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James LaBrie - Beautiful Shade Of Grey

Chronique

James LaBrie Beautiful Shade Of Grey
Il y en a une palanquée, des types qui ont la peau dure, et il y a James LaBrie. Le quinquagénaire a enduré toutes les critiques possibles et imaginables sur sa voix et ses performances, mais il est toujours là. Fidèle au poste. Beaucoup, à sa place, auraient creusé un tunnel pour s'y enterrer à jamais... mais pas lui. Tant mieux. Connu pour être le chanteur de Dream Theater depuis Images And Words (1992), il porte la musique des rois du metal progressif depuis lors. Pas comme au premier jour, ça non, mais il a toujours su faire contre mauvaise fortune, notamment des cordes vocales irrémédiablement endommagées par un accident de crevettes – prière de vous référer à ma rétrospective sur votre webzine préféré pour plus de détails – bon cœur. Bon cœur : c'est aussi l'un des nombreux qualificatifs qu'on pourrait appliquer, dans un souci assez vain de résumer cette longue carrière, à ce généreux Canadien qui m'accompagne dans mes aventures depuis bien longtemps. Amateur de rock, faisant tourner moult vinyles de Rush ou encore de Deep Purple dès sa prime adolescence, sa crinière resplendissante a vite revêtu des atours plus sombres, d'abord dans le hard rock de Winter Rose et de son album éponyme de 1989 avant d'illuminer le monde du metal de ses lignes de chants inégalables au début des années 1990. Malgré l'activité débordante de sa tête d'affiche, il s'est toujours gardé un espace à lui, jardin pas si secret propice à l'exploration de nouveaux territoires. Cette carrière solo, sur laquelle j'aurai certainement l'occasion de revenir, a été jalonnée par des albums très metal, bien plus offensifs que ceux proposés en parallèle par ses collègues de New-York. Car James LaBrie est aussi un véritable numéro 9, qui ne tergiverse pas pour concrétiser les occasions qui se présentent à lui. Avec Elements Of Persuasion (2005), aux côtés d'un certain Mike Mangini, il errait, un peu perdu, sur les landes du metal moderne avec un arrière-goût de neo un peu rassi. Il fallait bien que le buteur trouve ses marques dans la surface de réparation... c'est véritablement sur Static Impulse (2010) ou encore le très convaincant Impermanent Resonance (2013), qu'il exprime, épaulé par un batteur issu du metal extrême, Pete Wildoer (Arkane), son plein potentiel dans la recherche de modernité. Il y plante de nombreux buts, en laissant s'installer une judicieuse alternance entre vocaux clairs et criés dans une série de morceaux courts qui savaient parfaitement aller à l'essentiel. Le bonhomme montrait aussi qu'il était capable d'adopter bien des casquettes, avec une ouverture d'esprit qu'on ne lui aurait pas soupçonné.

Mais Beautiful Shade Of Gray (2022) est l'occasion pour James LaBrie d'un véritable retour aux sources. Comme bon nombre de ses contemporains affectés par cette période de tyrannique repli sur soi, le « roi des pirates », autre titulature dont l'affublent ses fidèles fans, ne pouvait faire autrement, pour son quatrième album, que de revenir à ses premiers amours. Quoi de mieux que la famille pour faire ces quelques pas en arrière ? Avec son fils Chance LaBrie (Falset) aux fûts et son compère de toujours Marco Sfogli qui lui prête sa guitare depuis 2005, voilà James LaBrie déjà bien entouré. C'est à l'occasion d'une collaboration avec le groupe Eden's Curse en 2011 qu'il fit la rencontre de Paul Logue ; les deux hommes se promettent alors de saisir au vol la prochaine occasion de faire de la musique ensemble. Retrouvé à l'occasion d'un concert de Dream Theater en 2020, James LaBrie tient sa promesse et offre à ce compositeur l'opportunité d'exercer ses talents à la guitare et à la basse acoustiques sur son album solo. Mais Paul Logue ne vient pas seul, amenant dans ses bagages le talentueux claviériste Christian Pulkkinen (Simulacrum), que j'ai eu l'occasion d'interviewer sur votre webzine préféré il y a quelques mois, proposant à son tour ses nappes d'orgue Hammond, de piano et de claviers évidemment rétro. C'est donc autour d'un album essentiellement acoustique que cette petite assemblée, contrainte par la pandémie mondiale au télétravail, s'est réunie pour offrir au roi James le shot de rock d'inspiration sixties et seventies dont il avait désespérément besoin. Il y déverse des paroles qui célèbrent la beauté de l'humanité mais aussi ses zones d'ombre ; c'est précisément cet entre-deux séduisant qui donne à l'opus son titre et sa pochette.

