Il y a des groupes chez qui la maturité finit par céder sa place à un manque flagrant d'inspiration, et il y en d'autres qui savent parfaitement où ils veulent aller, et chez qui la totale maîtrise d'un art sert avec une exactitude déconcertante les ambitions artistiques. Etant donné la renommée du combo et leurs méfaits déjà chroniqués dans ces pages, il n'est plus nécessaire de présenter Porcupine Tree. Je dirais simplement que ce groupe évolue clairement dans cette deuxième catégorie, et ce n'est pas ce
Fear Of A Blank Planet qui va changer la donne. Bien au contraire il enfonce le clou, de manière à vous crucifier littéralement sur l'autel du génie et de l'évidence. Je m'explique :
Cet album a la lourde responsabilité de succéder à deux œuvres redoutables. D'abord
In Absentia, vif et doux, profond, progressif et aéré, puis
Deadwing, plus compacte, plus pop en somme, moins subtil et plus décontracté peut-être. Constance et cohérence dans l'effort,
Fear Of A Blank Planet choisit d'explorer et de pousser plus loin encore une thématique chère au groupe et déjà très présente sur ces deux précédentes productions. Il s'agit du malaise, du mal-être d'enfances et d'adolescences qui, tourmentées par les choix, les attitudes et les différences subies à cet âge, finissent par échouer dans une décharge télévisuelle à ciel ouvert. Il s'agit de l'impossibilité totale de communication entre les générations, de l'absence de repères qui oblige un gamin à nager, nager à contre courant pour parfois ce noyer. Le groupe propose ici un côté obscur à
In Absentia, où la nostalgie de l'enfance comme un âge d'or s'oppose à son autre facette : la plus douloureuse et la plus sombre. Seulement Porcupine Tree ne joue pas (ne jouera jamais je pense) la carte de la dépression. Cet album est peut-être plus mélancolique, mais il a comme toujours la mélancolie douce, mêlée d'envie et de joie contenue. C'est ce qui le rend si juste, c'est ce qui lui permet de resserrer son étreinte autour de l'auditeur.
Bien, parlons musique.
Fear Of A Blank Planet compte six titres pour 50 minutes. C'est un format assez inhabituel chez Wilson et sa clique, mais pas du tout en opposition avec leur style. Je rappelle que l'arbre porc-épic a pour coutume de nous servir un rock/metal prog et que les titres fleuves ne sont pas vraiment étrangers à cet univers. Et si il assume le fait de développer des ambiances en prenant tout son temps (comme sur
In Absentia), le groupe tire aussi partie de
Deadwing en se faisant plus essentiel et plus concis, sans pour autant s'appauvrir. Il n'a gardé ici que le plus puissant, le plus subtil et le plus profond avec, paradoxalement, plus d'accroche que sur les deux précédents efforts. Et tout le tour de force réside là-dedans.
Les ingrédients n'ont pourtant pas changé d'un iota. Une musique particulièrement atmosphérique et progressive reposant sur l'énorme prestation de Steven Wilson au chant, mais aussi sur des guitares et claviers aquatiques qui font leur chemin dans des structures travaillées au scalpel. Il est encore une fois de rigueur de s'énerver le moment voulu, et pour le bonheur des grands comme des petits c'est avec des riffs tantôt lourds et implacables (« Way Out Of Here » vers 4:55 et 5:15), tantôt plus mélodiques (la partie II sur « Anesthetize »), que le groupe revient nous ravir les esgourdes. Le propos ce recentre sur des essentiels et se modernise : les expérimentations passées du groupe ont été assimilées et digérées pour mieux se distiller dans l'ensemble de la musique, sans en perturber l'homogénéité. Cela ne veut pas non plus dire que Porcupine Tree est devenu lisse. Les humeurs et les densités varient sans qu'on s'en aperçoive, car chaque composition fait preuve d'une maîtrise consciente, semblant presque trop facile pour les zicos. Ce qui réussit bien à ce disque, ce sont aussi les rapports de tons parfois conflictuels. Prenons pour exemple le titre d'ouverture (« Fear Of A Blank Planet ») qui sous des dehors d'entrée en matière décontractée cache un texte dur et désabusé, et s'achève sur une note plus triste, réunion du fond et de la forme, sorte de retour à la réalité. Le reste continue sur cette lancée, avec une grosse respiration au centre sur le titre « Anesthetize » et ses 17 minutes. Après une première partie qui calme le jeu (plombant bien l'atmosphère au passage) vient se poser une longue transition et un superbe solo, puis le rythme s'accélère et on entre lentement dans la deuxième partie du morceau. Celle si s'annonce après un riff bien gras auquel succède une guitare incisive à souhait. C'est le « passage » le plus entraînant de l'album avec à la clef le plan saturé le plus long et le plus varié. Là-dessus la troisième partie fait redescendre le thermomètre, pour un excellent passage atmosphérique, avec entre autre un joli canon comme on a pu en voir sur « Heartattack In A Layby ».
Si je prends la peine d'évoquer ce morceau en entier, c'est qu'il montre bien à quel point ces artisans se baladent dans leur domaine et font voyager l'auditeur ou bon leur semble. De part et d'autre personne ne sera laissé sur le carreau, tout ici étant d'un niveau comparable. Je tiens cependant à évoquer la cohésion des différents (et très bons) textes, qui font presque penser à ce
Fear Of A Blank Planet comme à un concept album. C'est d'ailleurs une cohérence que l'on retrouve à plus grande échelle, puisque « Sentimental » est le penchant sombre de « Trains » auquel il emprunte directement le riff de clôture. Sachez au passage que ce titre compte parmi les plus beaux qu'ait composé Steven Wilson.
C'est volontairement que je m'emporte sur cet ouvrage, car je sais que Porcupine Tree livre à nouveau une œuvre qui comporte deux niveaux de lecture. L'un plus en surface ne manque pas de procurer un plaisir certain, mais dont on imagine avoir vite fait le tour. L'autre se révèle sur la durée, parfois même sans qu'on s'y attende. Une écoute banale parmi d'autre et soudain, un passage que l'on pensait avoir cerné prend une nouvelle dimension. L'absence de toute prétention finit par conférer une plus value irréfutable à une musique qui l'emporte par sa justesse et sa sincérité.
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