Suite de notre échange avec AK, pour aborder cette fois les thématiques développées au sein du groupe, ainsi que ses aspects production.
17/ « Decline Of The I » était un titre de ton projet solo LOVE LIES BLEEDING. En plus du clin d’œil, comment l’avais-tu choisi comme nouveau nom de groupe ? Quel sens y mets-tu derrière ?
C’est quelque chose que je porte littéralement en moi depuis ma naissance parce qu’il se trouve que quand on prend les lettres de mon nom et de mon prénom ça fait en anagramme « Au déclin de ce je » et en traduisant, Decline Of The I. C’était l’ancien chanteur de LOVE LIES BLEEDING qui avait eu l’idée de reprendre ça comme un titre d’un des morceaux du dernier album intitulé « Clinamen ». Et je me suis rendu compte que ça sonnait bien, qu’on pouvait difficilement faire plus personnel que de prendre l’anagramme de son propre nom, que le sens était en même temps hyper fort, du coup c’est venu très vite quand il fallut trouver un nom pour ce projet. En 2006, quand j’ai commencé à me rendre compte que ce que je commençais à faire n’était plus trop LOVE LIES BLEEDING et que ça devait être autre chose, assez vite j’ai eu l’idée d’appeler ça DECLINE OF THE I.
J’aime bien également la double approche, simplement très pessimiste, noire sur la déliquescence, la chute mais aussi quelque chose d’un peu plus lumineux, comme le déclin de l’égo. C’est aussi pour rentrer dans quelque chose de moins unitaire, de moins individuel et plus dans le sentiment d’un grand tout, de presque spinoziste, de panthéiste. La dilution de l’égo, c’est aussi dire qu’on ne fait qu’un avec la nature ou avec dieu, la nature essentielle. C’est aussi très bouddhique de dire on suspend l’égo. Ça peut être vu comme ça, comme l’abandon de l’individualisme et de l’égoïsme. J’aimais bien les deux assertions.
18/ Ta 1ère trilogie rendait hommage au biologiste Henri Laborit qui a théorisé les 3 réactions face à une agression (inhibition, rébellion, fuite).
Le 4ème morceau de « Inhibition » est intitulé « The Other Rat » et c’est un rat qui fait la couverture de « Rebellion ». J’imagine que c’est en relation avec les expériences de Laborit. Penses-tu pertinent de se baser sur les réactions de ce petit mammifère pour modéliser les comportements humains ?
Ça commence à dater donc je ne prends pas ça comme un paradigme scientifique absolument indétrônable. Toujours est-il que la façon dont il le présente, c’est hyper transposable sur des situations de la vie de tous les jours, des situations sociales. C’est ça qui est intéressant dans le film « Mon oncle d’Amérique », un film d’Alain Resnais qui est inspiré des travaux de Laborit, qui a quand même eu la palme d’or. Il est montré que dans nos vies, on est coincé comme des rats, que des fois, on ne sait pas trop si on peut fuir ou se battre et qu’on finit justement à ronger son frein en dépression, à développer des maladies cardiaques parce qu’on est coincé avec son boulot et sa famille qu’on n’aime pas.
Finalement, je pense que ça se transpose encore assez bien biologiquement. Même si c’est réducteur, je pense ça marche vraiment bien, que la création du stress oxydatif pour parler de ce dont il s’agit, ça reste toujours valable encore aujourd’hui. Je me dis encore dans les situations de la vie, est-ce que là si je suis coincé, je peux fuir ou alors est-ce que je dois me battre ? Ou encore, comme notre cerveau le permet, me réfugier dans l’imaginaire. Notamment avec les démarches artistiques, c’est une certaine fuite parce que si le réel était satisfaisant, on n’aurait pas besoin de créer des choses qui n’y sont pas. Et la première démarche artistique pour moi, c’est de dire que je ne suis pas content de la vie telle qu’elle est, « la vie ne suffit pas ». Comme on est coincé, on cherche des échappatoires puisqu’on n’a pas forcément de petit havre de paix dans notre cage électrifiée comme pour le rat dans l’expérience. Alors on trouve des dérivatifs qui peuvent être l’art ou l’imagination, bon des fois la folie, mais tant qu’à faire, autant l’éviter.
