Triptykon - Requiem
Chronique
Triptykon Requiem (Live)
(Live at Roadburn 2019)
Depuis une vingtaine d’années, l’album live avec un orchestre est devenu une sorte d’exercice de style et même un passage obligatoire pour bon nombre de formations, dont certaines ont pu mettre à jour leur subite découverte de la musique classique, souvent avec un très mauvais goût affiché, au point même de ne pas s’empêcher de récidiver dans cette voie cette année, certains ont aussi expérimenté des choses avec un orchestre comme ce fut le cas avec Entombed et la relecture de l’album Clandestine et, enfin, d’autres ont pu parachever leurs velléités symphoniques en s’adjoignant les services d’un orchestre, je pense notamment à Therion et Septic Flesh pour les formations les plus connues dans ces domaines. Pourtant, il va bien falloir rendre un jour à César ce qui est à César et à Thomas Gabriel Fischer ce qui est à Thomas Gabriel Fischer. En effet, adjoindre des cordes et des instrumentations classiques dans le metal extrême, on le doit tout bonnement à Celtic Frost dès l’année mille neuf cent quatre vingt cinq sur l’album To Mega Therion, et plus précisément sur les titres Innocence and Wrath, Dawn of Mediggo et Necromantial Screams, et il suffira de voir combien cela a marqué le petit Christopher Johnsson par la suite. Aussi, lorsque le festival Roadburn annonça à l’automne deux mille dix neuf qu’il avait fait une commande auprès de Thomas Gabriel Fischer afin de parachever son Requiem avec le Metropole Orkest, - qui avait auparavant collaboré avec The Gathering, Epica et Within Temptation -, l’on ne pouvait qu’être impatient d’en entendre le résultat, ce que témoigne cet enregistrement.
Il faut d’abord préciser que l’écriture de ce Requiem a été étalée sur plus de trois décennies, puisque le premier chapitre, Rex Irae, avait été écrit pour l’album Into the Pandemonium et le dernier chapitre, Winter, n’était autre que la conclusion du magistral Monotheist paru en deux mille six. La partie centrale, Grave Eternal, fut donc composée pour l’occasion entre deux mille dix huit et deux mille dix neuf, s’étire sur plus d’une demie heure et fut donc jouée pour la première fois en public lors du festival Roadburn. L’on ne peut s’empêcher de saluer cette démarche, car au final, les chanceux qui ont pu assister à ce concert ont pu découvrir l’intégralité de ce Requiem durant ce set: l’on est loin du concert best-of avec un orchestre derrière, il ne fallait pas s’attendre à cela de la part de la tête pensante de Triptykon. Un public qui d’ailleurs se fait assez discret sur cette captation, puisque l’on ne l’entend qu’à la fin de Grave Eternal et de Winter, et pour avoir vu quelques prises de vues depuis le public de ce concert, - car j’étais vraiment impatient d’en entendre le résultat étant donné que je n’ai pu aller à ce festival -, il devait y avoir une forme de respect en découvrant cette œuvre dans sa globalité. Comme il fallait s’y attendre avec ce festival, le son est très bon et surtout bien dosé, en ce sens que l’on perçoit aussi bien les instruments classiques que les instruments métalliques, ce qui permet surtout de profiter de toutes les subtilités des instruments et des différentes parties, notamment sur le développement de Grave Eternal.
