Le café Charbon est déjà sympa en temps normal grâce à ses très jolies serveuses, mais il devient totalement incontournable quand Paul et Sean s'y posent pour répondre aux nombreuses demandes d'interview. Et quand la chance me permet d'avoir les deux en même temps au bout de mon micro, je deviens le plus heureux des hommes. Comment avez-vous eu l'idée de Re-Traced ?
Paul : À la base il y a deux choses, les démos de
Traced In Air étaient déjà très proches de
Re-Traced. On avait déjà ces versions très minimalistes des morceaux, donc c'était comme revenir aux racines de ces titres, là d'où venait la musique. Et puis nous avons eu ce mois sabbatique entre deux tournées l'année dernière et nous sommes demandés comment utiliser ce temps de la façon la productive possible. Alors on est allé dans nos home studios et on a commencé à enregistrer ces morceaux à nouveau, comme des démos. Une chose en a entraîné une autre et au final ils ont sonné comme ça, c'était vraiment une expérimentation, on n'avait rien planifié. Mais ça a marché.
Pourquoi ne pas avoir composé de nouveaux solos pour Re-Traced ?
Paul : Je ne sais pas, je pense que les titres fonctionnent comme ils sont maintenant, ils n'en avaient pas vraiment besoin. On voulait plus réinterpréter les morceaux d'une manière différente, quelque chose qui ne serait peut être pas metal mais d'un type différent. Ça a pris beaucoup de temps d'arranger les titres tels qu'ils étaient, ils n'avaient pas vraiment besoin d'être beaucoup changés, ils fonctionnaient. Pour Re-Traced on voulait surtout leur donner une nouvelle identité, tu sais.
Est-ce que Wheels Within Wheels, sans vocoder ou vocaux death metal, est représentatif du futur de Cynic ?
Paul : Pas nécessairement, non. En fait, Wheels a été écrit avant
Traced In Air, on l'a eu sous la main depuis longtemps et je pense qu'il n'était pas pertinent dans le contexte de
Traced In Air, mais je ne pense pas qu'il représente quoique ce soit de notre futur, il prend juste son sens avec cet EP.
Sean : Et il a dit, vocalement, c'est là où tu veux aller ?
Paul : Je ne sais pas de quoi sera fait le troisième album, il pourrait y avoir plus de vocoder, il pourrait y en avoir moins, il pourrait y en avoir...
Sean : Ne pas y en avoir du tout ! C'est bien ainsi à l'heure actuelle !
Paul : Oui, je pense que l'idée est d'étendre le champs des possibilités pour Cynic, être capables de faire ce que l'on veut. Il n'y a pas de règles dans ce domaine.
Vous ne savez pas de quoi le prochain album aura l'air, mais vous avez déjà commencé à composer le prochain album, vous l'avez dit sur le Metta Mind Journal.
Paul : Oh oui, j'ai beaucoup de matériel en stock, probablement plus de la moitié d'un album composé, mais maintenant il faut replacer cela dans le contexte du groupe : commencer à jouer, en faire de véritables titres. C'est là que le vrai travail du groupe commence. Mais oui, j'ai toujours une accumulation de morceaux bruts.
La production de Re-Traced est complètement différente de celle de Traced In Air, avec notamment une basse beaucoup plus proéminente. Comment voyez-vous ce contraste ?
Paul : On a enregistré
Re-Traced chez nous, on a tout fait sur nos home studios, plus dans un style indépendant. On avait produit
Traced In Air dans un studio bien plus important, et on y a mis beaucoup plus d'argent !
(rires) Mais je ne sais pas si ça sonne nécessairement mieux. C'est une sonorité différente : la différence flagrante entre les deux est au niveau de la batterie. Celle sur
Traced In Air est vraiment omniprésente, proéminente, sur
Re-Traced elle a une couleur différente, plus électronique, avec d'autres sonorités... Je pense qu'il y avait besoin d'une autre approche, et on a juste essayé de servir la musique comme elle devait l'être.
Robin a un style très différent de celui de Sean Malone, et il apporte une fraîcheur nouvelle à Cynic. Est-ce que ça été facile pour lui de suivre les traces de Sean Malone ?