19/ « Deus sive Musica » (« Dieu, c’est-à-dire la musique ») (6ème titre de « Rebellion ») semble être ta version du « Deus sive Natura » (Dieu, c’est-à-dire la nature) de Spinoza ? Qu’y a-t-il derrière cette citation aménagée ?
Effectivement c’était un peu pour imaginer que si la substance originelle, ce ne serait pas du son en fait ? Et que la façon dont on se développe dans nos vies, le 1er rapport qu’on a dans le ventre de notre mère par rapport à l’extérieur et même à l’intérieur (les battements du cœur), c’est vraiment l’ouïe. Je postulais plus poétiquement que rationnellement évidemment, un monde où c’est le son qui est premier et dont on serait tous juste des éclats sonores. Un peu comme « La Horde du Contrevent » de Damasio qui dit que tout n’est que vent, j’aime bien aussi imaginer que tout n’est que son et que des agrégats sonores vont produire de la matière. « Deus sive Musica » c’est ce clin d’œil à Spinoza qui dit qu’on est juste des variations de la substance, qu’on nomme dieu, ou la nature.
Qu’est-ce qui te provoque des appels de joie, comment on essaie de vivre sa vie de façon pas trop passive pour éviter que ses alternances de joie et de tristesse ne soient pas complètement subies et que c’est juste une question de chance.
Il y a une mise en abîme perpétuelle de DOTI (DECLINE OF THE I) car ça parle beaucoup de musique aussi. Un peu comme il y a plein de cinéastes qui font des films avec des histoires qui parlent de cinéma, il y a de ça dans DOTI qui est un projet qui parle beaucoup de musique. Ça restera, avec plein de petites sous-thématiques, une ode à la musique tout simplement.
20/ « Je pense donc je fuis » (dernière titre de « Escape »), encore un détournement de citation philosophique, cette fois pour coller explicitement à la thématique de la fuite. Peux-tu nous en expliquer le sens ?
C’était donc pour détourner la maxime cartésienne du « je pense donc je suis ». C’était aussi une façon de dire qu’on se définit par l’action. Et que fuir c’est une action, c’était pour inclure une dose existentialiste à la métaphysique de Descartes. Ça rejoint un peu « l’existence précède l’essence », c’est-à-dire qu’on n’est pas quelque chose avant d’avoir fait quelque chose et que cela va être nos actes qui nous définissent et pas une essence première. Je pense fondamentalement ça par rapport à la morale où je ne pense pas qu’il y ait de morale essentielle, je ne suis pas essentialiste. Je n’imagine pas qu’il y ait un bien et un mal en soi qui se diffusent dans les choses et je suis plus pour une pensée d’éthique comme chez Spinoza qui résonne en bon et mauvais. Ce qui est bon n’est pas bon en soi mais va être bon pour moi, ça va accroître ma puissance donc ma joie et que la même chose va peut-être diminuer la puissance de quelqu’un d’autre et provoquer de la tristesse. C’est donc pour renverser le cartésianisme qui est quelque chose d’assez essentialiste par quelque chose de plus existentialiste, on peut dire que c’est un peu ça. Après aussi un peu pour le bon mot et pour clore le chapitre Laborit sur la fuite, il fallait quand même quelque chose d’assez fort, quelque chose qui marque, d’où la formule.
21/ « Johannes » ouvre quant à lui une nouvelle ère consacrée aux trois stades de l’existence (esthétique, éthique, religieux) selon l'existentialisme chrétien de Søren Kierkegaard.
Ce n’est pas courant l’inspiration chrétienne pour du Black Metal.
