Il n'y a encore pas si longtemps, le groupe dont je m'apprête à vous parler était peu connu des amateurs de Metal extrême. Ce n'est pourtant pas du à son jeune âge, puisqu'Obsidian Kingdom est un quintet de Barcelone existant depuis 2005. Formation qui n'en est d'ailleurs pas à son coup d'essai. Fort de deux EPs plutôt riches (mais malheureusement passés assez inaperçus), mettant en avant une personnalité musicale déjà bien affirmée, l'album "Mantiis" que nous disséquons aujourd'hui, et un disque de remixes Drone/Noise finalement assez dispensable, Obsidian Kingdom, derrière une étiquette "Black/Death" somme toute assez réductrice, mélange les genres, les influences, affine et développe sa recette au gré des sorties, osant toujours un peu plus les détours par les terres expérimentales - quitte à franchement lorgner vers le bruitisme.
Le parcours même des ibères est exemplaire. Obsidian Kingdom est l'incarnation type des musiciens qui ont la dalle, vivent par et pour leur musique, tiennent à garder un contrôle artistique total et à ne pas se brider. Jusqu'à l'aussi surprenant que mérité succès de ce "Mantiis" (et leur signature chez Season of Mist, Berberian a définitivement le sens des affaires), chaque réalisation du combo était autoproduite, proposée en téléchargement gratuit, déclinée également en supports physiques pour les fervents supporters. Quand la volonté de toucher les foules surpasse celle d'amortir ses investissements. Force est de constater que leur confiance en leur travail n'était ni forcée ni excessive, puisque ce Mantiis reste mon plus gros coup de coeur de l'année 2012. Un bijou de créativité, d'élégance et d'émotion.
Le groupe partait avec une longueur d'avance par rapport à ses camarades de promotion. Les premières réalisations sont souvent synonyme de tâtonnements, d'expérimentations et de recherches pour se trouver d'une part, une "patte sonore", et de l'autre, une "identité graphique". Tous, mais pas Obsidian Kingdom, qui s'est trouvé un univers visuel dès les sorties de leurs deux premiers EPs, "Matter" et "3:11". Entre minimalisme et abstraction, des figures à interprétations multiples qui, finalement, ne pouvaient pas mieux coller à leur musique. "Mantiis" ne fait pas exception à la règle, en affichant une jaquette et un livret merveilleusement dépouillés, signés par
Ritxi Ostáriz (responsable, notamment, de la pochette et du booklet de "Eremita" d'Ihsahn) et
Elena Gallen (styliste et artiste). Sommet visuel et sonore, "Mantiis" est une oeuvre multimédia plus qu'un simple disque.
L'album consiste en une seule longue piste de près de cinquante minutes, découpée en 14 parties. Si, par un découpage habile, il est possible et tout aussi appréciable de les prendre séparément, l'écoute de l'album entier est fluide, sans aucun accroc ni longueur superflue. A noter que sur cet ensemble, quatre sont des instrumentales, dont l'introduction, "Not Yet Five", sonnant comme la rencontre amoureuse entre Masami Akita et Josef Nadek. Elle plonge l'auditeur dans le bain, par ces notes fantomatiques en arrière plan, cette basse chaude qui résonne, et ces nappes bruitistes qui gagnent en importance et en intensité au fur et à mesure que les secondes passent. Le décor est planté, les trois coups sont donnés, la pièce peut démarrer.
Et durant les quatorze actes qui composent "Mantiis", l'auditeur va voyager, vivre, ressentir. Force de frappe due en grande partie au talent des musiciens : les guitaristes se lancent dans des riffs tantôt très torturés, tantôt simplistes et massifs, joués aussi bien sur des guitares sèches qu'électriques; le bassiste pose ses lignes discrètes mais indispensables en arrière-plan, qui viennent soutenir des structures rythmiques dispensées par un batteur aussi sobre qu'efficace. Le vocaliste brille par la diversité de sa palette vocale, maniant aussi bien le chant clair que les vocaux plus écorchés. Encore fallait-il un son exemplaire pour que chaque instrument trouve sa place dans des compositions aussi sinueuses. Propre, net, carré, sans pour autant être trop synthétique ou "lissé" (le syndrôme de la batterie à 320kbps), il rend justice aux musiciens comme à l'univers qu'ils tissent avec cordes, peaux et baguettes.
