Letlive. - The Blackest Beautiful
Chronique
Letlive. The Blackest Beautiful
Des disques étranges, j'en ai vu défiler quelques uns. Ils l'étaient à plus d'un titre, soit musicalement, en proposant des compositions alambiquées au possible ou des détours stylistiques improbables, soit dans l'imagerie, en prenant le contre pied de ce que l'on pourrait attendre. Mais "The Blackest Beautiful" est un disque étrange dans les sensations qu'il me fait ressentir. L'impression de revenir plusieurs années en arrière, celle d'écouter le croisement réussi entre considération commerciale et folie furieuse. Une découverte que je dois à un collègue, plus ou moins houblonné, m'ayant affirmé que Letlive. était "typiquement le genre de trucs [qu'il] aurait adoré adolescent". D'abord refroidi par les images des nombreuses daubes ayant défilé dans ma platine lors de mes premières découvertes métalliques, puis par le taux d'alcoolémie conséquent du gonze, j'ai finalement tenté le coup. Sans aucun regret, car l'album en question est assez excellent, bien au dessus de ce que l'on a pu écouter de honteux plus jeunes. Mec, si tu me lis : Merci.
Bien au dessus du lot commun car, pour commencer, "The Blackest Beautiful" n'est pas un album qui se livre entièrement dès la première écoute. Si l'on reste dans l'image de l'adolescence, ce disque représente assez les premiers émois amoureux et hormonaux de vos années lycée. Le premier rencard étant rarement synonyme de réussite, il vous faudra vous armer de patience et multiplier les tentatives pour atteindre le Graal. Loin de l'agressivité primaire mais sans fond dont nous étions friands, bien loin des clichés MTV composés de révolte en carton pâte et d'amours contrariées, "The Blackest Beautiful" est un disque assez intelligent. Volontairement "naïve", l'imagerie déployée par Letlive. cache en réalité une musique d'une richesse et d'une complexité peu communes, à mi-chemin entre la pop truffée d'Autotune ("Pheromone Cvlt"), le Hardcore complètement saccadé ("Empty Elvis"), le riffing bancal ("The Dope Beat") et le simili-rap ("Banshee (Ghost Fame)"). Un patchwork musical qui pourra sembler putassier sur le papier, mais qui se tient fort bien à l'écoute. Et sorti chez Epitaph, s'il-vous-plaît.
Le tout mené de main de maître par Jason Aalon Butler, frontman (seul rescapé du line-up originel) à la palette vocale impressionnante et au jeu de scène proprement hallucinant (et ridicule, accessoirement). Les autres musiciens ne sont d'ailleurs pas en reste, la production de l'album mettant en relief et bien à leurs places chacun des instruments : la basse vrombit délicieusement, les guitares possèdent un grain d'une douceur incomparable, et la batterie, légèrement plus amplifiée que le reste, vient rythmer les compositions tantôt lourdement ("Dreamers Disease") tantôt plus efficacement ("The Priest and Used Cars"). On saluera également le travail effectué en post-production sur les nombreux effets appliqués au son, tantôt sur les percussions, tantôt sur la voix - rassurez-vous, les passages en Autotune dont j'ai fait mention sont tout, sauf envahissants. Au sein même des compositions, le paysage musical qui se dessine change constamment, des effets plus ou moins discrets se greffent à un ensemble déjà chargé, et ce sans jamais devenir indigeste. Au contraire, tout ces ajouts viennent ajouter à l'émotion véhiculée par "The Blackest Beautiful". Oui, de l'émotion. La variété des chants du frontman collent parfaitement avec l'ambiance du disque, car le tour de force de Letlive. est de mélanger refrains complètement Pop et couplets complètement déments ("Empty Elvis"), sans hésiter à proposer des parties plus mélancoliques ("White America's Beautiful Black Market") pour marquer l'auditeur, l'entraîner dans un univers... Etrange. Car oui, musicalement, Letlive. reste relativement "calibré" pour qui s'enfile Black et Death Metal à longueur de journée. Mais, pour une raison que je ne m'explique pas, leurs compositions font appel à quelque chose d'assez profondément enfoui en nous. Nostalgie ? Probablement.
"The Blackest Beautiful" est incontestablement une réussite, pour celui qui arrivera à l'apprécier à sa juste valeur. Non, Letlive. ne fait pas étalage de technique, ni dans la déconstruction à outrance (même si certains passages bruitistes sont du plus bel effet). Il fait la juste balance entre les styles évoqués plus haut, sans jamais être maladroit. Curiosité pour certains, petite révélation pour d'autres, ce troisième album de Letlive. mérite quoiqu'il en soit une écoute attentive.
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