Ce n’est pas forcément son côté chrétien qui m’a inspiré le plus, je l’ai toujours vu comme un héros romantique en fait. J’avais été pas mal travaillé par « Le Journal du séducteur » que j’avais lu pendant mes années adolescentes avec cette idée de tout sacrifier, on aime tellement l’amour qu’on lui sacrifie son amour. Il y a quelque chose de vraiment romantique, il y a la rencontre de la douleur, de la passion et de la beauté, il y a un peu tout ça chez Kierkegaard. Son angoisse se manifeste effectivement face à dieu et je m’étais intéressé à ses stades de l’existence qui ne sont pas forcément d’ailleurs « historiques » car on peut vivre les trois en même temps. Aussi pour imaginer ce que pourrait être ma vie parce que je me sens toujours très profondément au stade esthétique : le monde de la nuit, de la fête, du sans lendemain et de l’individualisme. Et j’aimerais bien tendre vers quelque chose de plus stade éthique et il se trouve que je suis devenu père pendant la genèse de « Wilhelm », donc j’ai de toute façon sauté à pieds joints dans le monde de l’éthique quoi qu’il arrive car j’ai ces responsabilités. Je ne peux plus ne plus penser qu’à moi-même et j’avais presqu’envie que cette nouvelle trilogie accompagne ma vie. Au moment où j’ai choisi ça, je ne savais pas si j’allais avoir un enfant mais il se trouvait que j’arrivais quand même à l’âge où la question se posait assez grandement. J’aimais bien encore cette histoire de mise en abîme, tout ce mélange. Je me suis même posé la question un peu pour rigoler que le 2ème album de la trilogie puisse être mon enfant qui, pour continuer dans le truc, s’appelle Søren, comme Søren Kierkegaard. Au point que je n’aurais pas besoin de faire un 2ème album et que je passerai directement au 3ème parce que le 2ème album de la trilogie ça aurait été mon fils. Mais bon, il y aura quand même un 2ème album et j’y mettrai des samples du jour de l’accouchement car j’ai vraiment envie que DOTI soit aussi un reflet de ce qui m’arrive, que ça parte de mes interrogations et que je le mette dans une autre forme qu’un questionnement discursif.
Je ne sais pas si je vais finir par croire en dieu d’ici le 3ème, ce n’est pas vraiment la question car c’est quand même la problématique que j’ai évoqué tout à l’heure du manque de transcendance de la vie qu’on mène. Après avoir détruit toutes les idoles, on se retrouve un peu seuls et abandonnés sur une terre brulée où les derniers temples sont les Apple stores… Comme j’ai dit à mes amis catholiques, je ne crois peut-être pas en dieu mais je crois aux gens qui croient en dieu. Ce n’est pas mon genre de dire « c’est faible de croire en dieu ». Je suis plutôt admiratif et un peu jaloux de me dire que comme je l’avais déjà dit ailleurs, quand on ne croit pas à la vie après la mort et tout ce que promettent les religions, la vie terrestre c’est « on n’a que ça » alors que pour eux, c’est que l’apéro. Et après, ce serait une infinité de vies qui ont enfin du sens. J’aimerais vraiment croire là-dedans et je n'y crois sûrement pas car j’aimerais y croire de façon utilitaire. J’aimerais croire pour être moins anxieux, me dire que la mort ce n’est pas la fin de tout. Tous ces cheminements m’ont travaillé et me travaillent toujours pas mal et je me suis dit que vraiment celui qui interroge la foi en permanence c’est bien Kierkegaard et moi qui n’aie pas la foi, cette question me fascine et surtout j’ai vu pas mal d’amis ces dernières années et pas mal de Black métalleux qui ont – d’ailleurs c’est le nom d’un album de DIAPSIQUIR - fait le « 180° » en commençant par satan pour finir par aller à la messe. Ce n’est finalement pas si incohérent, il y a toujours ce côté extrême dans le Black Metal et au bout d’un moment on se rend compte que c’est peut-être aussi pas mal joué par beaucoup et que ce n’est pas si extrême et que ça. Par contre, se confronter à l’absolu, là on a vraiment quelque chose de plus aventureux que de juste dire c’est satan et puis voilà. C’est peut-être moins adolescent d’aller du côté de dieu que du côté du diable.