Paul : Je ne crois pas que ce soit facile pour quiconque de marcher sur les traces de Sean Malone, c'est un musicien phénoménal, et Robin est significativement plus jeune également. Mais Robin a une sensibilité naturelle...
Sean : Sa technique est vraiment bonne. Je pense que le fait qu'il ait eu à apprendre deux albums de Sean, à les jouer, est en train de lui inculquer la mentalité de Cynic, de lui donner la démarche et le vocabulaire. « Wheels Within Wheels » est probablement encore très proche du contexte de Sean Malone, parce que les autres morceaux de
Re-Traced sont plus ouverts. À partir de maintenant nous allons entendre Robin, parce que même avec
Re-Traced nous nous sommes concertés, on s'est dit « essayons ci, essayons ça ». Il a même dit qu'il aimait qu'on lui dise en quelque sorte quoi jouer, donc il est toujours en train d'apprendre comment il sonne, quelque part. Mais sa technique, son style et son enthousiasme sont vraiment irréprochables. Et comme il l'a dit, il n'aurait pas pu avoir de meilleur prédécesseur pour établir le standard.
Paul : Oui, il joue les parties de Sean Malone depuis des années maintenant, il connaît la musique.
Que pensez vous de la mise en stand-by Exivious ?
Paul : C'est une chose que nous faisons tous, nous avons fait pareil avec Aeon Spoke. Je pense que nous savons tous que créativement nous avons des tas de possibilités, c'est une situation confortable pour tout le monde parce que nous sommes tous enthousiastes de faire Cynic tous ensemble.
(ndlr : Tymon me confirmera à la fin du concert que Exivious est en stand-by à cause de l'éloignement des membres, à moitié aux Pays-Bas et à moitié à Los Angeles, mais que le groupe n'est pas définitivement enterré).
Lors de votre prochaine tournée américaine vous allez jouer l'intégralité de Focus et Re-Traced, est-ce que vous allez immortaliser ce moment avec le DVD que beaucoup de fans attendent ?
Paul : Sûrement, oui ! On s'est posé la question, et je pense que ça se fera sur cette tournée, juste parce que je pense qu'elle sera mémorable. Heureusement, on devrait être capable de faire de bonnes prestations et en faire un DVD.
Lors de votre tournée de reformation en 2007, vous avez joué un morceau de Portal, « Cosmos ». Est-ce que vous envisagez parfois de jouer à nouveau du Portal sur scène ?
Paul : On va jouer « Cosmos » pour la tournée américaine, et peut être... en fait je ne sais pas, je crois que c'est tout ce que nous envisageons pour le moment. On essaye de toujours aller de l'avant, nous voulons jouer plus de nouveaux morceaux au lieu de toujours nous retourner sur le passé.
Sean : Je pense qu'une des raisons pour lesquelles nous le faisons est qu'en quelque sorte ça clôt notre passé, la célébrité de
Focus... Portal est le chaînon manquant entre
Focus et
Traced In Air, donc pourquoi ne pas jouer au moins un morceau et atteindre le prochain palier...
Paul : Certains titre comme « The Circles Gone » ou « Endless Endeavors » seraient cools..
Sean : Donc qui sait ? C'est une bonne chose à propos de Cynic, on ne sait jamais ce qu'il adviendra !
Paul : Peut être que nous ferons une tournée avec Portal !
(rires)
Est-ce que Aeon Spoke restera en stand-by aussi longtemps que Cynic demeurera actif ?
Paul : Je pense que oui. Cynic est notre priorité maintenant, c'est un travail à plein temps qui me prend toute mon énergie.
Sean : C'est vraiment intéressant de voir comme les frontières sont floues, et sont en train de se confondre désormais avec
Traced In Air et
Re-Traced, quand on considère les styles de Aeon Spoke et Cynic. Je pense qu'ils ont commencé à se mélanger. Peut être que dans 10 ans, si nous ne sommes plus en train de faire Cynic, Aeon Spoke pourrait revenir, mais Cynic pourrait être capable d'épouser la plupart des qualités d'Aeon Spoke sans qu'il soit besoin de les séparer.
