Crippled Black Phoenix - Ellengæst
Chronique
Crippled Black Phoenix Ellengæst
La musique comme vecteur d’émotions et propice à l’évasion, surtout en ces temps difficiles, c’est ce que beaucoup de personnes recherchent dans ce noble Art, et vivre sans musique serait une erreur, pour paraphraser un célèbre philosophe allemand. Je ne sais pas si c’est ainsi que Justin Greaves, leader de Crippled Black Phoenix, conçoit son projet mais toujours est-il que la musique qu’il développe au grès de ses réalisations depuis une bonne quinzaine d’années possède une puissance significative en terme d’images et est assez propice à laisser son esprit vagabonder vers d’autres contrées. C’est une nouvelle fois le cas avec ce nouvel album, intitulé Ellengæst, qui a la lourde tâche de succéder aux très acclamé Great Escape sorti il y a deux ans, même si entre temps le groupe a vu le départ du chanteur guitariste Daniel Anghede. Un resserrement du line-up a donc été décidé par la tête pensante du groupe, en sachant que la polyvalence est toujours de mise chez ces musiciens, mais Justin Greaves a tout de même fait appel à ses nombreuses connaissances pour palier à la défection de Daniel Anghede et l’on retrouve ainsi des invités assez prestigieux au chant tels que, entre autres, Vincent Cavanagh - Anathema -, Jonathan Hultén - Tribulation -, Gaahl, ainsi que Ryan Patterson et Suzie Stapleton. L’on peut souvent être réticent lorsque l’argument de vente d’un disque est circonscrite à la présence de tels ou tels invités sur celui-ci, et pourtant, ces objections sont rapidement levées à l’écoute de ce Ellengæst, qui ne doit pas se limiter aux seules présences de ces invités.
Décrire la musique pratiquée par Crippled Black Phoenix est un peu une gageure tant le projet mené par Justin Greaves ne s’applique pas vraiment de barrières musicales, même si, pour schématiser les choses l’on est ici à la croisée des mondes entre post rock, post metal et rock progressif et planant, très inspiré par Pink Floyd pour ce domaine. Mais à l’image de la pochette, et comme semble indiquer la tête pensante du groupe qui évoque une nouvelle ère pour son projet, Crippled Black Phoenix se veut ici bien plus sombre et rentre dedans, toute proportions gardées, par rapport à Great Escape. Et les exemples d’exploration en territoires métallisés sont nombreux, à commencer par cette introduction sur House of Fools, un peu dissonante après quelques notes désabusées d’une trompette. Mais l’on retrouvera ainsi des montées d’adrénaline assez nombreuses sur cette réalisation et, surtout, une certaine lourdeur dans le propos, qui n’est pas pour me déplaire. En matière de montée en intensité, je trouve le groupe vraiment excellent dans ce registre et des titres comme Lost et In the Night en sont de très belles illustrations. C’est là où l’on se retrouve dans un entre deux entre post rock, et beaucoup de passages sont dans cette veine, et post metal, quand cette lourdeur éclate. Pour autant, l’on n’est pas forcément dans des schémas redondants de montées en puissance et d’explosions d’intensité et de descentes, même si l’on retrouve cela assez fréquemment, car il y a à souligner ici un travail d’orfèvre dans beaucoup de direction.
En fait, ce qu’il faut garder à l’esprit, c’est que les compositions sont très bien ficelées et remarquablement écrites, en ce sens où il n’y a pas de longueurs superflues ou de passages plus faiblards que les autres, et surtout de très bonnes idées et des partis pris bien assumés. En outre, elles possèdent en leur sein de très nombreuses couches, que ce soient de guitares ou de claviers, pour un rendu très soyeux mais sans pour autant perdre en dynamique. Mais même s’il y a une certaine richesse, cela reste fluide et tout s’enchaîne très bien. Ce qui veut dire que l’on est très rapidement happé par la musique déployée ici, que l’on joue parfois les fausses pistes pour mieux revenir à l’essentiel. Comment, par exemple, ne pas rester de marbre avec ce break au piano sur House of Fools avant que tout ne revienne et que l’intensité augmente au fur et à mesure que les secondes s’égrainent. Et c’est cette richesse des arrangements et des compositions qui fait toute la grandeur de cet album. Cela est d’ailleurs renforcé par les différentes influences qui viennent se combiner sur ces compositions avec une assez grande versatilité, entre les deux premiers titres qui sont plus ancrés dans un veine post, In the Night qui rappellera Nick Cave et ses mauvaises graines, ainsi que les influences post punk et gothiques d’un Cry of Love, mais que l’on décèle aussi sur Lost. Cela se ressent sur les choix de reprises avec le Everything I Say de Vic Chesnutt, d’une gravité importante, et la plus dansante She’s in Parties de Bauhaus. En somme, seule The Invisible Past se rapproche du passé récent du groupe avec son côté plus doucereux et plus lumineux. Pourtant, malgré cette hétérogénéité, tout coule de source, tout s’enchaîne admirablement sans que l’ennui vienne poindre à un seul instant. C’est même presque un tour de force de ne pas se planter en voulant toucher à tant de registres différents et d’en faire pourtant quelque chose de très personnel et, surtout, de très réussi.