On pourrait aussi dire que la transgression, c’est d’être croyant, vu qu’on est dans une vraie idéologie de la consommation, du pulsionnel et que revenir vers des éthiques d’un peu plus de frugalité, de « ce n’est pas parce que je peux le faire que je dois le faire », et bien finalement c’est devenu à rebrousse-poil de l’époque. Et c’est assez valeureux de ne pas être dans ce « pleonectique » (c’est-à-dire l’éthique d’avoir toujours plus), qui est d’ailleurs le nom du nouvel album de NEO INFERNO 262. Et être à rebrousse-poil de cette injonction à jouir, je trouve ça intéressant à expérimenter pour sa propre vie et c’est pour ça que j’ai l’impression que certains se tournent vers la religion, deviennent chrétiens plus par éthique de vie que par une vraie croyance en la transsubstantiation et qu’au jour du jugement on va tous revivre dans un haut paradis, à l’âge où on a été le mieux dans sa vie. Ce sont des discussions que j’ai eues sur les chemins de Compostelle avec des chrétiens, c’était émouvant et intéressant. Également de voir les différentes foies : on arrive parfois à du christiano-communisme (parce qu’il y a cette idée de partage), j’ai discuté avec des chrétiens d’extrême gauche et des chrétiens pas vraiment à gauche et c’est fascinant de voir qu’il y a ce truc qui peut lier des vues politiques très éloignées et qui se retrouvent pour le dire simplement autour du christ. Et c’est pour ça que je n’ai pas du tout ce problème à dealer avec un philosophe chrétien, ça ne me dérange pas du tout.
22/ « The Veil Of Splendid Lies », 2ème titre de « Johannes » parle d’alcool et j’ai lu que pour un enregistrement de SEKTARISM auquel tu as participé, vous étiez en toge et vous buviez énormément de whisky. Es-tu personnellement toujours pleinement dans ce stade esthétique de la jouissance malgré ta paternité ?
En fait, c’est comme si je me servais de ma paternité pour m’aider à passer au stade éthique mais c’est dans l’autre sens que ça se passe. C’est comme si je voulais que cette transformation se fasse juste en faisant un enfant mais, je me sens encore le cul coincé entre deux chaises à essayer de les conjuguer. Je fais encore très peu de renonciations, j’arrive toujours à négocier avec moi-même pour encore aller faire la fête. J’ai un ami qui a eu un enfant un mois après moi et qui arrive beaucoup plus à renoncer à sortir, ça lui fait du bien (il fait partie de ceux qui vont prier le dimanche). Je pense que ça me ferait du bien, enfin je sors moins de fait mais je ne me prive pas. Je fantasmais que les choses se fassent toutes seules, alors qu’en fait non, il faut aussi être actif dans cette conversion. Donc il y a toujours de l’alcool mais bon, je n’ai pas composé l’album en étant bourré. SEKTARISM c’est un peu spécial, c’est de l’improvisation.
Mais il y a ce rapport à l’alcool comme voile qui rend tout un peu plus lumineux, un peu plus scintillant. C’est pour ça que c’est un voile : une vie de merde ne va pas devenir scintillante si on boit encore plus d’alcool, c’est quand même l’inverse, mais je trouve que c’est un exhausteur d’existence, que quand les choses sont bien, ça permet de les rehausser. J’ai un peu ce rapport même aux substances en général, d’utiliser des substances qui peuvent modifier l’état de conscience mais toujours avoir une autre réalité pour disons célébrer ce qu’il y a à célébrer, peut-être quelquefois mettre de côté ce qu’on veut éviter car – on parlait de fuite tout à l’heure – il y a évidemment quelque chose de l’ordre de la fuite dans la drogue et les substances. Et en même temps on dit qu’il n’y a rien de plus honnête qu’un ivrogne. Le voile, c’est une référence au voile de Maya dont parle Schopenhauer. C’est que dans notre représentation, on n’a pas accès à la réalité même, mais qu’il y a toujours quelque chose qui nous empêche de voir les choses réellement.
