L'Acéphale - L'Acéphale
Chronique
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«L’homme a échappé à sa tête comme le condamné à la prison. Il réunit dans une même éruption la Naissance et la Mort. Il n'est pas un homme. Il n'est pas non plus un dieu. »
J’ai sans doute présumé de mes capacités à m’attaquer ainsi à quelque chose qui me dépasse certainement mais qui m’attire irrésistiblement en vous parlant de L’ACEPHALE. Qu’importe, je me lance ! Littérature et Metal sont des amants réguliers, on ne compte plus les groupes inspirés des écrits de J.R.R. Tolkien ou encore de H. P. Lovecraft pour ne citer qu’eux… jusqu’à la nausée. C’est presque honteuse que j’avoue avoir découvert Georges Bataille (1897-1962) et son œuvre grâce à L’ACEPHALE (et encore plus honteuse d’apprendre que Bataille avait également inspiré DEATHSPELL OMEGA et HANGSMAN’S CHAIR), mais soulagée de constater que l’Amérique contemporaine ne se composait pas que de rednecks obèses et intellectuellement indigents. Oui, je sais, c’est un vilain préjugé. Brian Booty, alias Set Sothis Nox La, tête pensante de L’ACEPHALE (vous l’avez ou pas ?) s’est amouraché d’un courant de la grande culture française du 20ème siècle, jusqu’à lui rendre un hommage appuyé et peut-être même lui offrir un écrin pérenne à travers ses propres créations musicales. Dans l’entre-deux-guerres, Bataille embrasse et condense tous les courants intellectuels, littéraires, sociologiques et philosophiques de son époque, ses écrits - romans, poésies, essais - dépeignent et prônent la libération du mental (d’où la symbolique de l’absence de tête) et fondera une revue et une société secrète du nom de l’Acéphale, dont la démonstration jusqu’au-boutiste de la réflexion sera l’exaltation tragique et dionysiaque de la vie, jusque dans la cruauté et la mort. Il aurait même été question de sacrifice humain. Vaste programme… mais tellement Black Metal dans l’esprit !
Excusez ce long préambule nécessaire à la compréhension de cet album, qui ne manquera pas sinon d’étonner le non-initié. En effet, «Sovereignty : (Dieu - Die Sonne stirbt – Sovereignty)», merveille de composition en triptyque s’il en est, débute par la déclamation d’un court poème de Bataille, en français, récité par Geneviève Beaulieu de MENACE RUINE, le tourbillon musical empli de guitares poignantes prend rapidement la relève mais le chant se fait douloureusement attendre. Puis vient la solennelle récitation du texte du poète Bruno Goetz, en allemand, jusqu’à la déflagration tant espérée, libératrice (7:14) : un Black Metal furieux, emporté, bouleversant, expression d’un enfièvrement sans nom, exacerbé par le chant sorti du fond des tripes (une constante) de Set Sothis Nox La sur un texte, traduit cette fois, de Laure (Colette Peignot) maîtresse de Bataille, avec qui elle entretint une relation destructrice entre folie, alcool et perversion sexuelle. Cet excellent morceau, parfaitement représentatif de cet album, en concentre déjà toutes les caractéristiques. Nul ne pourra dire avoir été pris au dépourvu après une telle entrée en matière. « Gloria in Excelsis Mihi » viendra apaiser les esprits et c’est de nouveau à Geneviève Beaulieu à qui il revient, avec une classe folle et un charme rétro indéniable, d’interpréter un autre texte de Bataille. Et à chaque écoute, c’est la même histoire, je suis happée, le cœur vrillé, par cette litanie lunaire, obsédante : «Enfonce moi, que je ne sache plus … que ces larmes.».
C’est donc sur ce schéma directeur, délibéré, que s’enchaîneront des morceaux longs, parfois très longs (plus de dix-neuf minutes pour « Winternacht ») qui ne se ressemblent jamais, offrant une judicieuse alternance de calme poétique et de tempête rageuse (l’excellent « Runenberg »), l’urgence viscérale de la violence succédant immanquablement à la lente mise en abîme dans la mélancolie. Ne seront pas oubliées les premières amours de Set Sothis Nox La entre Ritual et Noise que l’on retrouvait sur le premier album de L’ACEPHALE Malefeasance sorti en 2008, comme en témoignent le titre « Sleep » et ses plages Ambient particulièrement sinistres - entre deux séquences de défouloir total - ou les violons stridents de « Winternacht », réminiscences de la carrière passée de notre adepte du « Sacré Gauche ».
Mélodies et mélancolie seront aussi au rendez-vous, à grands renforts de guitare sèche, avec notamment la mise en musique d’une chant socialiste américain du début du 20ème siècle, « Hark ! The Battle - Cry Is Ringing » aux accents Néo-folk absolument délicieux, Set Sothis Nox La, l’ancien syndicaliste, usant de ce prétexte pour prendre ses distances avec une partie de la scène Black Metal dont il ne partage définitivement pas les orientations idéologiques.
Ce qui retient également l’attention et qui donne un charme indiscutable à cet album, c’est l’usage de la langue allemande, entendue à plusieurs reprises, notamment sur « Last Will » qui n’est autre que la transposition du poème Letzter Wille de Friedrich Nietzsche, que l’on ne présente plus et grande source d’inspiration pour Bataille. Set Sothis Nox La cède pour l’occasion sa place à Markus Wolff, excellent batteur au demeurant, dont c’est la langue maternelle et à qui l’on doit également ce déroutant artwork. Lequel prend le concept de L’ACEPHALE complètement à revers en présentant cette tête décapitée, aux allures d’empereur romain, auréolée d’une couronne de laurier de feu et de sang.
Ouais, c’est dense, hein ? Et pourtant, L’Acéphale demeure une œuvre dangereusement belle, harmonieuse et cohérente, en dépit de la variété de rythmes et d’ambiances des titres, dont certains ont été écrits près de quinze ans avant l’enregistrement en studio (« Runenberg » et « Winternacht »), s’imposant telle une spirale mentale redoutablement immersive, propice à l’introspection et en définitive l’une des plus éblouissantes illustrations de l’intellectualisation du Black Metal.
L’ACEPHALE signe avec ce troisième opus, sorti après dix-sept années d’existence, une œuvre singulière, longuement réfléchie, spirituellement et idéologiquement riche, à la fois très personnelle et universelle. Car nul besoin de connaître sur le bout des doigts les mouvements intellectuels auxquels il est sans cesse fait référence, ni de saisir la portée philosophico-politico-religieuse de ces sept morceaux, et encore moins d’y adhérer pour les apprécier. On peut carrément en faire abstraction. Et en même temps, comme dirait l'autre, il serait fort dommage de passer à côté de la dimension mystique d’une si brillante réalisation.
| ERZEWYN 5 Octobre 2021 - 1462 lectures |
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