Proscriptor McGovern's Apsû - Proscriptor McGover’s Apsû
Chronique
Proscriptor McGovern's Apsû Proscriptor McGover’s Apsû
Compliqué, les histoires chez Absu. Le groupe américain mené par Monsieur Proscriptor McGovern a déçu légions de fans de par le monde en annonçant sa dissolution en 2020. Où allions-nous donc puiser notre dose de black/thrash épique et mélodique ? Chez un Deströyer 666 fatigué et sur le déclin ? Auprès des jeunes loups sortis de leurs tanières lors du renouveau metal traditionnel des années 2010 ? Ou faudrait-il se contenter des monuments du passé pour illuminer le morne présent ?
Pas de panique ! Le foudroyant cœur battant (et batteur) d’Absu avait à peine refermé l’ancien chapitre qu’il en ouvrait un nouveau, nommant sa dernière création d’après lui-même. Assez logique venant d’un musicien qui a toujours brillé pour ses talents artistiques comme par son flamboyant ego. Faites donc place à Proscriptor McGover’s Apsû, continuation et leg des légendes texanes. Le premier album, porteur d’un nom ô combien peu recherché, débarque chez Agonia en Novembre 2021, se permettant au passage des goûts de luxe. Une pochette splendide, une annonce marketing qui promettait une musique bien de chez Absu mais augmentée « d’éléments psychédéliques et d’éléctro vintage », le tout assaisonné de gests de grande classe (Alex Colin-Tocquaine, Blasphemer, The Dark et Ross Friedman, s’il vous plaît). Gros, gros casting donc. Il n’y a plus qu’à, comme qui dirait.
Quarante-cinq minutes plus tard, on ne peut plus tourner autour du pot. Les choses ont changé. La musique a évolué, mué, muté même. Commençons par les bases ; la formule riffesque ultra nerveuse et très mélodique emblématique d’Absu. De ce côté-là, tout roule. Tout roule même très bien et très vite. Riff sur riff, tailladage opéré dans les règles de l’art, vélocité quasi-permanente. Prenez les mélodies du dernier (et superbe) album d’Absu, et appesantissez encore l’aspect déstructuré, insaisissable, surprenant. Qui-vive obligatoire, main sur la garde constante, on en sait jamais de quelle direction vient le coup. Proscriptor donne dans l’imprévisible, emmenant ses compositions partout à la fois, ne renâclant jamais à l’emploi d’une grammaire technique avancée. « Mirroracles » synthétise parfaitement ce penchant de l’album à aligner les pistes sans schémas identifiable, posant des parties qui ressemblent à du couplet/refrain au premier abord pour mieux venir saborder le bel alignement entrevu juste derrière. Les notes fusent dans tous les sens, et j’en viens presque à trouver à cet album un côté death technique à la Ulcerate dans la démarche. Disons plutôt, dans un soucis de précision, que Proscriptor inflige à son black/thrash d’origine le même traitement que Deathspell Omega fit subir au black metal. La même volonté d’officier dans un genre que l’on maîtrise si bien que l’on peut l’emmener absolument n’importe où sans même en casser les limites. On n’explose pas les bornes, ce sont elles qui se repoussent d’elles-mêmes au gré des folies et lubies des compositeurs. Certains groupes possèdent la capacité de faire se mouvoir un genre entier de l’intérieur, de l’obliger à se distendre sous leur poussé légitime, et non en fracassant ses frontières. Absu fait partie de ceux-là. Et pour atteindre cet objectif, il se risque malgré tout à quelques nouveautés par rapport aux albums précédents.