Cela fait penser au film « Drunk » où les protagonistes aimeraient bien être juste un tout petit ivre en permanence, l’ivresse des 2-3 verres de vin, et ils essaient d’être dans cet état plusieurs fois par jour. Evidemment ça ne se passe pas comme prévu et bien sûr, le corps appelle à avoir plus d’alcool pour avoir le même degré d’ivresse et ça ne se passe pas très bien mais je comprends ce truc. De se dire, « la vie ne suffit pas », il y a toujours un petit manque de quelque chose, et c’est la frustration originelle d’avoir été coupé de la fusion avec la mère et qu’on passe son temps, ce que dit Lacan, à rechercher l’objet petit alpha. Mais c’est le moteur du désir et ce qui compte ça restera le désir plutôt que la pulsion justement où dans le désir, ce qui compte c’est le cheminement et à la limite, l’assouvissement d’un désir on s’en fout un peu. C’est toute l’essence de la philosophie de Deleuze qui condamne la pulsion. Parce que dans la pulsion il n’y a pas le cheminement, il y a juste à étancher sa jouissance et comme il n’y a pas ce cheminement, on est dans une drogue, à avoir des choses plus intenses et plus extrêmes pour gagner le même degré d’intensité, c’est complètement mortifère alors que le désir pas forcément. Voilà, je me débats avec ces trucs là parce que moi aussi j’ai mes moments pulsionnels et j’essaie d’interroger ça, de tirer ma vie plus vers le désir que la pulsion. C’est un peu tout ça dont parle « The Veil Of Splendid Lies », où c’est l’histoire du dandy qui passe ses nuits d’ivresse et qui a toujours un goût amer le lendemain matin parce que y’a les gueules de bois.
23/ Tu disais également que vous vous flagelliez. La douleur fait-elle partie du plaisir ?
On enregistrait comme on faisait nos concerts car c’est exactement tout ce qu’il se passe dans les concerts de SEKTARISM où on se retrouve parfois à un peu plus que se bousculer. Et effectivement, en se retrouvant avec Berzerk (le chanteur) qui ritualise beaucoup sur scène, se fait un grand moment de pénitent en se fouettant plusieurs minutes, ce n’est pas rare que dans le feu de l’action, on se prenne un ou deux coups. Ça fait vraiment monter un truc. Avec SEKTARISM, il y a besoin de retrouver ces barrières, de flirter avec les limites, il y a ce côté Georges Bataille où on mélange tout, peu importe comment mais c’est trouver l’absolu. Ça peut être dans le sexe, l’alcool, la drogue, la souffrance, par dieu. C’est pour ça que la figure du mystique, c’est la figure par excellence que représente SEKTARISM. Ces figures sont même parfois problématiques pour la religion elle-même. Avoir des gens à fond, qui vont se scarifier, faire des trucs au nom de dieu que ne demandent même pas les évangiles. Et en même temps, ce sont un peu des super-héros car ils font encore plus que le croyant moyen mais ils en font peut-être trop aussi. Là, ce sont des extrémistes, il y avait vraiment cette idée dans SEKTARISM, donc c’était impensable qu’on fasse un album où on est dans nos habits de tous les jours en train d’enregistrer chacun notre tour. C’était donc dans cette grange avec un autel, avec le moins de discussions possibles entre chaque prise. D’ailleurs c’était compliqué de garder cette spontanéité car il y a des trucs qu’on a fait plusieurs fois. Mais on essayait quand même de revenir à cette pureté un peu extrémiste de l’impro et je suis vraiment content d’avoir eu quelques années dans cette équipe (je ne fais plus partie du groupe) car c’était vraiment fort et j’ai passé des moments hyper intenses, aussi bien sur scène qu’en studio. Et là je crois qu’ils sortent un album bientôt et j’ai très hâte de l’écouter.
24/ Que représentent toutes les mains qui caressent une tête sur la couverture de « Johannes » et dans le clip de « The Veil of Splendid Lies » ? Il y a un côté charnel qui me rappelle les corps à moitié nus des danseurs qui s’entremêlaient lors d’un de vos concerts à Paris en 2019. Est-ce que l’érotisme est une part importante du stade esthétique ?
Exactement, et l’érotisme c’est essentiel. L’idée des mains est de Dehn Sora qui avait fait la pochette où des mains vont vers le beau visage du dandy et qui sont de convoitise mais en même temps il y en a tellement que cela devient angoissant. C’est vraiment cette ambivalence totale du stade esthétique qui est le moment d’alternance ou de superpositions même de jouissance et d’angoisse. C’est ça qu’on a voulu recréer dans le clip avec ces mains qui au début caressent et à la fin finissent par attaquer le sujet, lui tirer les cheveux, lui tirer ses habits. Effectivement, la barrière est vraiment fine entre l’érotisme et la brutalité. La sexualité, c’est un peu une zone grise où on est vraiment dans l’intimité de l’autre, où on accepte (le consentement est bien sûr premier et inaliénable) de se rendre, d’une certaine façon.
