Il y a peu, j’écrivais la chronique de
« Mantiis », premier véritable album d’Obsidian Kingdom, groupe espagnol qui se complaisait dans une musique aussi extrême que riche. Mieux, qui avait su s’approprier tous les codes des deux genres qu’il manipulait, pour les transformer, en y faisant infuser un background artistique et musical impressionnant.
« Mantiis » était plus qu’un simple disque, c’était une œuvre d’art à part entière, où le visuel et les compositions ne formaient qu’un tout. Le groupe était touchant, dans son envie de promouvoir seul, et jusqu’au bout, son nouveau-né : pas de label, autoproduction complète, téléchargement à prix libre. Un contrôle complet qui aura porté ses fruits, puisque l’album a connu un vif succès, tant auprès des magazines que du public. De repressages en repressages, il était dans la suite logique des choses qu’Obsidian Kingdom signe sur un plus gros label, en l’incarnation de l’écurie Season of Mist.
« A Year With No Summer » aura mis du temps à être composé et enregistré. Le groupe est attendu au tournant, l’erreur n’est pas permise – surtout au vu de la qualité de sa discographie, si l’on omet un disque de « remixes » finalement assez dispensable. L’appareil de communication gargantuesque du label français aura tôt fait de nous présenter quelques extraits, qui laissaient entrevoir un nouveau pan de la personnalité d’Obsidian Kingdom, cuvée 2016. L’artwork peine à rivaliser avec le dépouillement de l’arthropode, et les titres dévoilés restaient inégaux – quand
« Mantiis », lui, était homogène et constant. On prend peur : Season of Mist aurait-t-il bridé l’imagination des cinq ibères ? Difficile à croire : Revenge avait bien signé avec Berberian, et «Behold.Total.Rejection » présentait les Canadiens plus déterminés et brutaux que jamais. Non, la vérité, c’est que l’entité Obsidian Kingdom reste fidèle à elle-même :
« Mantiis » changeait de forme au gré des titres. « A Year With No Summer » n’est qu’une nouvelle (ré)incarnation de la formation.
Car Obsidian Kingdom a bien mûri depuis la sortie de
« Mantiis ». Sans pour autant attendre une copie conforme des qualités exceptionnelles de leur premier album, j’espérais retrouver la beauté incisive de leur Black/Death Metal progressif, empreint d’influences aussi diverses que variées. Ce qu’ « A Year With No Summer » m’a donné à entendre, c’est une mélancolie maîtrisée plus qu’une rage incontrôlée. Comme si le groupe avait remisé à la cave cette noirceur qui habitait chaque composition de leur précédent opus, pour proposer un disque plus posé, plus poétique, et peut-être un peu moins impressionnant du point de vue des compositions. Si cette relative simplicité dans leurs constructions m’a refroidi aux premières écoutes, toute la beauté de ce nouvel album s’est imposée à moi au fil des écoutes. Aux oubliettes les blast-beats (timide apparition sur « Away/Absent »), le chant typiquement Black et incisif, la doublé pédale à outrance : réservez un accueil chaleureux aux mid-tempos, aux claviers, au chant clair (parfois un peu poussif), aux interludes ambiantes.
« Mantiis » était présenté par ses géniteurs comme un opéra à part entière. « A Year With No Summer » est une toile peinte au fil des coups de pinceaux figurés par des titres éthérés, colorés, presque atmosphériques.
De Black/Death agressif, nous plongeons dans un Rock progressif aux relents expérimentaux plus flagrants que jamais. Jamais bruitistes, ils contribuent à l’ambiance très enlevée de l’ensemble de l’album : « April 10th », sur lequel Garm (Ulver) participe assez discrètement, est cinématographique au possible. La bande-son d’une scène d’adieu entre les deux figures d’une romance aussi passionnelle qu’impossible. Un clavier qui pleure, une nappe Noise modulée reléguée au fin fond du mixage, comme un discret rappel aux heures plus « mordantes » d’Obsidian Kingdom », une boîte à rythmes aux frappes en constant décalage, tissent la toile d’un entrelac d’images, d’émotions, de paysages qui viennent immanquablement en tête à l’auditeur. Pour autant, le groupe n’en oublie pas de se faire plus frontal. Même si, comme je l’ai déjà évoqué, les titres sont construits de façon plus « binaire » : «Darkness » et sa rythmique implacable, sa batterie colossale qui se fait l’écho d’une basse qui se répand en blocs compacts, effaçant presque les guitares. « The Kandinsky Group », ou Attila Csihar ouvre le bal avec ses grognements inquiétants, est une succession de crescendo aboutissant à des explosions où les riffs résonnent, où les breaks viennent déstructurer juste ce qu’il faut des constructions qui auraient pu être trop attendues… Et où le chant clair se fait parfois un peu trop hésitant pour être réellement convaincant.
Avant d’être frontal, avant d’être un disque de Métal, « A Year With No Summer » est l’incarnation même de la mélancolie. Mais certainement pas de la déprime. C’est cette nostalgie qui vous étreint à l’évocation de souvenirs agréables, le plaisir parfois un peu masochiste que l’on s’inflige à ressasser des instants de joie que nous ne revivrons jamais. « The Polyarnik », pièce entièrement instrumentale, en est symptomatique : de longues plages de violons en arrière-plan, une batterie qui s’efface, il est typiquement le genre de titre que l’on écoute le visage collé à la vitre, celui sur lequel on se prend à laisser notre esprit divaguer. Ces fines notes cristallines, jouées par ce clavier décidément omniprésent, et cette basse modifiée viennent apporter épaisseur et chaleur, un cocon à l’auditeur. « Black Swan » et ses parties complètement Pop, le titre éponyme et son chant presque maniéré, sont autant de titres qui m’auraient fait hurler à l’époque de
« Mantiis », mais qui, pris dans « A Year With No Summer », servent son propos et restent cohérents avec son atmosphère. Ils sont joyeux. Ils sont un sourire timide, celui qui se dessine sur le visage de l’auditeur au fil des écoutes de l’album. Le ton est plus léger, tirant parfois dangereusement sur la niaiserie, mais on pardonne tant le résultat est convaincant, tant les déshabillages successifs révèlent de nouveaux éléments à nos oreilles.
A la première écoute, la sauce n’a pas pris. Je m’apprêtais à descendre en flèche ce qui me semblait être un disque bien trop moyen pour espérer égaler
« Mantiis », que je continue de passer assez régulièrement – et qui ne perd rien de sa superbe, même en l’usant jusqu’à la corde. Ce que j’avais pris pour une régression n’est qu’une transformation. « A Year With No Summer » n’est ni supérieur, ni en deçà de son aîné : il est totalement différent, malgré quelques rappels placés au sein des titres. Atmosphérique, poétique, parfois déchirant, Obsidian Kingdom a su contrôler les démons qu’il agitait auparavant pour les mettre au service de quelque chose de beau, de rafraîchissant. Presque « enfantin » dans sa manie d’alterner entre joie et mélancolie, plus on l’écoute, et plus il grandit en nous. Si je continue à regretter la violence perdue d’un
« Mantiis » sans aucune carence, et les compositions parfois un peu « simplettes » (les envolées de chant ratées sur « The Kandinsky Group », entre autres), il est malgré tout clair et net que ce « A Year With No Summer » est un disque à écouter, et avec lequel il faudra compter lorsqu’il s’agira d’établir le bilan musical de l’année.
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