Bethlehem - Dictius Te Necare
Chronique
Bethlehem Dictius Te Necare
« Il y a dans tout dément un génie incompris dont l'idée qui luisait dans sa tête fit peur ».
Que cette sentence d’Antonin Artaud résonne tellement pour décrire le contenu de cet album, et le parallèle entre celui-ci et l’auteur de Pour en finir avec le jugement de Dieu, - pour qui aura eu la chance d’écouter l’enregistrement de cette émission radiophonique censurée - est assez éloquent, même s’il peut être assez ténu. L’hystérie et la folie pure, il n’y aura sans doute pas meilleure façon de décrire ce que l’on ressent sur quasiment trois quarts d’heure que dure ce deuxième album des Allemands de Bethlehem intitulé Dictius Te Necare, qui signifie: tu dois mourrir. Le décors est ainsi planté. Mais lorsque j’évoque l’hystérie, l’on parle ici d’une hystérie qui n’est pas de pacotille, ni encore moins surfaite. C’est même une hystérie toute humaine, et même tellement humaine, qui éclabousse sur ce Dictius Te Necare et qui en fait non seulement l’un des actes fondateurs de ce que l’on appellera par la suite le Dark and Suicidal Black Metal, mais aussi, et à titre purement personnel, l'un de mes disques de chevet. De celle qui ne laissera jamais indemne son auditeur et qui vous collera à jamais, tant il y a ici, et sans doute avant toute chose, une sincérité dans la démarche. C’est évident que certains visuels et certaines déclarations présentes dans ce disque peuvent prêter à sourire, tant c’est devenu par la suite un fond de commerce pour tant de groupes, mais c’est par ici que tout a pris forme. Surtout, c’est par ici que l’on revient toujours car très peu de disques arrivent à une telle intensité dans la démence.
Cette hystérie collective est palpable d’entrée de jeu, et l’on pourrait même dire, si l’on voulait être précis, sur la trentaine de secondes par laquelle débute le titre Schatten Aus Der Alexander Welt, et pas uniquement dans ce chant complètement halluciné de Rainer Landfermann, - même s’il joue évidemment un grand rôle dans cette teinte -, qui aura, le temps d’un album, sur explosé les standards du chant d’aliéné, faisant passé un Varg Vikernes ou bien encore un Andreas Classen et un Marco Kehren pour des personnes saines d’esprit, mais bien dans cette attaque en règle sans coup férir, et il va en être question sur ces sept titres. Et pourtant, ce que l’on retiendra dans un premier temps, et même dès l’ouverture de cet album, ce sont ses cris inhumains, ceux d’un fou qui aurait laissé sa santé mentale dans un recoin inaccessible depuis des années, et qui n’attendait plus que ça pour déverser toutes ses névroses et toute sa haine. Oui, il y a effectivement des chanteurs qui se prétendent névrosés, camés jusqu’aux ongles, et malsains. Rainer Landfermann n’a, quant à lui, besoin que d’être lui-même pour exprimer tout ceci, et même bien plus encore. Et démontrer à quel point toute cette douleur l’habite, la hante jour après jour, nuit après nuit. Ça hurle à la mort, ça pleurniche tel un bambin qui ferait une crise pour assouvir un caprice, ça peut faire penser au sentiment d’abandon par moment, mais ça ne laissera aucunement indifférent. Ça peut prêter à sourire tous ces cris d’orfraie, mais ça s’insinue bien plus profondément qu’on ne le pense. Ça vous poursuit tout le temps, et cette rencontre sera bien plus qu’anodine.
Mais toute cette agitation serait absolument insignifiante si la musique ne reprenait pas ce créneau, car ici tout est fait en sorte pour mettre l’auditeur dans une situation d’inconfort, et même de mauvais traitements, et, surtout, constamment, sans aucun répit. Effectivement, ça virevolte tout le temps entre des temporisations proches du doom death metal, surtout sur Die Anarchische Befreiung der Augenzeugenreligion, et des éléments inhérents au black metal, notamment dans ces passages bien véloces, typiques au style. En soit, l’on pourrait dire que rien n’a vraiment changé par rapport au premier album Dark Metal, et pourtant, il n’en est rien. Ici, Jürgen Bartsch et compagnie poussent tous ces éléments à l’extrême, se permettant de temps à autres quelques expérimentations et donnant à cet ensemble des plus disparates une véritable originalité. D’une certaine manière, il y a quasiment un esprit progressif dans cette volonté de passer du coq à l’âne, sauf qu’ici il n’y a rien de concret pour vraiment vous accrocher et que, malgré tout, il y a tout de même cette volonté de faire mal qui reste la seule ligne directrice des Allemands. Tout au plus sont re-exposés certains riffs, histoire de pouvoir se raccrocher à une quelconque branche, tant l’effet d’une chute sans fin en direction des tréfonds de l’âme est aussi ce qui vient à l’esprit avec cet opus. Ici, ça part souvent dans tous les sens, ça pétarade sans coup férir pour s’arrêter aussi brutalement que cela était parti. Et c’est là, l’une des caractéristiques fondamentales de cet album, c’est qu’il est dérangeant dans tous les sens, il n’y a rien de beau ici, rien où l’on pourrait s’extasier ou bien être contemplatif.
Non, il n’y a ici que noirceur. Tout est noir et tout doit le demeurer. Ce côté dérangeant et qui suinte tellement par tous ses oripeaux d’un mal être tellement profond, il est d’autant plus renforcé par l’usage exclusif de la langue de Goethe, qui rend le tout encore plus dominateur, encore plus dérangeant et encore plus décadent. Mais il y a presque quelque chose d’inhérent au romantisme de Goethe, dans ce vague à l’âme qui transperce en filigrane et dans cette mélancolie qui éclate après les coups de fureur. C’est là que tous ces passages aux sons clairs prennent toute leur ampleur, et ils sont assez nombreux sur cet album. Et non pas en donnant une espèce de sentiment d’apaisement, mais bien en enfonçant encore plus l’auditeur dans une affliction toute aussi délétère et ravivant, de cette manière, certaines blessures que l’on pensait enfouies. C’est même là que le quatuor fait encore plus mal, car il lamine tout espoir de rédemption et de retour à la raison, je pense notamment aux fins de Aphel - Die Schwarze Schlange et de Tagebuch Einer Totgeburt à vous glacer le sang, notamment quand la saturation revient après l’accalmie. Tout ceci n’est qu’une horreur sans fin, un repoussoir et un écrouissage en règle. Il y a presque une forme de masochisme à s’infliger tout ceci, à vouloir se bercer dans la fange, mais cela nous rappelle aussi combien nous sommes humains, et que cette face sombre, qui devrait demeurer cachée dans un monde post-moderne fait de futilités et de faux semblants, resurgit au grand jour sans cache-misère.
Tu dois te tuer toi même. Il n’y a sans doute pas meilleure accroche pour décrire cet album, malsain au possible et ouvertement dédié aux victimes de suicide. A partir de là, quasiment tout est dit concernant ce Dictius Te Necare, où l’album avec un fou, du nom de Rainer Landfermann, qui hurle et se complait dans la douleur, sans jamais laisser de place aux bons sentiments. Faut-il avoir souffrir pour vraiment comprendre cet album, je n’en sais trop rien, mais en tout cas, il me laissera toujours les yeux embrumés avec une boule d’angoisse qui monte du ventre et un dégoût certain pour ce monde et tout ce qu’il représente. Il est cet épitomé à l’aune duquel se mesurent la souffrance et l’aigreur faites musique et le meilleur compagnon de ces temps incertains.
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