25/ Dans tes œuvres, tu cites également Gilles Deleuze qui croit qu’à la base de l’art, réside une certaine honte d’être un homme, ce qui fait que « l’art consiste à libérer la vie que l’homme a emprisonnée ». Par ailleurs, dans sa pensée, « créer c’est résister ». Donc crées-tu de l’art pour libérer la/ta vie et pour résister (contre qui/quoi ?) ?
Chez Deleuze, il y avait toujours un aspect politique qui est beaucoup moins proéminent dans la façon dont je l’aborde, je ne fais pas d’art militant. Maintenant, tout acte est politique de toute façon donc je ne vais pas renier ça et faire mon naïf ; pour autant, ma démarche artistique ne sera jamais explicitement politique. Ce n’est pas une sphère qui m’intéresse le plus dans la façon dont je présente les choses. Deleuze était spinoziste dans le sens de l’évacuation des passions tristes. Selon Deleuze, il n’y a pas de musique de la mort et même si on fait du Black, du Death (la musique de la mort littéralement), ce n’est pas un paradoxe. Le simple fait d’exprimer quelque chose, même de parler de la mort ou de s’y adresser est quelque chose du côté la vie car l’inverse de la vie pour moi ce n’est pas la mort, c’est la dépression, c’est l’abandon des forces vives. Je pense que tout acte artistique se bat contre le vide. Mon angoisse première c’est face au vide et l’acte créateur et artistique, c’est un combat perpétuel contre ce vide, contre la dépression, quand le néant gagne et qu’il n’y a plus que la passion triste. « Honte d’être un homme » c’est aussi dire qu’on a ça en nous et que justement on essaie de se battre contre. Donc peut-être que résister c’est ça aussi, c’est résister contre la passion triste.
Après voilà, lui c’était dans un contexte post soixante huitard, moi je ne suis pas dans ce truc-là. Mais c’est intéressant qu’il soit reconnu un peu de façon réductrice comme vraiment un penseur soixante huitard, ce qui est vrai à certains égards mais enfin lui, ce n’était pas non plus le gros jouisseur. On disait toujours qu’il craignait qu’il y ait certaines interprétations qui fassent du mal aux gens. Quand des gens prennent juste la schizo analyse pour dire que c’est cool d’être fou et d’être schizophrène, il dit « mais alors les gars, désolé mais vous n’avez rien compris, la folie c’est une tragédie ». En plus il a été spinoziste, il a fait des cours sur l’« Ethique » donc c’est bien que lui-même il n'était pas juste sur ce truc de jouissance. Et s’il y a bien un mec qui était studieux et pas du tout le mec qui allait partouzer, c’était bien Deleuze, la figure de l’intellectuel travailleur. C’est tout ça qui m’a plu chez Deleuze et puis je parlais de l’inclusion musicale des samples, il a une voix intéressante car sa voix c’est une saturation. C’est-à-dire que dès qu’il parle c’est un peu du Noise, c’est pour ça qu’avoir des samples de Deleuze dans une musique, ça fait le même effet qu’un accord de guitare. Donc c’est aussi pour cette raison que c’est de lui dont je me suis le plus servi sur plusieurs morceaux de DOTI, un peu presque comme une ritournelle et si je retrouve des choses pertinentes aussi bien dans ce qu’il dit que dans la façon dont il le dit, peut-être que je le réutiliserai.
26/ Quel est la place d’Emil Cioran dans tes textes ? Ton livre préféré de cet auteur ?
Finalement, une place pas si présente. C'est un auteur qui m'a beaucoup accompagné dans ma vie, fut un temps, j'ai écrit un mémoire sur lui, je suis allé sur ses traces en Roumanie, mais je ne le lis plus trop. J'y reviendrai sûrement avant mes vieux jours. Pour moi, son œuvre est assez indifférencié. Il y a une constance chez lui, et ce qu'il a écrit à 20 ans se retrouve toujours dans ce qu'il a écrit à 70. En plus épuré, mais toujours cette fougue, ce rapport très ambivalent à l'existence, la musique comme salut etc.