Évidemment, l’on sera d’abord assez subjugué par la maîtrise des musiciens composant Crippled Black Phoenix, en sachant qu’ils sont un peu toutes et tous touchent à tout. Je suis bien content de retrouver le jeu de batterie de Justin Greaves, lui qui m’avait surpris dans ses formations de doom metal il y a une quinzaine d’années et qui n’a rien perdu de sa superbe. Et je retiendrai aussi la qualité du jeu de Andy Taylor et ses petites touches gilmouriennes qui ne sont pas pour me déplaire. Mais les autres musiciens ne sont pas en reste, Belinda Kordic étant une très bonne chanteuse. Mais ce Ellengæst va sans nul doute retenir l’attention avec ses invités et je dois avouer qu’ils apportent chacun un plus là où ils apparaissent, et Justin Greaves a eu le nez creux et surtout a été pertinent dans ses choix. Ainsi, le teint éraillé de Ryan Patterson est on ne peut mieux approprié aux effluves post punk de Cry of Love. J’ai ainsi pu découvrir que Jonathan Hultén se débrouillait très bien au chant clair, avec des intonations me rappelant plutôt des chanteurs de folk, me faisant un peu penser à Nick Drake dans ce côté un peu frêle. Vincent Cavanagh est excellent sur les deux premiers titres, même un peu surprenant car je ne m’attendais pas à une telle performance de sa part, avec une telle intensité, bien plus marquant que sur les derniers Anathema. Mais celui qui m’a le plus bluffé, c’est Gaahl, partant d’abord sur du narratif, il se met à chanter sur la fin de In the Night avec une voix assez grave et puissante, faisant de ce titre l’un des gros temps forts de cet album. Dans tous les cas, il n’y a pas d’erreur dans le casting, et il n’y a pas à regretter le départ du précédent chanteur, car chaque intervenant a pu apporter sa pierre à l’édifice, et surtout cela cadre bien avec le côté bien plus sombre de cet album, côté que n’aurait pas aussi bien porté Daniel Anghede. Sans lui faire injure, je ne pense pas que son timbre de voix aurait été raccord avec ces titres.
Ellengæst est ainsi une très belle oeuvre portée aussi bien par des excellents musiciens que des invités qui se sont vraiment investis dans le projet, au point d’écrire les textes pour certains. Nocturne, intimiste, mélancolique mais en même temps très enivrant, cet album est une réussite et devient rapidement très entêtant, à tel point d’être resté bloqué pendant plusieurs jours de suite à l’écouter en boucle suite à sa découverte. Je ne peux m’empêcher de faire un parallèle avec une autre tête de gondole de Season of Mist qui vient de sortir un album et qui évolue à peu près dans les mêmes sphères: là où l’un a bien échoué, l’on ne peut que saluer la prouesse réalisée par Crippled Black Phoenix sur cet album. Il n’y a pas de moments superflus sur cette réalisation, seulement, si je puis dire, huit titres qui défilent assez rapidement et qui n’ont pas leur pareil pour nous toucher par leur grâce, par cette capacité à reprendre des sentiers très souvent battus mais de parvenir tout de même à en faire quelque chose de frais et de captivant du début jusqu’à la fin. Ellengæst est traversé par une certaine tristesse, comme si c’était la bande son et un peu le témoignage de ce que nous vivons actuellement - comment ne pas penser cela sur le final du titre Lost où est scandé en boucle « we are lost » -, que l’on accepte volontiers de porter sur soi en ayant le regard perdu au loin, à observer les gens et ce monde défiler sans y prêter attention, alors que la nuit tombe et que les lumières de la ville s’allument et que les reflets de la vitre nous renvoient l’image d’une certaine solitude. Oui, ce disque est beau tellement il est touchant.
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