Vous connaissez sans doute « la vallée dérangeante », cette théorie scientifique selon laquelle plus un robot nous ressemble et plus ses imperfections ou différences nous semblent gênantes. Si je vous en parle, c'est parce qu'elle décrit bien le chemin que j'ai eu à parcourir en écoutant ce nouvel album de Bethlehem.
Car à une époque où on transforme en franchise chaque chose ayant marqué son temps, Bethlehem a suivi cette tendance en annonçant un retour au source de sa trilogie la plus connue et estimée : celle de
Dark Metal,
Dictius Te Necare et
Sardonischer Untergang im Zeichen irreligiöser Darbietung et son black metal particulier, à la fois hystérique et morbide. Un mélange détonnant qui a influencé toute une scène, de Shining à Silencer pour les plus connus. C'est donc une sorte de retour du Roi qui était annoncé, Jürgen Bartsch ayant remanié sévèrement le line up de la formation pour l'occasion, entre retour de membre historique (le batteur Worz) et accueil de nouvelles personnalités, à commencer par Onielar, chanteuse de Darkened Nocturn Slaughtercult. Présenté – « vendu » pourrait-on dire, tant la campagne promotionnelle de ce nouveau disque a appuyé sur une certaine nostalgie – comme la suite que les amateurs des débuts ont attendu, ce huitième longue-durée avait pour but d'aussi bien fêter un anniversaire (les vingt-cinq ans du projet) que remettre Bethlehem sur la carte, ce dernier étant progressivement tombé dans l'oubli après des expérimentations hasardeuses plus ou (surtout) moins réussies.
Et malgré une qualité d'ensemble qui apparaît d'emblée (les morceaux « Fickselbomber Panzerplauze » et « Kalt' Ritt in leicht faltiger Leere » ne laissent aucun doute sur le sujet, tant ils ouvrent le bal de belle manière), une sensation déplaisante est survenue au départ. Le Bethlehem de 2016 possède à la fois tout ce qui faisait le force de ses premières réalisation – à commencer par des vocaux époustouflants faisant rimer Goethe et Goth par leur saut à pieds joints dans le théâtral – et des éléments qui, sans être nouveaux, ne donnent pas exactement les mêmes impressions qu'auparavant. À avoir trop appuyé sur la corde sensible, Jürgen Bartsch et sa bande ont pris le risque de déstabiliser lors de l'écoute, créant un malaise à entendre une musique à la fois reconnaissable entre toutes et cependant différente.
Il y a en effet des nouveautés dans cette avancée vers le passé, malgré un guitariste appliqué à apposer la signature « Bethlehem » à ses moindres riffs à la fois black metal et imprévisibles au point de flirter aussi bien avec la new wave que le post-punk et l'industriel « Deutsche Qualität » (ces « boom-boom » un peu horripilants de « Verdammnis straft gezügeltes Aas » par exemple). Des nouveautés, telles qu'une efficacité d'ensemble qui abandonne la profondeur d'un
Dictius Te Necare pour rendre l'expérience plus confortable qu'autrefois. En effet, ce nouvel essai est musical de bout en bout, délaissant la sensation de se faire triturer le cerveau pour mieux prendre l'auditeur entre ses doigts. Un parti pris judicieux, une fois que s'abandonne l'idée de trouver dans le nouveau ce qui a plu dans l'ancien, tant des titres comme « Die Dunkelheit darbt », « Verderbnisheilung in sterbend' Mahr » et surtout ce beau final gothique qu'est « Kein Mampf mit Kutzenzangen » parviennent à nous toucher, là où les Allemands pouvaient s'avérer parfois trop hermétiques. Affiné, mis au goût du jour, le style de Bethlehem a gagné en force, devient étrangement jouissif, à défaut de surprendre totalement.
S'il est clair qu'avec un tel objectif en tête, Bethlehem pouvait difficilement mettre à genou, le résultat fait rapidement oublier toute critique envers cette démarche réactionnaire. Impossible de ne pas croire que chacun s'y est appliqué du mieux qu'il pouvait, à l'image de Onielar qui irradie avec ses cris de harpie, ses gloussements désespérés, une folie constante qui, souvent, coupe le souffle (« Gängel Gängel Gang » !). Aidée par des mélodies grotesques, tantôt assassines (le début de « Kalt' Ritt in leicht faltiger Leere »), tantôt troubles (« Kynokephale Freuden im Sumpfleben »), ainsi qu'une production opaque restituant parfaitement les moments abrasifs aussi bien qu'atmosphériques, elle montre à elle seule la sincérité, le « plaisir », qui paraît avoir marqué cet exercice.
Bethlehem a réalisé une belle œuvre pour ses vingt-cinq ans. Ne tombant pas exagérément dans le rappel au passé, il paraît avoir trouvé une seconde jeunesse avec l'arrivée de nouvelles têtes, ce qui n'est pas un mince exploit après les errances qu'a connu le groupe. Seulement, quelques passages un peu trop chargés empêchent ce disque de se mettre au même rang qu'un
Dictius Te Necare par exemple. Ce que, encore une fois, il ne cherche pas à faire malgré des intentions affichées. Par contre, il marque sans hésitation cette année.
L'édition limitée de l'album contient un disque supplémentaire intitulé Höllenfahrt - Skärselden
avec des versions démos de « Fickselbomber Panzerplauze » et « Kein Mampf mit Kutzenzangen » ainsi que deux titres, « Bosheit gebärt ins Gestirn toter Sinne » et « Gestrandet am Fuße des Nichts », qui sont des chutes studio des sessions d'enregistrement. Tous dispensables (voire inutiles, comme la longue plage ambient « Gestrandet am Fuße des Nichts »), ils n'apportent rien à l’œuvre originale. À moins d'être un fan absolu de la formation, passez votre chemin sans regret et jetez vous sur l'édition classique !
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