27/ Les thèmes de prédilection de DECLINE OF THE I semblent être l’existence et le corps ; et la religion plus récemment. Est-ce indissociable du groupe ou bien te laisses-tu la liberté de t’en éloigner à l’avenir ?
Je suis quand même lié d'une façon ou d'une autre au concept de la trilogie. Je me laisse évidemment des libertés, mais pour l'instant, je reste sur ces sujets. Mais après, non, je me laisserai enfermer dans aucun sujet.
28/ En parlant de religion, que penses-tu trouver quand tu vas faire le chemin de Compostelle ?
Retrouver un rapport au temps différent, discuter de la foi avec ceux qui l'ont... Il y a aussi un certain challenge physique, un rapport au plus près du corps quand tu fais 30 bornes sous 35 degrés...
29/ As-tu un métier lié à la philosophie pour avoir autant de références à tous ces courants de pensée ?
Je vis très bien avec les royalties de mes albums de Black Metal, je n'ai pas d'autre métier.
Bon, non, c'est pas du tout vrai. Et mon métier n'a rien à voir avec la philo (enfin, on pourrait dire que tout est lié à la philo, d'une certaine façon)... Mais j'ai fait des études de philo, ce qui explique en partie - ça reste la pratique d'une vie, pas seulement d'un étudiant - cela.
30/ Dans le contexte Covid, vous avez expérimenté un live streaming (= concert sans public) en 2021. Comment c’était et le referiez-vous ?
On était enfermé dans ce studio, sans trop la notion d'être vus. Pourtant, ce concert était retransmis juste au-dessus de nous, où une fête pas très légale était organisée pour l'occasion. On n'était donc pas totalement coupé du monde. Ce n’était pas inintéressant, mais c'est vraiment le contexte qui l'imposait. Je n'ai pas spécialement l'intention de refaire cela.
31/ « Johannes » a été mixé au Drudenhaus Studios. Qu’aimerais-tu garder et changer de cette expérience pour la prochaine fois ?
La relation avec l'ingé son est primordiale pour moi, surtout pour un projet comme DOTI, que je porte, en grande partie seul. Disons que tous les choix finaux me reviennent, et je suis assez doué pour douter en permanence, et me mettre la pression. Benoît est excellent pour ça, il est fondamentalement dans le dialogue, de façon très humaine. C'est tout sauf un pousseur de boutons. Il a une approche très traditionnelle, méticuleuse, analogique. C'est un réel plaisir de bosser avec lui.
Photo de Void Revelations
32/ C’est le label polonais Agonia records qui a sorti tous les albums de DECLINE OF THE I. Ils ont aussi à leur actif des productions d’autres groupes de Black Metal parisiens comme AOSOTH, TEMPLE OF BAAL, THE ORDER OF APOLLYON ou encore VORKREIST. Quelle est connexion pour que tout ce mauvais monde sorte ses albums là-bas ?
Alors, aucune idée. Peut-être que Filip, le patron du label, est fan de Black Metal français...
33/ Chaque album de DECLINE OF THE I est espacé de 3 ans et comporte un titre de moins que son prédécesseur. Si ça continue ainsi, on aura le plaisir de découvrir les 4 titres de « Wilhelm » en 2024 et les 3 de « Abraham » en 2027. Confirmes-tu ?
Alors, tu n'es pas le premier à me faire la remarque, et je ne m'en étais pas du tout rendu compte. Non, ce n’est pas dit qu'il y ait moins de titres à l'avenir !
Par contre, je vais essayer de tenir ce délai des 3 ans, jusqu'au bout !
34/ Si la grâce te tombe dessus d’ici là, est-ce que « Abraham » sera plutôt intitulé « Judicaël » ?
Ahaha, bonne question. Ecoute, pourquoi pas ! Déjà que j'ai failli appeler "Wilhelm", Sören (du prénom de mon fils) !
Merci à Emile Helios pour sa participation à la préparation de l’interview.
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