Paul : L'idée c'est d'avoir avec Cynic suffisamment de possibilités pour faire ce que l'on veut. C'est ça l'idée, ne pas avoir de barrières et être capables de...
Sean : D'assortir les couleurs.
Paul : Oui, pouvoir tout faire. Je n'aime pas l'idée de faire plusieurs groupes ou side-projects, si on peut tout faire dans un seul groupe, c'est mieux. Jusqu'ici nous avons été très libres avec Cynic, donc nous verrons.
Est-ce que le clip de « King Of Those Who Know » est toujours d'actualité ?
Sean : Oui, nous l'attendons toujours ! On nous a dit que ce serait près dans un mois, et c'était il y a quelque chose comme deux mois !
(rires)
Paul : On a tourné la vidéo, filmé, et tout le reste... mais le gars qui s'occupe du montage est un animateur à Mexico et nous savons qu'il est très occupé, donc... nous verrons bien.
Donc il devrait bien voir le jour ?
Sean : Un jour peut être !!!
(rires)
Paul : Peut être après la sortie du prochain album, qui sait ?
Le patron de Season Of Mist dit souvent que peu de groupes sont rentables aujourd'hui, mais parmi tous ceux de son catalogue, Cynic reste le meilleur vendeur. Comment expliquez-vous que malgré la complexité de votre musique et un stand-by de 13 ans vous ayez toujours autant de succès ?
Paul : Je ne sais pas, c'est la part de mystère de la musique, on ne sait pas comment les gens s'y reconnaissent, et je suis juste reconnaissant que ça fonctionne à l'heure actuelle. Je pense que si les maisons de disque comprenaient comment cela fonctionne, ils seraient dans une situation bien meilleure. Cynic a de toute façon toujours été un peu différent des autres groupes, on a été plus originaux...
Sean : Je pense que c'est aussi grâce au fait que nous sommes honnêtes avec nous mêmes à propos de ce que nous jouons et que nous écrivons. On n'essaye pas de sonner comme ci ou comme ça parce que c'est la tendance du moment. On a toujours été honnêtes, et je crois que les gens y répondent favorablement.
Paul : Oui, nous essayons de garder les pieds sur terre et nous nous concentrons toujours sur les morceaux. Ils doivent fonctionner sans qu'on prenne de raccourci ou que l'on brusque les choses. Pour nous ça vient d'abord du cœur, et peut être que les gens le sentent et se reconnaissent là dedans. Ils voient que ça vient d'un réel travail...
Vous avez une relation spéciale avec un musicien français de Kalisia, Brett Caldas Lima, qui a même été votre ingénieur du son sur les deux précédentes tournées américaines. Pouvez-vous en dire plus sur cette relation ?
Paul : On l'a connu par le forum de Cynic, dont il était un membre très actif. En fait, on l'a rencontré pour la première fois quand nous avons joué au Hellfest. On avait besoin d'un ingénieur du son, et comme nous savions qu'il était bon, une chose en a entraîné une autre...
Sean : Et puis il y a eu cette compétition pour faire les vocaux death sur « Uroboric Forms » pour la date à Paris.
(ndlr : compétition que Brett a gagné)
Paul : Non... C'était Paris ?
Oui, c'était Paris.
Sean : Oui... Je crois qu'on l'avait déjà rencontré au Hellfest, et on a gardé le contact. Et puis je savais que c'était un bon ingénieur du son.
Vous tournez actuellement en France avec Gorod, qui tout comme Kalisia a repris un titre de Cynic, Textures. Vous l'avez écouté ?
Paul : Oui, ce sont des gars très cool, ils ont fait un très bon boulot.
Vous dites souvent que vous aimez la France et sa culture, le lien que vous avez avec les fans français et la façon dont ils comprennent votre musique. Alors, quand est-ce que vous achetez une maison chez nous ? (rires)
Sean : Je pense qui si nous devions acheter une maison en France nous réfléchirions sérieusement à son emplacement !
(rires)
Paul : Si j'avais assez d'argent un jour, j'envisagerais certainement d'avoir un appartement à Paris. C'est une ville exceptionnelle, c'est très facile d'y vivre. C'est comme New York ou n'importe quelle autre très grande ville c'est très... pratique !
