Transatlantic - Bridge Across Forever
Chronique
Transatlantic Bridge Across Forever
Fuyez, pauvres fous. 4 titres, 1h16. Les amateurs de musique progressive débridée, qui n'ont pas peur des riffs d'un autre temps, des sons de claviers délicieusement rétro qui fleurent bon les seventies, vous pouvez rester avec moi pour affronter ce boss final, ce balrog ultime de la musique progressive. Qui se cache derrière cette offrande gargantuesque ? Voici, chers lecteurs, les sorciers malfaisants et coupables de cette invocation apocalyptique : Neal Morse (claviers), Roine Stolt (guitare), Pete Trewavas (basse) et Mike Portnoy (batterie). Quatre pointures absolues qui ont écumé les groupes emblématiques : Spock's Beard jusqu'en 2002 ainsi qu'une foultitude de sorties inspirées pour le premier, véritable hyperactif de la musique, The Flower Kings pour le second, Marillion pour le troisième, Dream Theater jusqu'en 2010 et une liste éléphantesque de projets annexes pour le dernier, certainement un des batteurs les plus prolifiques et les plus talentueux de notre temps. Rien que ça : des CV blindés à ras-bord. Une convergence de talents extraordinaires, surtout, tant ces quatre monstres sacrés ont animé, chacun à leur manière, la scène progressive durant des décennies. Signé chez InsideOut, Transatlantic est donc un super groupe formé en 1999 à New York, parsemant notre XXIe siècle naissant de quelques albums à la résonance modérée en dehors de la scène progressive. Bridge Across Forever est leur second album, sorti un an après SMPTe qui introduisait le projet comme les musiciens qui l'animent.
Et pour cause, la démarche derrière ce combo est totalement jusqu'au-boutiste, ces quatre sorciers étant, chacun, de véritables intégristes de la musique progressive, comme le montrent leurs morceaux à rallonge. Leurs compositions sont le résultat de cette radicalisation : une atmosphère totalement old school que ce soit dans le son comme dans les riffs, qui évoquent le passé avec insistance. On pense forcément à Rush, influence omniprésente dans le côté éclatant et enlevé du tempo, mais aussi à Pink Floyd dans certains passages atmosphériques : le pont au piano de « Stranger in Your Soul », accompagné de la basse ronflante de Pete Trewavas chante les louanges des Britanniques. Le clavier est omniprésent, tantôt par des nappes symphoniques qui enveloppent l'ensemble avec majesté (l'intro de « Stranger in Your Soul », superbe), tantôt par ses sons d'orgue, tantôt par ses tonalités synthétiques, destinées aux soli. Ses accords de piano dynamiques et mélodiques viennent donner de la couleur et de la percussion à l'ensemble, lorsqu'il se fait dynamique et enlevé, mais aussi lorsqu'il est plus intimiste, à l'image de la sublime ballade « Bridge Across Forever » et son motif piano/chant divinement touchant. En tout cas, cet opus confirme que Neal Morse est autant un claviériste légendaire qu'un compositeur de génie, qui déborde d'idées incroyables. À l'image des trompettes qu'il fait retentir dans « Duel with the Devil », qui relancent avec un génie un peu suranné – mais attendrissant – ce morceau incroyable qui lançait l'album sur les chapeaux de roue. Sa voix, d'une tessiture intermédiaire, ni trop aiguë ni trop grave, est plutôt old school elle aussi, mais jamais maniérée et toujours juste dans ses intentions. Ses lignes de chants, foutrement efficaces, sont équitablement partagées avec celles que les autres musiciens apportent régulièrement. On reconnaîtra régulièrement la voix de Mike Portnoy, notamment, dans un registre plus grave. En tout cas, dans les passages calmes comme ceux plus percutants, David Gilmour n'est jamais loin. Ces vocalises qui tapent toujours où il faut, qui n'oublient pas de s'effacer pour laisser la place à des motifs progressifs expérimentaux et décalés, contribuent à faire de cet album une réussite éclatante. Le refrain ultra accrocheur de son ouverture – qui revient à plusieurs reprises au cours de l'album – a tout compris :
« Motherless children
Wandering nowhere
Feels like there's miles to go
Reaching for water
Longing to go there
Flooding into your soul
Into your soul »
« Nothing but fucking epics » : telle est la manière avec laquelle se présente Transatlantic dans les concerts gargantuesques qu'il donne. En effet, « Duel with the Devil », orgie ultime de près de 30 minutes qui introduit ce disque, est le témoin parfait de cette intention. Les riffs emblématiques avec lesquels il cartonne d'entrée les braves auditeurs qui auront le courage de s'aventurer dans ses terres plantent définitivement le décor d'un chef-d'oeuvre de la musique progressive, que ce soient dans ses touchantes atmosphères aériennes ou encore avec ses ponts mélodiques un peu décalés. De même, Transatlantic] n'oublie pas non plus de bomber le torse pour aller grappiller quelques riffs dans le metal : aux côtés de « Duel with the Devil », « Stranger in Your Soul » qui atteint quant à lui les 30 minutes, est le morceau le plus percutant de ce disque, avec des guitares plus agressives et offensives. Rien de bien brutal ici, mais on sent que ce super groupe a parfaitement fusionné les divers talents de ses membres pour en tirer le meilleur parti possible.
Et bordel, qu'est-ce que ça groove! Le feeling, cette donnée parfois impalpable dans les projets musicaux de tout bord, est ici omniprésent. En tout cas, le plaisir avec lequel ces musiciens ont structuré et enregistré ces morceaux – et les portent sur scène avec une virtuosité incroyable – est parfaitement palbable, lui. Il n'y a qu'à entendre « Suite Charlotte Pike » et sa rythmique funky pour finir de s'en persuader. Forcément, avec Mike Portnoy derrière les fûts, c'était prévisible. Le bonhomme a cette capacité de hisser les projets auxquels il participe vers l'excellence. La couche de mélodie qu'il impulse à ces morceaux avec ses breaks dynamique et son travail tentaculaire sur les cymbales ou encore la double pédale apporte à Transatlantic un supplément d'âme incroyable. Tout comme le long solo atmosphérique dans lequel Roine Stolt fait chanter sa guitare avec application qui intervient dans « Duel with the Devil », terriblement inspiré comme vous l'aurez compris. La basse subtilement aventureuse de Pete Trewavas soutient les excellents riffs du bonhomme, efficaces et accrocheurs au possible lorsqu'ils suivent une structure classique. Ils me font régulièrement secouer la tête avec ce sourire en coin qui barde mon visage lorsque je sais que je vais me prendre un classique historique dans le cerveau. Vous connaissez ça, vous aussi, je suis sûr, ces poils qui se dressent tout seul sur les bras, quand les riffs touchent votre point sensible : le corps parle. Davantage que la raison, en somme. Tant et si bien qu'on oublierait presque que cet album, sorti en 2001 avait déjà, à l'époque, dix bonnes années de retard. L'écouter aujourd'hui téléportera les radicalisés du prog dans le passé avec un immense bonheur. C'est exactement l'effet que me font Bridge Across Forever et Transatlantic : finalement, on en reprendrait bien une tranche.
| Voay 27 Janvier 2021 - 1043 lectures |
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