Primus - Sailing the Seas of Cheese
Chronique
Primus Sailing the Seas of Cheese
Lors de ma précédente chronique, j'évoquais la mauvaise fortune de (DOLCH) ayant piétiné quelques années devant la porte d'entrée de Metal Archives. Le sort inverse attendait PRIMUS, puisqu'eux, la porte de sortie, on leur a montrée, en leur demandant de bien refermer derrière eux. J'imagine qu'on ne leur a pas pardonné la sortie en 2014 de Primus and the Chocolate Factory with the Fungi Ensemble, génial concept album inspiré de la célébrissime œuvre de Roald Dahl, mais, qui, il faut bien le reconnaître, n'a rien d'extrême.
C'est vrai que le cas de PRIMUS est pour le moins épineux : Metal or not Metal, that is the question... Le trio californien jouit depuis près de 35 ans d'une solide réputation et inspire le plus profond respect, y compris au sein de la sphère métallique, même si leur affiliation aux genres extrêmes est loin d'être une évidence. Certains n'ont peut-être pas encore compris, ni digéré, le fait que le guitariste Larry LaLonde, après avoir sorti Seven Churches avec POSSESSED, excusez du peu, intègre un improbable groupe de ... de quoi, au juste ? Funk Metal ? Avant-Garde Metal ? Psyché rock alternatif et expérimental ? Personnellement, je m'en bats le coquillage (pour rester dans la thématique marine). Il faut croire que Larry LaLonde n'a pas regretté son choix, car il n'en est jamais parti, si l'on fait abstraction de la courte période de séparation du groupe entre 2000 et 2003.
Cependant, sans offense pour ce cher Larry, mais aussi pour le batteur Tim "Herb" Alexander, citer le nom de PRIMUS, c'est honorer son bassiste et chanteur avant tout : l'inénarrable Les Claypool ! Auditionné pour remplacer Cliff Burton, mais recalé par James Hetfield car jugé trop doué, Les Claypool est une légende vivante de la basse, béni des Dieux de la quatre cordes, au talent de compositeur monstrueux, à la virtuosité rarement égalée, au chant atypique reconnaissable entre mille. ChaotH, de feu UNEXPECT, est peut-être le seul à avoir rivalisé avec Les Claypool lorsqu'il s'agit de me flanquer des papillons dans le bas-ventre, avec des lignes de basse alambiquées à tomber à la renverse. Génial créateur, insufflant tant de vie et d'animation à son instrument qu'il en devient expressif, oserais-je dire expressionniste : quelques notes suffisent à transporter l'auditeur dans un univers immédiatement reconnaissable (martèlement martial et voix autoritaire sur "Sgt. Baker", répétitive mélopée sur "American Life" ou "Fish On"). Poète chanteur à la voix tout droit sortie d'un cartoon, conteur des temps modernes et de la vie des petites gens, du quotidien de tout un chacun, jonglant avec les sons et les allitérations, grâce à ce double et immense talent d'instrumentiste et de chanteur, chaque titre de PRIMUS se transforme comme par magie en historiette, qu'elle soit tendre, bourrée d'humour, loufoque ou plus grave.
Sailing the Seas of Cheese, en plus d'être à mon sens la meilleure sortie du groupe, est le plus parfait exemple de tout ce joyeux bordel qui tourne dans la tête de ses prolifiques géniteurs. Ce deuxième album studio, sorti en 1991 chez Interscope Records, soufflant selon une logique implacable ses trente bougies cette année, est un savoureux assortiment de saynètes dans lesquelles se croisent et s'entrecroisent des êtres humains aux prises avec leurs joies et leurs peines, sans compter un joyeux bestiaire terrestre ou marin. Féru de pêche, Les Claypool (et sa bande) nous invite à monter à bord d'une embarcation craquante ("Seas of Cheese") où se trouve déjà une galerie de personnages attachants à qui il arrive tout un tas d'aventures dignes d'un recueil de Kenneth Cook... A moins que ? Laissez-moi divaguer : Californie, scènes du quotidien, pauvreté, désillusion de l'American Way of Life ("American Life"), mais de l'humour et de la tendresse dans tous les coins ? Il ne m'en faut pas plus pour établir un parallèle hasardeux, mais qui tient la route si l'on est aussi déjanté qu'eux, avec l'un des plus grands écrivains de tous les temps, John Steinbeck, auteur du roman Rue de la Sardine. Encore de la poiscaille, je vous le disais bien !
