« Deep into the night...
Looking for the light! »
Comme nous tous,
Transatlantic cherche la lumière au bout du tunnel que ces temps sombres nous réservent. Le vaisseau-mère stellaire qui orne ses artwork, utilisé comme mascotte du groupe depuis sa formation, continue sa route, imperturbable, voguant à travers une galaxie progressive aujourd'hui constellée de talents. Depuis ses débuts en 2000 avec
SMPTe,
Transatlantic a tout pour être considéré comme Wolverine dans les comics Marvel, « le meilleur dans sa partie ». En effet, ce super groupe formé en 1999 par Mike Portnoy (batteur, voix) et Neal Morse (claviers, guitare, voix) avec Pete Trewavas (basse, voix) et Roine Stolt (guitare, voix) s'est jusque là fendu d'une discographie généreuse, sans fausse note, qui a pour seule limite cette atmosphère old school jusqu'au-boutiste qui ne concède que peu de place à la modernité. Enfermés dans leur zeppelin, ces quatre-là ressuscitent les seventies avec un talent évident depuis quatre albums ;
Bridge Across Forever, sorti en 2001, avait été l'occasion pour moi d'en faire l'apologie sur votre webzine préféré. Ils ont tout le loisir, à la fois technique et culturel, d'explorer d'autres territoires musicaux quand l'envie leur en prend : les deux membres fondateurs de ce groupe le font d'ailleurs très bien dans
Flying Colors, notamment. Aujourd'hui privés des concerts gargantuesques qu'ils avaient l'habitude de donner pour défendre leurs offrandes, notre quatuor s'était réuni en septembre 2019 en Suède pour offrir un successeur à
Kaleidoscope, sorti en 2014. Un successeur ? Non, c'était beaucoup trop simple.
The Absolute Universe est en fait une double dose de plaisir : le premier,
The Breath of Life, objet de la présente chronique, est la version « abrégée » d'un ensemble plus grand,
Forevermore, double disque gargantuesque dans lequel ses chapitres sont amplifiés voire même, d'après les dires du légendaire batteur, repensés, dans leurs motifs comme leurs paroles. Ils ont tellement tenu à dissocier les deux sorties qu'ils ont composé de nouveaux morceaux pour les deux versions, pour apporter davantage de cohérence à chacune. En tout cas, dans sa conception comme son ambition, cette double offrande ne ressemble à nulle autre. Elle évoque toutefois
The Whirlwind (2009), puisqu'il s'agit également d'un gigantesque morceau divisé en plusieurs pistes. Un nouveau tour de force, en somme. L'inspiration débordante ressentie par notre quatuor lors de la phase de composition ainsi qu'un autre événement survenue au début de l'année 2020 auront suffisamment retardé les choses pour que ce
The Absolute Universe devienne un concept album plus ou moins centré autour des maux actuels de notre société, la pandémie en tête.
S'il n'est donc pas tout à fait un groupe « actuel » dans sa musique,
Transatlantic ne s'empêche donc pas de parler de l'actualité, toujours avec une ossature un peu datée mais terriblement séduisante : ce feeling seventies insouciant est plus que jamais rafraîchissant dans cette époque morose. À l'image de ces sonorités de clavier presque mystiques dont Neal Morse nous gratifie dès la traditionnelle « Overture ». C'est même une véritable bouffée d'air frais qui émerge des riffs enjoués envoyés par le quatuor dès « Reaching For The Sky » : ce tempo enlevé, dansant, porté par la caisse claire claquante de Mike Portnoy nous indique immédiatement que nous sommes en terrain connu. Dès ses premiers instants,
The Absolute Universe offre avec une belle générosité à ses auditeurs ce qu'ils sont venus chercher. Avec un petit supplément, puisque la production que Rich Mouser leur offre ici est juste parfaite, laissant notamment une place de choix à la basse de Pete Trewavas. Ses lignes de basse, tantôt techniques, tantôt génialement groovy, inondent chaque recoin de ce nouvel opus avec un son rond et organique, totalement jouissif pour tout amateur de cet instrument. Notre homme ne tombe pourtant jamais dans le piège de la démonstration et s'illustre constamment en portant tout son orchestre sur ses épaules, comme dans « The Darkness In The Light » et son passage atmosphérique qui repose entièrement sur la quatre-cordes. Et que dire de « Looking For The Light », tube « bluesy » instantanément ravageur ? Aux côtés de la voix grave et éraillée de Mike Portnoy qui porte l'ensemble du morceau, Pete Trewavas y est gravitationnel, avec son doigté fulgurant, magnifiquement mis en avant. C'est en effet son instrument qui guide la mélodie, comme très régulièrement dans cet album. En plus de ses coups de boutoir ravageurs et de son groove phénoménal sur les cymbales, la voix de Mike Portnoy se fait elle aussi une place de choix sur cet opus : les lignes de chants de
Transatlantic semblent de plus en plus équitablement partagées entre les quatre musiciens, donc forcément très variés. Roine Stolt et sa voix sinistre habite « Owl Howl », heavy à souhait, voguant parfois du côté du doom, avec son tempo lent et ses guitares lourdes qui évoquent sans faute de goût les temps sombres que nous traversons. On retrouvera évidemment avec plaisir la voix de Neal Morse, qui avec ses intonations caractéristiques, ses tremoli toujours justes et touchants vient transcender ses apparitions par des motifs emblématiques et des choeurs aériens toujours superbes. Il illumine notamment la conclusion de cette version abrégée, « Love Made The Way » et le premier couplet de « Take Now My Soul » de ses lignes de chants optimistes, rappelant par la même le chanteur accompli qu'il est.
