Wrekmeister Harmonies - Night of Your Ascension
Chronique
Wrekmeister Harmonies Night of Your Ascension
Formé depuis 2006 et ayant déjà sorti trois réalisations, il aura fallu attendre l'année 2015 pour que le nom de Wrekmeister Harmonies arrive enfin à mes oreilles. Pourtant ce projet assez atypique mené par J.R. Robinson avait tout pour me séduire ne serait-ce que par le style délivré mais aussi son mode de fonctionnement. Effectivement, celui-ci se pose plus comme un regroupement musical où de nombreux/ses artistes viennent apposer leur petite touche, se modulant à chaque sortie. Il en est d'ailleurs de même sur ce Night of Your Ascension, dernier album en date, sur lequel pas moins de 30 musicien(ne)s cohabitent avec – entre autres – Marissa Nadler, Dylan O’Toole et Ron DeFries (Indian), Sanford Parker (Twilight), Bruce Lamont (Yakuza, Bloodiest) ou encore Lee Buford et Chip King de The Body. J.R. s'est lancé à corps perdu dans une entreprise titanesque et risquée en tissant sa trame de fond autour des actes commis par Don Carlo Gesualdo ainsi que la mort du prêtre John Geoghan. Des sujets sensibles auxquels se greffent la difficulté d'entremêler les différents univers musicaux des acteurs et actrices présents sur cette œuvre. D'où un sentiment partagé, car si tout semble parfait sur papier les craintes d'avoir affaire à un pétard mouillé ne se dissipaient pas.
Néanmoins ces peurs vont rapidement se déliter au fil de l'écoute. S'ouvrant sur « Night of Your Ascension », pièce magistrale de 32 minutes dont l'entrée en matière renvoie à l'introduction de Then It All Came Down, vous vous laissez porter par cette ambiance suave et vaporeuse instaurée par la formation. Des sonorités très aériennes, épurées et intemporelles qui sont magnifiées par les chants féminins se calquant l'un à l'autre avec un léger écho renforçant l'aspect cérémoniel de l'ensemble. La boucle se forme doucement mais sûrement par ses répétitions effectuées au niveau des paroles ainsi que ce fond sonore devenant de plus en plus ombrageux. Le travail d'orfèvre effectué ici par J.R. Robinson est frappant, délivrant des compositions plus riches que par le passé. Et le premier titre en est une jolie preuve avec ses moult variations, déversant un flot d'émotions diverses tout en gardant ce côté tant caressant qu'hypnotique. Que ce soit les débuts atmosphériques très contemplatif et la belle dualité vocale (qui charmeront les fans de Worm Ouroboros), les incursions – vers la 9ème minute – classiques accompagnées de chœurs emplis de grâce ou encore le léger durcissement de ton s'effectuant à mi-parcours et tirant sur le post à la Neurosis. Le basculement est très bien amené et offre une deuxième partie aussi sombre que plombante, ponctuée de lignes de guitares mélodiques. L'univers musical se fait davantage menaçant, mené par des vocaux masculins très expressifs qui vont prendre un tour toujours plus agressifs (avec des cris poussés par Dylan O'Toole en toute fin) au gré des minutes, montant crescendo dans la violence. Bande-son idéale de la vie tumultueuse de Don Carlo Gesualdo, « Night of Your Ascension » montre l'étendue des recherches effectuées par J.R. Robinson, allant jusqu'à intégrer une partie d'un madrigal de ce noble italien (la section de cordes). D'où le côté à la fois beau, exacerbé mais aussi tragique que vous retrouvez dans ce titre.
Et c'est bien là la force de Wrekmeister Harmonies – tirant son nom du film « Les harmonies Werckmeister », qui lui-même fait référence à Andreas Werckmeister –, retranscrire au mieux les ruptures ou autres disharmonies. Un raffinement et une quête de perfection qui se traduisent par une application notable effectuée au niveau du travail sonore. La résonance et la clarté singulière mais naturelle de cet album sont en effet particulièrement dues au choix porté sur le crematorium (cf. l'interview dans Noisey) comme « studio » d'enregistrement – collant de ce fait à merveille aux propos. Car la religion et la mort sont au centre de ces compositions, « Run Priest Run » constituant donc une suite logique en dépit de quelques différences avec le premier titre. Inspiré par la mort du prêtre pédophile John Geoghan, le second volet offre des tonalités beaucoup plus sombres. Le malaise se fait sentir dès l'introduction instrumentale avec un bourdonnement sourd et hostile dont l'ajout de bruitages couplé à cette voix féminine spectrale renforcent l'aspect inquiétant du morceau. Plus brut, sinueux, moderne et dramatique « Run Priest Run » vous prend dans ses griffes, serrant son étreinte au fil des minutes pour ne jamais vous lâcher. Vous êtes telle une proie, victime collatérale de la folie humaine revêtant ici ses plus monstrueux atours. Une folie mise en musique par Wrekmeister Harmonies qui hausse toujours le ton et le rythme avec un batteur en mode automatique ainsi que les hurlements inhumains crachés par Chip King. La froideur clinique de l'ensemble créée un fort sentiment de malaise atteignant son apogée dans les six dernières minutes, se révélant des plus nauséeuses – à rapprocher de l’œuvre de The Body. La tension retombera néanmoins en toute fin de titre où les notes stridentes laisseront place à des mélodies plus sobres et mélancoliques venant clôturer le drame.
J.R. Robinson aime raconter des histoires et il les aiment aussi noires que corsées. Passant d'une époque à l'autre, le collectif vous offre un voyage douloureux dans les limbes de notre société en évitant le pathos ainsi que la vulgarité facile. De plus, la toile de fond est beaucoup moins terne qu'il n'y paraît grâce aux nombreuses touches atmosphériques à la fois irréelles et vaporeuses venant ponctuer l'album. Si ce projet colossal – réunissant 30 artistes – semblait, à première vue, des plus casse-gueules, l'écoute de Night of Your Ascension vient rapidement mettre les choses au clair. L'ensemble est d'une grande fluidité et intelligemment construit, chaque acteur et actrice venant apposer sa propre marque de façon équilibré. Il aura fallu beaucoup de patience mais aussi pas mal d'abnégation à J.R. Robinson pour rencontrer tous ses invités de luxe et assembler ce puzzle musical. Certes quelqu'un(e)s trouveront cet album un peu trop « joli » et manquant d'audace. Personnellement je ne peux que saluer le travail de notre homme dont le résultat est plus que bluffant.
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