Puisque vous avez très bien connu Chuck Schuldiner, que pensez-vous de la sortie du second album Control Denied, presque 9 ans après sa mort ?
Paul : Je pense que c'est probablement ce que Chuck aurait voulu, il avait déjà enregistré les guitares de cet album et il est mort pendant pendant le reste de l'enregistrement. Les œuvres posthumes sont toujours un sujet délicat, parce que Chuck n'est plus là pour voir le résultat, à quoi ressemble tout ce travail. Mais je pense que pour tous les fans qui ont permis de continuer à faire vivre sa musique, ce sera un beau cadeau. Je sais qu'on a pris soin de garder les musiciens originaux impliqués dans le projet, l'enregistrement, et tout le reste, donc c'est vraiment ce que Chuck aurait voulu.
Paul, tu écris un blog, le Metta Mind Journal, où tu partages tes sentiments à propos d'évènements de ta vie quotidienne. Est-ce que tu envisages un jour d'écrire sur ton passé avec Death, les premières heures de Cynic, etc. de la même manière ?
Paul : Peut être, il y a définitivement beaucoup de choses à raconter sur cette époque. Via le blog je m'intéresse plus à ma vie actuelle, mais je pense qu'un jour peut être que j'explorerai le passé également, nous verrons bien. C'est une chose que les gens me réclament, parler du temps passé avec Chuck, et tout le reste...
Un ami à moi m'a dit que certaines paroles de Cynic lui évoquent les visions et l'expérience qu'entraînent la prise d'ayahuasca (un psychotrope puissant utilisé par certaines tribus amazoniennes comme médicament et qui aurait la propriété de modifier totalement la perception du monde après consommation), notamment « The Space For This ». Est-ce que ce sujet d'un « nouveau niveau de conscience » est un élément central du nouveau Cynic, peut être lié à la façon dont tu perçois le monde après ta dépression ?
Paul : Je pense que définitivement, je ne suis plus la même personne après avoir beaucoup essayé l'ayahuasca, ça a changé la façon dont je vois les choses.
Vous l'avez essayé ?
Paul : Oh oui, souvent.
Sean : Pas encore pour ma part, je suis un peu effrayé, honnêtement !
(rires)
Paul : Effectivement, « Nunc Fluens » et « The Space For This » traitent entièrement de ce sujet. Ça change la façon dont tu vois le monde tu sais... de la même manière que peut le faire le LSD. Mais l'ayahuasca agit plus sur le cœur, alors que le LSD le fait au niveau de la tête... c'est très différent. Mais oui, le monde chamanique est définitivement puissant, et a beaucoup d'aspects intéressants à explorer si l'on est disposé à y regarder d'un peu plus près. Donc oui, ça a affecté la façon dont Cynic sonne, et la direction des paroles, absolument. Mais nous ne sommes pas des accrocs à la drogue ! (rires)
Je n'aurais pas osé cette question ! (rires)
Tu sais, c'est bon pour le cœur
(ndlr : pas d'un point de vue médical, évidement), ce n'est pas une drogue festive.
Ici s'acheva l'interview. J'aurais aimé en demander plus sur Brett, sur Season Of Mist, et vu la gentillesse de Paul et Sean j'aurais sûrement pu tenir deux heures de plus, mais 20 minutes c'est déjà beaucoup, et j'espère que j'aurai contenté tous ceux qui se sont posés des questions après Re-Traced ainsi que ceux qui m'ont sympathiquement fait part de leurs questions (merci en particulier à Arnaud ainsi qu'à Yohm pour cette question très pertinente). Je tiens enfin à remercier tout particulièrement Rose de Season Of Mist pour sa gentillesse et son accessibilité, mais surtout pour m'avoir laissé l'occasion d'avoir à la fois Paul et Sean autour d'une même table grâce à un interviewer démissionnaire, ce qu'aucun autre média hormis un homme doté d'une caméra n'aura réussi à avoir ! Ce n'est pas tous les jours que j'ai la chance de rencontrer des musiciens que je vénère littéralement, et sans elle rien n'aurait été possible, encore merci. ---
Traduction par
von_yaourt
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