Point de demi-mesure ici, toutefois : James LaBrie pousse le projet à fond en proposant un album entièrement voué à la célébration du passé. À l'image de l'hommage rendu rubis sur l'ongle à Led Zeppelin dans la reprise de « Ramble On » (tube intergalactique issu de l'opus « sophomore » Led Zeppelin II en 1969), c'est un pur album de rock, où les accords apaisants de Paul Logue rythment la cadence, sublimés par les limbes de claviers aériennes de Christian Pulkkinen. Saupoudrés sur ces créations qui suivent un rythme de croisière, les magnifiques soli du claviériste et du guitariste italien Marco Sfogli viennent ajouter ce côté progressif si cher au cœur de ces pacifistes belligérants. La virtuosité demeure bien présente, avec quelques légers coups de semonce venant poindre par moments, comme la secousse qui vient relancer « Give And Take » avec ses inspirations très « knopfleriennes ». « Hit Me Like A Brick » et son solo une nouvelle fois ultra charmeur surfe lui aussi sur ce côté emblématique et tubesque que le groupe offre à la plupart de ses morceaux. James LaBrie y est évidemment comme un poisson dans l'eau, tant sa tessiture douce se marie parfaitement avec ce genre de compositions. Il y déploie son arsenal habituel, avec de généreuses « toplines » qui prennent toute l'amplitude de cette production classieuse et généreuse. Il exploite pleinement le registre langoureux qui le caractérise dans les phases de ballade en faisant le choix de la simplicité et de l'efficacité. De même, le bonhomme n'a pas son pareil pour porter à bout de bras des refrains immédiatement mémorisables, comme celui dont il gratifie l'ouverture chaloupée « Devil In Drag » :

« You run away from all your lives in life
You're all alone and on your own...
You run away from all your lives in life
Devil in drag, you're on your own. »

Oui, ce refrain diabolique saura bien vite se lover dans le cerveau. De manière générale, la performance de James LaBrie est solaire : il n'y qu'à l'entendre forcer sa voix sur « Ramble On » pour se rendre compte du pied qu'il prend à retrouver ses inspirations profondes. Sa voix chatoyante contribue à faire émerger de ces morceaux un parfum grisant. Il est aussi très fort pour impulser un sentiment de mélancolie profonde à quelques pièces, comme le tragique « Sunset Ruin », hommage à son frère décédé en 2016 des suites d'un cancer du pancréas. Ses accents fatalistes dans l'excellent « Give And Take » ont une touche douce-amer qui atteint facilement sa cible, d'autant plus lorsque Marco Sfogli vient achever son monde avec ses délicieux « leads ». L'invitation à suivre cette petite troupe dans leur délire rétro est toujours tentante, avec ce charismatique « Am I Right » qui tendra la main aux badauds de passages avec ses douces notes de piano et son grand final en forme de chorale, renforcé par l'arrivée de vocalises gospel signés Theresa Thomason (les fans de Dream Theater reconnaîtront la majestueuse tessiture qui habitait l'emblématique « The Spirit Carries On ») qui apportent une vraie fraîcheur à cet ensemble réussi. En somme, Beautiful Shade Of Gray est une pause idéale aux vertus évidentes, un instant reposant volé au temps entre deux épreuves.

Mais c'est aussi son problème : Beautiful Shade Of Gray n'est justement qu'un entre-deux durant lequel le Canadien et ses acolytes ne sortent pas beaucoup de leur zone de confort. Certes, la plupart de ses titres restent accrocheurs aux premières écoutes mais ont tendance à lambiner dans un tempo ronronnant qui ne les rend pas vraiment mémorables. Je crains que beaucoup de ces morceaux, mêmes les meilleurs, ne soient destinés qu'à prendre gentiment la poussière. Force est de reconnaître que malgré quelques sursauts (et vas-y que je te cale un petit solo acoustique des familles) il ne n'y passe tout de même pas grand chose. Quant aux ballades mielleuses et un brin dégoulinantes (« SuperNova Girl », par exemple), elles pourraient presque faire piquer du nez. Dommage que les limites de ce délire rétro soient finalement assez vite atteintes. Il en découle un album pantouflard, mal dans son époque, une sortie un peu anachronique qui n'en reste pas moins touchante. Finalement, il faut prendre ce quatrième opus pour ce qu'il est, c'est-à-dire une cathartique partie de plaisir gavée de bons sentiments et de nostalgie. Et il n'y a pas beaucoup d'autres types que James LaBrie qui auraient pu accomplir cette démarche jusqu'au-boutiste avec autant d'authenticité.

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James LaBrie
Rock progressif
2022 - InsideOut Music
notes
Chroniqueur : 7/10
Lecteurs :   -
Webzines : (5)  7.9/10

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James LaBrie
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Rock progressif - 2005 - Canada
  

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James LaBrie

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James LaBrie

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Give And Take
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James LaBrie

Extrait de "Beautiful Shade Of Grey"
  

tracklist
01.  Devil In Drag  (05:37)
02.  SuperNova Girl  (04:22)
03.  Give And Take  (04:44)
04.  Sunset Ruin  (05:10)
05.  Hit Me Like A Brick  (03:22)
06.  Wildflower  (03:54)
07.  Conscience Calling  (00:48)
08.  What I Missed  (04:53)
09.  Am I Right  (05:52)
10.  Ramble On  (04:55)
11.  Devil In Drag (Electric Version)  (04:33)

Durée : 48:10

line up
parution
20 Mai 2022

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