais nul n'ignore ici que Daïtro est – au côté de, et peut-être même un poil derrière, Mihai Edrisch - l'un des mètres-étalons du genre dans sa version Montebourg, produit, enregistré et fabriqué en France. Juste à la droite du Dieu de la marinière déprimée donc, Daïtro aura façonné sa carrière avec un nombre de sorties conséquent mais peu de faux-pas. Entre un « Des cendres, je me consume » mémorable et un « Laisser vivre les squelettes » plus long et j'oserais presque ajouter plus « expérimental », il y avait de quoi attendre « Y » et sa pochette pétaradante, décapant la rétine du péquenaud qui passe malencontreusement par là, de pied ferme. Entre le col-roulé qu'était « Des Cendres... » et l'écharpe tricotée, longue et bien enroulée qu'était « Laisser vivre les squelettes », la formation a fait son marché, repiquant un peu aussi dans leur split avec Sed Non Satiata pour proposer cette production finale synthétisant parfaitement l'esthétique musicale 100% Daïtro qui aura fait leur succès.
Un album de dix titres donc, volontairement découpé en dix parts égales et numérotées histoire d'accentuer sans doute, le côté « bloc » de l'opus. Le groupe tape encore, c'est sûr mais avec moins de véhémence que par le passé, la faute à la production plus claire et nette, sans doute. « Y » se présente comme un hypothétique rejeton du pot-de-terre, s'il avait, au cours d'une nuit un peu arrosée, fait du touche-pipi avec le Pot-de-Fer et engendrant alors l'improbable naissance paradoxale qui aurait poussée La Fontaine au suicide. La fontaine crache son eau donc, avec tranquillité et presque avec habitude, dirais-je. On pourrait aussi insister un peu sur ces influences post-rock que je trouve, si ce n'est plus présentes, tout du moins plus décelable pour l'auditeur qui se dira facilement « Hey ! Mais c'est du post-rock kho ! ». Presque, en effet. Surtout sur cette « Part V » par exemple, qui puise bon nombre d'arpèges dans le genre mais que l'on suppose également, si ce n'est empruntés, au moins inspirés par mid-west Emo américain. Malgré tout, ne vous inquiétez pas outre-mesure, Daïtro reste dans son genre, le screamo.
« De l'amour à la haine, il n'y a qu'un pas », dit-il, nonchalant dans un hommage involontaire au Fuzati d'il y a onze ans. Et on doit bien avouer que pour le coup, il a bien raison, Aurélien. Daïtro jongle avec les effusions de rage et les accalmies paysagères. « Ou se trouve alors ? Son bon côté ? » serions-nous tentés de nous demander. Justement, ce bon côté, cette alchimie des styles, cette fusion et cette complexité, cette subtilité et cette maturité dans l'écriture qui permet au groupe d'alterner chaque titre, chaque passage avec une aisance profonde : c'est ce qui démarque Daïtro de la masse. D'abord d'apparence hermétique et peu avenante, l’œuvre se laisse découvrir et émeut au fur et à mesure du temps et des écoutes qui s'amoncellent. Sentimental. C'est sûr « Y » est un disque sentimental, beau et parfois rempli des doutes et des angoisses qui font l'humain. Des questions et encore des questions, à tel point que ça le hante, le pauvre garçon. Le plus chouette dans cette histoire c'est que nous, derrière notre chaîne hi-fi ou notre ordinateur, nous pouvons ressentir la même chose que lui. En cela, l'écriture des titres réussie et les paroles font le choix d'être large et, par conséquent, de pouvoir s'adapter à celui qui les comprends. Là où « on ne distingue plus l'original de la copie », Daïtro arrive sans problème en conjuguant son lyrisme, son trip planant et sa violence duveteuse à marquer la genre d'une patte reconnaissable entre mille.
Testament quasi-exemplaire (le dernier titre manque un peu d'émotions, contrairement à l'intensité du disque entier le précédent), Daïtro livre avec « Y » un album de très bonne facture qu'il est vivement recommandé de se procurer. Aficionados, jetez-vous dessus et laissez-vous embarquer dans ces dix pièces exécutées avec toute l'expérience du groupe dans le genre. Merci encore Daïtro pour tout votre carrière.
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