Dead is dead. Il en aura tressé, des lauriers à
Riverside, avec une belle régularité, leur écrivant des déclarations d'amour touchantes, dans lesquelles il faisait tout son possible pour que son admiration pour le groupe ne transparaisse et n'entache pas trop son objectivité de chroniqueur. Attention, il n'oubliait pas non plus d'être dur avec ses chouchous lorsqu'ils osaient le décevoir. Qu'a-t-il pensé de ce
Wasteland ? Je n'ai pas la réponse à cette question. J'espère qu'il viendra nous donner son impression dans un commentaire. Notre webmestre emblématique est parti de son webzine, mais
Riverside avait besoin que quelqu'un d'autre lui rende l'hommage qui lui est dû. Pour lui, ce groupe était une priorité. Moi, je débarque un peu comme un imposteur, en ayant découvert le groupe aussi tardivement que récemment. Pourtant, ce groupe aura su me séduire en quelques notes, alors que mon vénérable « sensei » me plongeait la tête la première dans
Second Life Syndrome (2005) avec l'instrumental « Reality Dream III ». Mais c'est par
Anno Domini High Definition (2009) que
Riverside a fini de se révéler à moi. De manière générale, j'apprécie avec la même intensité les moments où les Polonais se retroussent les manches et impulse une touche de metal dans leur rock progressif que quand ils le parent d'atmosphères contemplatives et intimistes. Ce quatuor polonais, devenu trio depuis la mort de Piotr Grudzinki en 2016, était alors porté par Mariusz Duda (voix, basse), Michał Łapaj (claviers) et Piotr Kozieradzki (batterie). Il le restera...
« What we've become
There's no turning back »...
… nous dit le groupe dès l'introduction de
Wasteland. Pour cet album en tout cas, puisque Maciej Meller a définitivement intégré le groupe en 2020, après en avoir été le guitariste session durant quatre ans. Les chroniques de Dead vous en conteront l'histoire bien mieux que moi mais le combo est revenu en 2018 totalement dévasté par cet événement tragique qui a du influencer leur orientation et leur musique, comme l'indique implicitement le titre de leur nouvel opus et quelques paroles glanées ici et là. Piotr Grudzinski semble omniprésent. Les membres de « Rivièrecôté », comme les baptisaient affectueusement mon prédécesseur, ont continué avec un noble courage à déposer cette immense poésie dans leurs mélodies et se sont définitivement imposés comme un groupe qui n'a rien à envier à
Porcupine Tree et
Radiohead dans la complexité de compositions tournées vers une mélancolie douceâtre, teintées d'une amertume ravageuse, terriblement présente ici. Plus que jamais, forcément. Cette faculté d'émouvoir avec la plus grande aisance se retrouve dans beaucoup de morceaux de ce disque.
En tout cas, l'âme de
Riverside réside assurément dans la voix de Mariusz Duda, avec sa tessiture épurée et terriblement touchante. Dans sa simplicité désarmante et l'apparente spontanéité de ses lignes de chant, son arme touche sa cible à chaque fois. Ici, simplicité rime avec pureté, forgeant un écrin cristallin que rien ni personne ne viendra écorner, surtout lorsque retentissent ces quelques notes de piano ravageuses que les Polonais maîtrisent à la perfection (« The Night Before » et ses relents pop totalement réussis). Chacune de ses partitions vocales sonne comme une évidence absolue : nul besoin de gâcher cette pureté en forçant le trait par des tremoli maniérés ou des envolées lyriques, jamais. De toutes façons, le bonhomme est tellement facile dans les tessitures aiguës! « Lament », morceau extraordinaire, lui tisse un costume sur mesure, lui permettant d'évacuer sa mélancolie par des notes perçantes, soutenus par ces beaux arpèges de guitares et quelques légers violons... que c'est beau! Quand il ouvre l'album
a cappella avec « The Day After », juste soutenu par quelques nappes de clavier, le vocaliste brillait déjà de mille feux. Incroyable. Directement plongé dans cette atmosphère unique avec laquelle les notes de satin de Mariusz Duda lui courbe l'échine, l'auditeur devient endeuillé lui aussi et s'agenouille immédiatement, sans demander son reste. Notre homme saura aussi adopter des tessitures plus graves, mais aussi intermédiaires, pour servir un propos plus agressif comme pour poser des atmosphères capables de me clouer au sol en deux temps trois mouvements. « Guardian Angel » démontre qu'il est étincelant dans un registre plus grave, presque funéraire, qui grappille des influences du côté du neofolk. Par ailleurs, ce morceau développe un peu le concept de cet album, autour d'un mystérieux monde post-apocalyptique.