En prenant dans sa globalité, l’on peut déjà saluer le talent d’écriture du Suisse, car il y a une réelle cohérence entre les trois mouvements, entre Rex Irae plus dynamique, Grave Eternal plus méandreux et Winter plus mélancolique. La première bonne surprise que l’on a d’entrée de jeu, c’est le choix pertinent pour le chant féminin en la personne de Safa Heraghi, toute aussi excellente au chant clair, avec un ton assez désespéré, que dans les passages, assez peu nombreux, en chant forcé, où elle se débrouille très bien. C’est d’ailleurs bien trouvé de lui permettre d’aborder ces deux facettes pour ces parties, entre ombres et flamboiements. En dehors de quelques passages où l’orchestre vient appuyer certains passages sur Rex Irae, il ne faut pas s’attendre ni à du grandiloquent, ni à du bombastic et encore moins du Hollywood metal sur cet enregistrement. Il s’agit bien d’un Requiem, une messe des morts si l’on prend son acception classique, sauf qu’ici il n’y a pas de complaintes envers dieu, l’on parle tout de même d’une musique composée par l’âme de Hellhammer, de Celtic Frost et de Triptykon, et il n’y a rien de lumineux dans cette oeuvre. Il y a bien de cette atmosphère de fin de vie, de lamentations et de renoncement, quelque chose d’assez rampant en fait et que développe bien la pièce centrale qu’est Grave Eternal. L’on y joue ici bien plus sur quelque chose de menaçant, insistant énormément sur les moments les plus intimistes sur sa partie centrale. Il faut dire que le rythme très lent de la chose renforce cette impression, restant ainsi dans la lignée de ce que propose Triptykon depuis ses débuts, et dans la lignée de Monotheist.
En fait, que ce soit dans sa globalité que pour ce qui est du titre Grave Eternal, le parti pris fut de mettre en retrait les instruments métalliques au profit de l’orchestre et toutes les subtilités qu’il offre, exception faite de la batterie martelée comme un damné par le nouveau venu Hannes Grossmann. Car après une transition assez lente pour amorcer le périple après Rex Irae, et où V. Santura peut s’exprimer, c’est bien vers une forme de minimalisme que l’on avance avec ce rythme étouffant et ces paroles accès succinctes et répétées au minimum. L’orchestre et les choeurs sont vraiment bien utilisés, que ce soient les percussions ou les cloches, qui rappelleront la Symphonie Fantastique de Fauré, ou bien encore les cordes, parfois dissonantes, et les cuivres donnant de la gravité à l’ensemble, tout a bien été agencé pour donner à cette pièce centrale cette sensation d’agonie et de fin de vie. L’on prend d’ailleurs bien le temps d’installer cette ambiance assez irréelle avant que le chant n’apparaisse. C’est une très belle transition entre les deux parties, et, à un moment donné, l’on a même une annonce du thème de Winter, avant que l’on reparte sur des fausses pistes bien plus tortueuses. Il y a tout de même une sorte de climax vers la fin de cette pièce, ce moment où les guitares reprennent les devants dans une trame très triste et solennelle et où V. Santura vient s’exprimer avec des leads pleureuses, avant ce final assez abrupt. Abrupt, mais attendu car il laisse sa place à ce Winter qui est presqu’une forme de libération, mais une libération dans l’affliction.
Ce Requiem n’est pas une énième transposition métallique avec un orchestre pour assouvir quelques velléités de compositeurs grandiloquents, même si l’on sait combien Thomas Gabriel Fischer peut avoir des tendances mégalomanes par moments, mais bien une œuvre à part entière. L’on a bien ici une volonté de proposer quelque chose de différent et assez avant-gardiste dans la forme, même si l’on peut y retrouver les influences d’un Mahler ou d’un Fauré par exemple, sans trop en faire au final, car même si la pièce centrale excède les trente deux minutes, au final ce Requiem n’excède pas les trois quart d’heure, ce qui rend l’ensemble assez digeste. Surtout, ce qui fait tout l’intérêt de ce Requiem, c’est qu’il met bien en symbiose les parties métallisées et les parties orchestrales, dans ce sens où l’orchestre et les choeurs ne sont pas un prétexte pour agrémenter des compositions de metal extrême, voire même en oppositions, mais sont bien pris en tant que tels, et c’est même plutôt les parties métallisées qui viennent en accompagnement de l’orchestre. Rien de grandiloquent au final, nous sommes d’accord, mais juste une démonstration que l’on peut faire une musique qui demeure sombre, voire suffocante, et sans avoir besoin d’utiliser tous les instruments mis à sa disposition comme autant de feux d’artifices. Oui, ce Requiem est une réussite et montre une fois encore qu’il faut toujours compter sur ce bon vieux Thomas Gabriel Fischer pour nous montrer le chemin vers l’obscurité.
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