Vous vous souvenez de la batterie de Tara, qui se taillait la part du lion dans le mix en reléguant les guitares au loin ? Cette impression de suivre un solo de batterie de 50 minutes ? Et plus largement, convenez-vous avec moi que les percussions ont toujours constitué un élément au moins aussi fondamental que les mélodies de guitare, si ce n’est parfois davantage, dans la musique d’Absu ? Bon. Bien. Et bien plus cette fois. Les parties de batterie de Proscriptor restent ahurissantes de précision, de dynamise et d’inventivité, mais se déroulent désormais en arrière du mix, derrière les cordes qui pour une fois dominent la scène. Mêmes les expectorations si caractéristiques de Proscriptor reculent quelque peu devant le travail mélodique. Quant aux fameux éléments psyché et éléctros, contrairement aux textes promotionnels évoqués, ils ne se contentent que d’agrémenter le tout, sans jamais prendre de place de premier plan. Mais enfin, il faut bien dire le mot : Absu est devenu progressif, ou tout du moins n’hésite plus à invoquer les esprits du prog dans sa musique. Les deux derniers albums préparaient déjà largement le terrain, mais un palier supplémentaire a été passé. Proscriptor a des envies d’explorations à la mode des 70’, pas forcément dans le pur son mais dans la démarche. Le fameux « Mythological occult metal » demeure, mais davantage axé sur son versant occulte et crypté que purement épique/mythologique.
A l’heure actuelle, je confesse n’avoir pas entièrement cerné cet album malgré bon nombre d’écoutes. Il renferme tellement de riffs, de mélodies, de subtilités et d’arrangements tout en maintenant son curseur de vitesse bloqué sur les hautes vitesses qu’il faut sans doute beaucoup de temps pour en digérer toutes les saillies. La nervosité infaillible d’Absu étourdit souverainement, d’autant plus que malgré l’aspect très foisonnant de la musique, le tout reste accrocheur et presque groovy par moments. Les tueries telles que « Dedicated to Thoth, but Azatoth wasn’t listenning ». (ce nom…) vous envoient à genoux en trois petites minutes. Et il s’agit sans doute de la piste la plus conventionnelle point de vue structure ! Performance, c’en est une, que de parvenir après trente ans de carrière à dégainer un album aussi familier et iconoclaste à la fois. Un peu comme si vous retrouviez après des années votre vieille tatie adorée qui vous mitonnait vos tartes aux coings préférées, mais que celle-ci avait brusquement développé des membres supplémentaires et assaisonnait dorénavant ses pâtisseries avec du guarana.
Aussi brillant que puisse être ce nouvel album, quelques petites réserves se doivent tout de même d’être exprimées. Ça n’en est pas réellement une, mais notons comme je le fis déjà remarquer que l’album s’assimile sur le long, voire très long terme. Pour ma part, je l’apprécie de plus en plus au gré des écoutes, je parviens lentement à l’apprivoiser et à en saisir toutes les qualités derrière la première impression labyrinthique. Les petites découvertes cachées se succèdent sans tarir pour le moment, je remarque toujours de petits détails que je m’étais trouvé trop ébouriffé d’entrée de jeu pour remarquer. Comme ce travail de claviers sur « The Coagulating Respite », ou ce passage typique black norvégien sur « Prana : Therion : Akasha ». Ensuite, pour parler d’un vrai défaut, je déplore quelque peu la production une peu lisse, trop proprette. Il manque un grain, un craquement dans la baffle, de la texture. C’est massif, net, propre, mais pas assez chaud, trop peu organique. Enfin, il manque peut-être un ou deux vrai hymne, plus simples et directs, aux structures plus « faciles », qui auraient permis de faire respirer un peu l’album et d’y creuser des points de dégaine plus aisés, tout en soulignant par contraste l’énorme boulet d’écriture accompli. Un ou deux refrains un peu entêtants aurait été bienvenu. J’ai parfois le sentiment d’écouter la version mutante de Tara, mais tellement extrêmisée que la noyade menace dangereusement. Ledit album avait d’ailleurs gardé l’intelligence d’éparpiller quelques passages ou pistes moins décapantes pour mieux faucher par la suite.
Après une période difficile, Absu a réussi sa mue, se présentant à nous dans la plus parfaite fidélité tout en mettant intelligemment à profit cette rupture pour s’essayer à de nouvelles idées. Gros respect à Monsieur Proscriptor et ses comparses pour nous avoir gratifiés d’un tel retour. On ne sent aucune carence de créativité ou d’agressivité, aucune envie de sortie un disque « histoire de ». Tout sonne en place, inspiré, carré, exigeant, rapide et mortel. Un bel accomplissement pour un groupe dont la devise pourrait être « Sans rien feindre ».
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