Un univers aux multiples climats, aux multiples reliefs et aspérités. "Oncoming Dark" brille par une mélancolie déchirante, soutenue par ce riff de guitare sèche lent et désespéré, ces quelques notes de clavier résonnant comme celles d'une boîte à musique, cette batterie faussement enjouée, et cette voix désabusée déclamant ses textes dans un Anglais parfaitement intelligible. Titre qui poursuit son ascension en crescendo vers un embrasement final, éruptions de riffs en bloc, solidement maintenus par la cadence implacable d'une double pédale, avec, toujours, cet arrière-plan fantomatique de claviers cristallins, juste balance entre brutalité métallique et sentiment d'innocence, disséminé tout au long de l'album.
Le groupe n'en oublie pas pour autant d'être efficace, et des titres comme "Ball Room", "Endless Wall" ou plus particulièrement "Cinnamon Balls" sont là pour ne le rappeler : blast-beats carrés et décapants sur riffs tranchants, synthétiseur grandiose (que l'on retrouvera pour le surpuissant final du titre "Answers Revealing"),
breakdowns arythmiques convoquant Meshuggah, incursions de parties purement électroniques pour apporter épaisseur et agressivité à un ensemble déjà bien compact. Entre Black, Death, Mathcore et que-sais-je, le patchwork dessiné par "Mantiis" est aussi habile qu'impressionnant. Et Obsidian Kingdom ne s'arrêtera pas là.
"The Nurse" proposera ainsi une petite incursion vers les terres du Free Jazz : ce court interlude, joué aux balais par le batteur, en deviendrait presque efrayant, avec ces petites notes chétives de clavier s'entêtant en arrière-plan, cette guitare plaintive revenant à intervalle régulier. Influence Jazz ma foi bien marquée qui pointera encore une fois le bout de son nez dans le titre "Last of the Light", ou un saxophone, délivrera, dans toute sa superbe, une mélodie aussi enivrante que chaleureuse.
Si l'on parle de claviers depuis le début, on oubliera pas non plus de citer le piano, l'une des grandes composantes de "Mantiis". L'instrument fait partie de ces "générateurs d'ambiances" convoqués par le groupe pour faire pencher la balance du côté de la tristesse, comme le commencement de "Genteel to Mention", titre porté à bout de bras par l'organe du chanteur. Enregistré sur des pistes différentes et dans des hauteurs de notes variées, un seul et même homme arrive à donner une impression de choeur - certes assez simple, mais qui n'en est pas moins impressionnant quand cette technique est bien utilisée. On esquissera un rictus à l'écoute du très bon "Awake Until Dawn", ou le clavier d'habitude discret sonne comme un Goblin sous Prozac - et loin d'être ridicule (surprenant, tout au plus), il s'intègre très bien à la composition.
Le groupe malmène les étiquettes et les genres, qu'il réinterprète et arrange afin de proposer quelque chose d'infiniment personnel. On ne pourra que tirer son chapeau face à cette démarche, cette volonté de remuer un peu la scène musicale extrême qui s'encroûte. En mélangeant toutes les influences qui leur passeraient sous la main, du Black au Death en passant par le Jazz, le Rock, le Dark Ambient voire même quelques incursions dans la Pop ("Oncoming Dark"), Obsidian Kingdom réussit le tour de force de proposer un voyage unique dans la psyché de l'émotion humaine, de la plus triste des mélancolies jusqu'à la plus destructrice des colères. Défendu fièrement par ses cinq géniteurs, autoproduction oblige, "Mantiis" est une pièce complexe qui nécessitera plusieurs écoutes pour mieux en apprécier la saveur. Aucune lassitude cependant, puisque chaque séances réserve une découverte, une nouveauté qui n'était pas parvenue à nos oreilles jusqu'alors.
"Mantiis" a bénéficié d'une réédition chez Season of Mist, chez qui le groupe a signé pour la sortie de leur prochain album,
"A Year with no Summer", prévu pour Mars prochain. J'ai fait partie des chanceux possédant les éditions originales de l'album, signées par les membres du groupe. J'ai fait partie des témoins de leur explosion et de leur succès, aussi inattendu que colossal (il n'y a qu'à voir le nombre ahurissant de chroniques pour cet album). "J'y étais". Et force est de constater que ce succès n'a pas été volé tant "Mantiis" s'est hissé en tête de tout ce qui a pu sortir en 2012, forcé malgré tout de partager son trône avec Mgla.
Un album essentiel pour toute personne désireuse de vivre une expérience musicale forte. Ni plus, ni moins.
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