« When summer comes, we'll dance again... oh yes we will!
But the moys and heat could not subside our fears
So take now my soul
Just give me through to... to tomorrow!
Take now my soul !
Carry me through, Lord, I'm coming home! »
Cette belle naïveté nous ferait presque entrevoir ces lendemains meilleurs que nous attendons tous. Pour l'heure, alors que Mike Portnoy prend le relais sur le couplet suivant, cet équilibre vocal entre les « quatre fantastiques » s'impose comme l'une des grandes réussites de cet album, lui apportant de fait beaucoup de variété.
The Absolute Universe brille aussi par les moments de grâce absolus dont il est saupoudré. La transition entre les ténèbres de « Owl Howl » et la lumière aveuglante de « Solitude » me fusille le cœur et me désarme totalement. En effet, le ralentissement final vient se heurter, avec une maîtrise d'orfèvre, à une turbo ballade immédiatement accrocheuse, qui file la chair de poule en quelques notes de piano seulement. Dispensées avec maestria par Neal Morse avec moult délicatesse, ce motif est soutenu par les accords ravageurs de Roine Stolt. Grandiose. Chantée par la voix délicieusement imparfaite de Pete Trewavas, qu'on sent presque hésitant dans l'exercice (jusqu'à être quasiment faux dans certains tons), elle prend une dimension formidablement touchante et s'impose comme un monument de sincérité et de simplicité. Et oui, même ces dieux vivants de leurs instruments respectifs sont capables de forcer leur nature, preuve ultime qu'ils ne sont pas en roue libre sur cet album et qu'ils cherchent, malgré les limites inhérentes au style qu'ils se sont choisi, à se renouveler. La reprise de « Looking For The Light », en fin d'album, sublime l'ensemble des riffs emblématiques déjà entendus plus tôt et fait également de ce morceau un classique instantané, encore meilleur meilleur que l'original notamment lorsqu'il part dans un passage prog totalement réussi où les claviers rétro se taillent la part du lion avant de laisser exploser un sublime solo signé Roine Stolt. Décidément,
The Absolute Universe finit très fort, avec notamment « The Greatest Story Never Ends », cartouche résolument heavy diablement épique que
Transatlantic maîtrise parfaitement. Cette version abrégée est d'une efficacité et d'une cohérence remarquables : les quatorze chapitres de cet énorme morceau ont le mérite d'aller à l'essentiel sans trop se disperser ou se perdre en chemin.
C'était probablement le but recherché par cette double sortie :
The Breath of Life offre un condensé de tout ce que
Transatlantic fait de mieux en recentrant davantage son propos sur l'actualité alors que
Forevermore, la version double cd, doit certainement ajouter des moulures et autres raffineries dans l'architecture de cette monumentale bâtisse, à réserver aux radicalisés du prog toutefois. Pete Trewavas ne dit d'ailleurs pas l'inverse lorsqu'il imagine que les gens normaux n'auront peut-être pas eu la patience de se goinfrer un gigantesque morceau de plus de 90 minutes.
The Breath of Life, en définitive, s'impose donc comme la porte d'entrée idéale pour les néophytes qui n'auraient pas encore découvert ce super groupe. Malgré une prise de risque somme toute minimale, des morceaux moins épiques et peut-être moins marquants par moments, à l'image des deux versions de « Love Made A Way », le prélude et la reprise, qui me semblent faire partie des quelques longueurs de ce disque, nul doute que les plus aventureux d'entre eux ne manqueront pas d'être conquis par cette déferlante de feeling. Quant aux initiés, ils savaient déjà ce qui les attendaient avec
The Absolute Universe et ne seront pas déçus par l'extravagante démesure que ce nouveau projet leur réserve.
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