Riverside. Voilà un groupe que Thrashocore a suivi attentivement tout au long de sa carrière, couvrant l’intégralité de ses sorties avec une régularité exemplaire. Hors de question de rompre cette tradition antédiluvienne! Comme votre webzine préféré, le groupe polonais a récemment fêté ses vingt ans à l’aide d’un single, « Story Of My Dream » et d’une tournée anniversaire menée en quatuor. Avec Maciej Meller (guitare) définitivement intégré au groupe en 2020, Mariusz Duda (basse, voix), Piotr Kozieradzki (batterie) et Michał Łapaj (claviers) pouvaient dignement célébrer cette grande et belle carrière située à l’interstice entre le rock et le metal progressif… qui avait pourtant failli basculer lorsque le guitariste historique Piotr Grudziński s’éteignait en 2016 des suites d’un arrêt cardiaque. Quelques mois ont été nécessaires pour le groupe reprenne ses esprits. C’est l’album
Wasteland (2018) qui leur aura permis d’exorciser ce traumatisme. Ce témoignage magistral de résilience exprimait une mélancolie profonde en revenant à des aspérités plus progressives après l’expérimental
Love, Fear and The Time Machine (2016), gros succès critique du groupe.
ID.Entity est lui aussi un album de retour. Dans ces thématiques, déjà, puisque le parolier Mariusz Duda a voulu s’attaquer à des questions sociales comme il le faisait dans l’excellent EP
Anno Domini High Definition (2009) pour dessiner un album concept axé autour de la technologie qui dévore le monde à petit feu. Sa réflexion très fine sur son utilisation par le pouvoir, comme vecteur de « fake news », de manipulation des masses et de conditionnement mental habite l’intégralité de ses morceaux, en filigrane ou de manière plus centrale. Il exprime ses pensées la plupart du temps avec sa voix douce et haut-perchée, toujours généreuse en magnifiques lignes de chant. Et parfois même, le fameux bassiste chanteur s’énerve! En effet, la comparaison avec cette sortie de 2009 ne s’arrête pas là puisque les Polonais se sont ici aussi retroussés les manches pour proposer un contenu plus metal, qui colle parfaitement au ton dénonciateur et offensif qu’ils emploient sur ce huitième opus. Le quatuor y fabrique une sélection de morceaux qui allient en les dosant parfaitement l’agressivité et la délicatesse. Un « Landmine Blast » par exemple, donne le ton d’un album à la fois technique et puissant, tout en restant très atmosphérique. On est chez
Riverside, ne l’oublions pas. Toujours très bien reçu, dans ce vieux canapé en cuir mâtiné de cette habituelle production entre-deux eaux, entre rock et metal, qui donne un relief si particulier à ces morceaux… Les nappes de claviers posées par un Michał Łapaj en état de grâce en ressortent parfaitement. Ses accents rythmiques à l’orgue Hammond comme ses accords atmosphériques tonifient cet ensemble qui atteint des sommets quasiment inégalés à plusieurs reprises.
« I’ve nothing to hide…
I simply hate your style! »
Effectivement,
Riverside n’a rien à cacher et
ID.Entity n’est en aucun cas un retour en arrière. Les Polonais sont beaucoup trop bons pour ça! Voilà bien un groupe qui paraît totalement intouchable : quoi qu’il fasse, quoi qu’il tente, l’affaire fonctionne sans contestation possible. Rien que l'ouverture « Friend Or Foe ? », morceau totalement surprenant qui pue le
Rush et les années 1980 à plein nez, est un tube atomique lâché sur des auditeurs décontenancés. Michał Łapaj, qui apporte un côté sautillant old school avec ses claviers bondissants, y est radieux. Bousculés, les auditeurs habituels le seront tout autant face à « Big Tech Brother », qui met les deux pieds dans le metal avec conviction. C’est un véritable hymne qui emporte tout son passage avec son riffing emblématique, notamment cette partie menaçante qui apparaît vers 1'35'', dotée d’une signature rythmique aussi instable que mémorable, pour mieux revenir tout casser plus tard… avant un riff final en tierce (5'44'') totalement monstrueux qui termine l’affaire en forme d’apothéose. Tout semble tellement couler de source que j'accepte les conditions d’utilisation - présentées en incipit sous forme de « vanne meta » sur le style du groupe - sans même les lire. Oui, quand
Riverside montre ses muscles, il le fait avec brio, même si on aurait apprécié une production plus puissante, seul reproche récurrent que je suis en mesure de formuler – toujours très poliment – au bataillon polonais. En tout cas, le quatuor est sacrément bien gainé quand il vient chasser dans les terres du metal, avec toujours cette généreuse couche de rock atmosphérique en arrière-plan.
Riverside ne renie pas sa nature profonde, avec une généreuse pièce mélancolique qui vient parfaitement se glisser dans cette tracklist énervée : sur « The Place Where I Belong », Mariusz Duda peut calmer le jeu et répandre sa voix soyeuse dans des envolées mélodiques très touchantes. Le pont central qui laisse exploser un groove totalement ravageur dans lequel Maciej Meller et Michał Łapaj se taillent la part du lion vient rappeler à quel point
Riverside excelle tout autant dans le registre purement progressif. Puis vient cet arpège minimaliste, vite rejoint par des accords de piano ravageurs sur lequel le vocaliste retrouve sa tessiture épurée… avant un grand final floydien au possible, sous forme de respiration salvatrice. Ce morceau-fleuve semble d’ailleurs un point de bascule au sein de l’album, entre le début où le protagoniste semble dominé par les technologies du monde moderne et la fin où il semble s’en libérer. C'est avec « Self-Aware », nouveau tube fringuant évoquant encore dans ses premiers instants le groove de
Rush, que le quatuor résume le mieux la variété exemplaire de sa musique. En terminant l'album avec une telle maestria, avec un pont contemplatif qui s'appuie sur la basse de Mariusz Duda et reprend la plupart des mélodies de l'album, le groupe souligne la cohérence de son concept et hypnotise une dernière fois ses auditeurs bouleversés dans un écho libératoire.
Bouleversant, ce nouveau
Riverside. Le choix qui parraine ce huitième album, revenir à ses sonorités plus metal sur fond de thématiques vilipendantes de la technologie et de toutes les conditions d’utilisation cachées du monde moderne s’est avéré payant. Année après année, album après album,
Riverside repousse les limites de sa formule et se renouvelle avec une grande intelligence. Décidément, ce groupe ne tourne jamais en rond : en privilégiant l’intensité et l’efficacité (à l'image du pugnace single « I’m Done With You »), les Polonais font tout le temps mouche et empruntent un chemin audacieux afin de poursuivre leur brillante carrière.
ID.Entity, réussite intégrale, est donc la sortie progressive idéale pour commencer 2023 sous les meilleurs auspices. Qui pourra être au niveau ? C'est tout l'enjeu de cette nouvelle année. Mise à jour effectuée, Thrashocore peut maintenant attendre patiemment le prochain album.
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