Mütterlein - Bring Down the Flags
Chronique
Mütterlein Bring Down the Flags
Soudain, au sein de cette nuit où tout n’est que reflet d’une lumière oubliée depuis longtemps, un hurlement.
Celui d’une louve, proche. Il paraît qu’il contient un monde pour qui prend le temps de le déchiffrer. Hurlement de rassemblement, pour appeler des semblables qu’elle cherche. Hurlement-chorus quand la meute est proche, et qu’un chant collectif se forme. Hurlement de localisation, quand le brouillard qui habite ces terres rend les choses distantes, volutes de formes, silhouettes de matière. Hurlement d’informations, quand une proie ou un mystère se révèle. Hurlement d’espoir, quand la solitude fait espérer une rencontre d’un autre, même si c’est l’Autre. Hurlement de menace, quand la solitude fait craindre une rencontre d’un autre, surtout si c’est l’Autre. « Je suis là. Où es-tu ? Je suis seule. Je t’attend. Je te crains. Crains-moi. Viens me voir. Soyons ensemble. Il y a quelque chose ici. Soyons seuls. Il n’y a rien ici. » Un seul cri. Un univers de significations.
On peut alors tenter de répondre à ce cri. Dire à la louve que l’on est là, imiter son hurlement si familier et alien à la fois. Parler d’animal à animal. Hurler comme elle, au sein de ce paysage désolé, brume de noir qui cerne la vision. Scintillement de gris laissant voir quelques chemins qu’elle arpente. On cherche à comprendre et transmettre. On pastiche. On devient barbare au sein d’une communication qu’on n’arrive pas à déchiffrer. Ce hurlement en rappelle d’autres, ceux de Kill The Thrill. de Lingua Ignota, d’Atriarch. On cherche dans ce que l’on connaît du mâle, les grognements de Swans, les hululements de The Cure. On circonscrit un champ lexical, La Route de Cormac McCarthy, le western âpre de l’après Point du jour de Léo Henry, ses illustrations de Stéphane Perger qui nous hantent encore.
Mais point de jour ni de route ici. Ce hurlement ne semble pas avoir de destinataire. Pour tout le monde et personne, la louve hurle. On répond. Elle coupe et poursuit. Elle laisse les bruits-morts extérieurs – ceux qu’on appelle silence – exprimer leur désolation, un vent qui courbe et emplit, des rythmes qui s’enlacent, s’emballent, retombent en rebondissant lourdement les uns sur les autres, strates qui voudraient être mélange. Un « Requiem » des passions d’avant. Une sollicitude au sein de ce froid polaire.
La louve s’en va. Elle met fin à une solitude partagée. Elle nous laisse la nuit, ses révélations et ses énigmes. On aurait aimé continuer à entendre ce cri, comprendre. Une rage sourd, celle d’un moment suspendu que l’on ne parvient pas à tenir exactement. La louve rôde. Ainsi en est-il de l’espoir de la revoir, d’entendre de nouveau son hurlement, que l’on rêve encore plus ample.
Il y avait un monde dans ce cri. Une vérité. Le cri d’un monde qui meurt.
| lkea 30 Janvier 2022 - 1243 lectures |
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