Porcupine Tree c'est un peu comme une usine de production en série, mais sans la délocalisation (ouh la critique sociale au vitriol) : ça balance vite et bien, avec une qualité de finition toujours constante. À raison d'un album génial tous les deux ans, on n'a pas le temps d'en digérer un que le suivant est déjà sorti, alors on se demande si cette fois encore le consommateur aura droit à un rapport qualité/prix attractif, ou si le produit trop précipitamment débarqué sur le marché n'aura pas eu le temps de mûrir convenablement pour se targuer de pouvoir défier toute concurrence. La réponse pour ce
The Incident : euh…Joker ?
Les premières mesures de « The Blind House » et son intro « Occam's Razor » sont familières puisqu'il s'agit d'un riff tout craché à la … Opeth. Beaucoup ont déjà mentionné la filiation entre les deux groupes ce qui personnellement ne m'a jamais frappé outre mesure sur les précédentes productions, puisque j'ai toujours trouvé que niveau metal, Porcupine Tree avait un riffing bien à lui. Mais là l'emprunt étant plus que flagrant, on s'attend à découvrir un album plus « extrême » que de coutume. Pas du tout. Cette incursion en territoire ennemi est une des rares exceptions qui jalonnent
The Incident, dont la globalité s'avère même encore plus posée que d'habitude. Je dois avouer que les premières écoutes m'ont laissées quelque peu perplexe quant à la démarche du groupe sur ce disque.
D'abord le format est déconcertant, avec un premier cd 14 titres/55 minutes et un second « bonus » 4 titres/20 minutes. Sur le premier, les titres sont liés les uns aux autres de façon continue, si bien qu'ils pourraient ne faire qu'un, intention d'origine d'ailleurs, mais le groupe choisit d'isoler les ensembles ayant une identité plus marquée (est-ce Roadrunner qui le leur impose ?). Les autres fonctionnent comme des intermèdes ou introductions sans être uniquement instrumentaux. Le tout est assez homogène et l'on retrouve même certains thèmes à des endroits différents (« Degree Zero Of Liberty » reprend « The Blind House », « The Seance » prolonge « Octan Twisted »). Peut-être cela fait-il référence aux premiers méfaits du groupe qui, tout en étant structurés de façon plus ou moins comparable, munissait néanmoins chaque morceau d'une très forte identité. Seulement la recette fonctionne ici à moitié car les transitions sont parfois plus brutes que fluides et les différentes chansons mémorisables sans trop de difficultés. Le problème majeur est évidement de savoir ce que l'on veut, et lorsqu'il faut choisir entre de vieilles velléités progressives d'exploration et des influences plus pop le résultat s'avère pour le moins ambiguë.
Musicalement c'est un peu le pilote automatique. Ce qui veut dire que sur ses bases solides Steven Wilson se laisse tranquillement aller sans trop se lâcher, produisant ainsi une musique très proche de
Fear Of A Blank Planet et
In Absentia, sans en avoir la carrure. Si certains passages sont de bonnes resucées (« The Incident » = « Strip The Soul » par exemple) d'autres sont un peu dilués dans l'ensemble lorsqu'ils ne font pas grincer les gons du remplissage. Là c'est un peu dur, parce qu'au final il n'y a rien de catastrophique. Mais on est en droit d'attendre d'un groupe aussi à l'aise qu'il fasse quelques efforts supplémentaires, d'autant plus que les instants de bravoure ne manquent pas à l'appel : « Time Flies » avec sa vive guitare sèche et sont long interlude prog à mi parcours arrive en tête. Il y a aussi « Drawing The Line » et son refrain très pop mais relevé par les subtiles modulations dans le chant de Wilson, ou encore « The Blind House » dont la structure rappelle fortement l'alternance saturation musclée / couplet-refrain posé de « Blackest Eyes ». Pour être honnête, les autres titres sont également corrects. Ce qu'ils perdent en valeur émotionnelle ils le gagnent en une étonnante lascivité (pas lassitude, ne me faites pas dire ce que je n'ai pas dit). Ce sentiment particulièrement apaisant s'installe tranquillement au long de l'album, à la fois au travers des lignes de chants et des passages les plus calmes qui deviennent presque minimalistes. Mais ce doux et cotonneux flottement est à double tranchant : jamais Porcupine Tree n'a été aussi reposant, jamais non plus il n'a autant frôlé l'ennui.
Les quatre titres du second cd ne sont pas si « bonus » que ça puisque les paroles figurent dans le livret et s'inscrivent également dans le concept de l'album imaginé par Steven Wilson à la suite d'un accident auquel il aurait assisté. Le contenu et la qualité sont comparables au reste de l'album, preuve que même en se faisant violence pour écarter des morceaux le groupe n'est pas capable de proposer de vraies mauvaises chansons.
The Incident est donc au final un bon album qui bénéficie d'un solide savoir-faire mais pèche par un manque d'ambition et d'accroche émotionnelle. Peut-être est-il temps pour le groupe de changer à nouveau d'orientation comme il a si bien su le faire sans se trahir sur
In Absentia. En tout cas qu'il prenne son temps car la production industrielle c'est bien, mais l'artisanat c'est quand même autre chose.
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