Cher Graf,
Un soir, il n'y a pas si longtemps, autour d'une bière et d'une discussion d'une tristesse affligeante, on se faisait cette remarque avec un ami : dans les pires moments de notre misérable existence, au lieu de se tourner vers la lumière, les joies et la beauté de ce monde, on se complaît dans la sinistrose, la laideur et le malheur, histoire de voir jusqu'où va notre résistance aux épreuves que nous inflige cette chienne de vie, et pourquoi pas, se réjouir cyniquement de constater qu'il y a pire que soi. Je vais t'avouer quelque chose : je t'ai beaucoup écouté ces derniers temps. J'ai beaucoup écouté
Have a Nice Trip, pour être précise, le premier album que tu as sorti, toi le Russe, avec tes camarades géorgiens de
PSYCHONAUT 4 en 2012. Chacun son lot de misères, mais quelle sadique satisfaction en t'entendant gémir, éructer, dégueuler ta haine et ta souffrance ! Je me suis sentie moins seule d'un coup et un peu moins à plaindre.
A vrai dire, je t'envie Graf. Je t'envie d'avoir cette capacité extraordinaire, cette chance inouïe d'avoir assez de cran pour extérioriser, au moyen de ces cris absolument hallucinés et terrifiants, toutes ces douleurs qui te rongent de l'intérieur. Moi, quand je souffre, ça me coupe le sifflet, j'en reste comme deux ronds de flan. Je t'envie de savoir exorciser tes démons, de savoir cracher, tousser, expulser de ton corps ce poison qu'est le désespoir. A moins que ce soit toutes ces saloperies qui souillent ton organisme, avec tout ce que tu as dû t'enfiler : voie orale, nasale ou intraveineuse.
Have a Nice Trip, j'avoue, quel sens de l'humour plutôt... acide ! D'ailleurs, te faire de temps en temps une belle saignée, simulée ou non, comme au bon vieux temps du Médecin malgré lui, t'a peut-être purifié plus que cela ne t'a blessé, qui sait ?
On vous appelle parfois de manière raccourcie les P4. Sache que chez nous en France, il s'agit d'un coefficient établissant "
la présence actuelle et prolongée de troubles de la personnalité et de l’adaptation définitivement incompatibles avec la poursuite du service militaire". Cocasse, non ? J'en tremble rien qu'à l'idée de te savoir avec une arme entre les mains...
Tes hurlements stridents, tantôt mélancoliques, tantôt colériques, proches de l'improvisation ou de la performance, révèlent une spontanéité, gage d'une authenticité crue et sans filtre, dont on atteint le sommet avec le titre éponyme "Have a Nice Trip"... Je t'imagine, avec ta gueule d'ange, toussant, crachant, le nez englué de morve après le déluge de tes larmes. Tu as insufflé à cet album l'impétuosité et les tourments de l'âme slave, lui prêtant des allures d'une version musicale DSBM de
Enfance, Adolescence, Jeunesse de ton génialissime compatriote Léon Tolstoï, les psychiatres s'accordant à dire que cette époque de la vie correspond à une période d'instabilité et de confusion émotionnelle, dangereusement similaire à une dépression profonde. La naïveté et la neurasthénie, caractéristiques de cet âge ingrat, que l'on retrouve jusque dans cet artwork qui aurait pu être griffonné au stylo par un ado entre deux tressages de corde pour se pendre. Ce personnage central te ressemble à s'y méprendre, d'ailleurs.
Je sais, je suis injuste, je ne parle que de toi, mais que veux-tu ! Tu es le sel répandu sur la plaie béante qu'est cet album ! Je salue malgré tout comme il se doit le talent de tes comparses qui ont su se mettre au diapason de ton mal-être avec des mélodies bouleversantes épousant à merveille l'expression de ton dérangement mental. Les trémolos des guitares s'entremêlent avec tes hurlements de bête blessée en une saisissante composition de désespoir viscéral et régressif. Comment ne pas s'attendrir à l'écoute de ces airs si jolis, touchants de par leur simplicité presque enfantine ? Pourtant, de la sortie d'un bouge infâme de Tbilissi au beau milieu d'une nuit venteuse et pluvieuse ("lntro I") à la cellule d'un HP sordide ("Drop by Drop") en passant par un pittoresque village du Caucase ("Antihuman (Drug)"), nous voilà errant dans les méandres tortueux de ton esprit dérangé, au gré de tes cris déchirants, encore que tu sois capable d'arrêter tes sinistres pleurnicheries pour des vocalises plus rageuses, comme sur "Hate Parade".
Une heure de Post-Soviet Suicidal Black Metal que l'on ne voit pas passer jusqu'à ce dernier titre, "Yle", tranchant avec les précédents morceaux, aussi nettement que le fil du rasoir sur tes poignets. Sinistrement guilleret, serait-il synonyme de victoire finale sur tes démons ? Un ultime pied de nez à ta douleur à la figure de laquelle tu jettes ces "lalalala" hilares et rigolards ? Après tout, tu es toujours de ce monde malgré des années d'autodestruction et d'apologie du suicide. Pas loin de dix ans ont passé depuis Have a Nice Trip, peut-être que cette souffrance que tu semblais avoir chevillée au corps s'est apaisée comme en témoigne votre dernier et trop propret album
Beautyfall. Je vous préférais lorsque vous suintiez la dépravation et la misère émotionnelle quand même... Allez ! Bon vent, Graf ! Et merci pour ces moments salutaires, cette sensation d'avoir touché le fond avec toi, pour ensuite mieux revenir à la surface. Angoisse, culpabilité et douleur, à vous aussi, je vous souhaite un bon voyage, je n'ai plus envie de voir vos sales tronches...
Paris, Le Gibus, 2 avril 2016
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