J'allais oublier les paroles qu'il offre à ses compositions! Plutôt simples, elles aussi, elles rendent subtilement hommage à ce frère d'arme emporté par une crise cardiaque deux ans plus tôt en utilisant à plusieurs reprises le chant lexical du cœur :
« Wait in silence
Until the stars go dark
My companion
With your cracked, withered heart »
Cette référence est pour le moins explicite. Le morceau éponyme a su dévaliser le mien par son incursion initiale dans l'univers du neofolk, avec un supplément de grandeur qui irradie ce morceau lorsqu'il est propulsé dans une dimension plus metal. Ses claviers emblématiques viennent déverser leur aura synthétique pour envoyer un feeling totalement lumineux. Les riffs aux airs d'Ennio Morricone qui apparaissent en cours de morceau en font une pièce bigarrée, changeante, totalement réussie dans son approche de la musique progressive. Le groupe se distingue par ses subtiles ruptures de ton, propre au genre : « Vale of Tears », tout d'abord dynamique, est gracieusement interrompu par un refrain atmosphérique du meilleur effet, avec un motif médiéval, pour reprendre par la suite son avoinée initiale. En allant chercher, gratter au fond du peu d'objectivité qu'il me reste, je pourrais reprocher à
Riverside le son de leurs guitares électriques, qui manque toujours un peu de profondeur et d'agressivité lorsque le groupe balance des riffs plus hostiles. Le début d'« Acid Rain » par exemple, manque peut-être un peu de méchanceté là où des guitares plus agressives l'auraient transcendé. Qu'importe, on est pas là pour ça. Dès que le morceau se recentre dans un feeling floydien aérien, les Polonais ont toute la marge de manœuvre dont ils ont besoin pour accoucher d'un petit chef-d'oeuvre. Les choeurs totalement emblématiques que le vocaliste offre en écho à ses ravageuses notes de guitare électrique le tirent vers les sommets de la maîtrise des atmosphères célestes. Ce son qui manque un peu de mordant n'empêche pas non plus « The Struggle for Survival », instrumental au tempo enlevé, de démontrer toute la virtuosité des musiciens : ces contretemps subtils avec lesquels Piotr Kozieradzki porte le riffing alambiqué proposé ici impulse un sacré groove à l'ensemble. La basse toute en rondeur de Mariusz Duda et les claviers délicieusement efficaces de Michał Łapaj, qui convoque de fatales trompettes pour ajouter une couche de mélodie supplémentaire à un ensemble déjà impressionnant, en font une offrande très réussie et permet d'interrompre l'ensemble pour mieux le relancer.
Mon verdict sur
Wasteland paraîtra donc évident. S'il n'atteint pas tout à fait l'extase que peuvent provoquer chez mon prédécesseur certains sorties historiques du groupe (
Second Life Syndrome,
Voices In My Head ou encore
Anno Domini High Definition), il s'impose chez moi comme une réussite éclatante, qui sait rester pudique tout en étant incroyablement habile dans ses émotions. La lumière iridescente de ces nouvelles compositions offre un écho désarmant à la tristesse infinie des trois musiciens qui les ont façonnées. Alors, is Dead still dead ?
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