Les vrais gens, la vraie vie, les vrais drames, les vrais bonheurs, Sailing the Seas of Cheese est une divine comédie musicale, de l'accident de Jerry ("Jerry was a Race Car Driver") aux pérégrinations du matou Tommy ("Tommy the Cat") en passant par l'absurde et destructrice discipline militaire du "Sgt. Baker", qui n'est pas sans rappeler "cet adjudant de mes fesses" d'"Au Suivant" de Jacques Brel. L'antimilitarisme est d'ailleurs l'un des rares thèmes graves déjà abordés par PRIMUS avec l'excellent "Too Many Puppies" sur le premier album Frizzle Fry.
Est-il nécessaire de revenir sur la technicité dont fait preuve Les Claypool ? Slap, tapping, slide et j'en passe (les monstrueux "Fish On" et "Those Damned Blue-Collar Tweekers" en témoignent), ambiances jazzy, groovy, funky, le tout sans démonstration crâneuse, mais délivrées avec tant de chaleur et de générosité, lesquelles associées aux dissonances et aux mélodies de la guitare de Larry, explosent en un assemblage foutraque mais étonnamment fluide et cohérent. Il me sera toujours difficile de résister à la rythmique syncopée et plus agressive d'un titre comme "Is It Luck ?" (attention aux épileptiques tout de même), à l'enfantine ritournelle de "Here Come the Bastards" ou encore au groove so funky et imparable de "Tommy the Cat".
Sailing the Seas of Cheese m'accompagne depuis près de trois décennies, c'est mon "albicament" à moi, le phare qui me guide dans les remous tempétueux de la vie, la tranche de bonne humeur à laquelle il faut parfois - souvent - s'accrocher, avec les dents s'il le faut, celle qui commence par me faire décrocher un timide sourire, puis me déhancher, pour enfin yaourter à pleins poumons sous la douche ! Depuis toutes ces années, je n'ai jamais eu l'once du début d'une indigestion. Je peux m'en gaver, me noyer dedans ou même boire la tasse, cholestérol, poignées d'amour ou haleine de poney, même pas peur ! Ce disque est une délicieuse galette qui aurait sans aucun doute sa place dans mon coffre de pirate si je devais m'échouer sur une île déserte, après un naufr(om)age.
Je n'ai vu PRIMUS qu'une seule fois, le 12 juin 2015 au Trianon à Paris. Ce bien nommé ticket d'or (il s'agissait de présenter The Chocolate Factory) était un cadeau d'anniversaire et bien que modeste par son coût, il reste l'un des plus précieux que l'on m'ait offert. J'en ai vu des concerts et ressenti des émotions puissantes devant des artistes, mais ce jour-là restera gravé dans ma mémoire : l'intensité d'un moment de pur bonheur, l'émerveillement d'une pauvresse devant une montagne de cadeaux le soir d'un miracle de Noël, la joie intrinsèque que seule la candeur de l'enfance peut susciter. Des applaudissements ininterrompus pendant de longues minutes, le plancher de bois du Trianon pas loin de s'effondrer sous le piétinement du public qui n'avait pas assez de ses mains pour manifester sa gratitude, les mêmes yeux embués autour de moi.
J'ai bien conscience que l'article que vous êtes en train de lire est bien plus qu'une simple chronique, basée sur une analyse clinique et stylistique d'un album parmi un océan d'autres. J'assume totalement cette déclaration d'amour inconditionnel à cet incroyable et intemporel album que restera pour moi Sailing the Seas of Cheese et plus largement au groupe fabuleux qu'est PRIMUS. J'ose espérer que vous me pardonnerez mes digressions et qu'avec un peu de chance, vous me comprendrez.
| ERZEWYN 28 Février 2021 - 1088 lectures |
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