Souvenez-vous, en fin d’année dernière,
AABODE avait publié son premier EP
« Moist » et nous en avions pensé le plus grand bien, notamment grâce à son mélange de musiques
death et industrielles évoquant tour à tour
PORTAL ou
GODFLESH. Un tel talent prometteur ne se laissant pas filer comme ça, le label
Godz ov War Productions renouvelle sa confiance au duo pour son premier LP intitulé «
Neo-Age ».
Du côté de l’
artwork,
Aabstracter et
Aabyssal ont fait appel aux talents de
Stefan Thanneur que vous connaissez peut-être pour ses travaux auprès de
YEAR OF NO LIGHT ou encore
NECROWRETCH, il a un style bien à lui, le rendu étant ici tout simplement magnifique, beau et sordide dans ce mélange des tonalités du livide.
« Coral » explose dans les enceintes, qu’est-ce que c’est que ce bordel ? De prime abord, je peine à distinguer quoi que ce soit : riffs martiaux (quel son de guitare !), arpèges lointains, voix encore plus lointaines, sonorités électroniques glacées, des changements de tempos éboulés sur des cassures nettes ne ménageant aucune transition, nous ne sommes pas sur un truc qui est pensé pour ménager l’auditeur ou ne serait-ce que rendre l’écoute un tant soit peu confortable. Et alors que le titre développe ses huit minutes, je me fais une première remarque : peut-être qu’
AABODE n’est pas créé pour être écouté de façon classique, analytique, le casque sur les oreilles, la plume à la main. Il faudrait laisser le disque vivre, entre contemplations monastiques et pulsions violentes d’un univers inhumain, subir les pulsations alternant tachycardie / bradycardie sans logique apparente, cœur rouillé, artère de câble électrique, poumons d’acier, déficit de globules rouges, globules blancs détruits par la chimiothérapie, ondes sonores dysfonctionnelles… « Ayre » nous ramène sur le terrain plus balisé d’un
« Vexovoid », du moins en termes d’ambiance et d’intensité car, pour le reste, le duo a quitté la Terre, il navigue désormais en bordure de conscience, dans les bruits blancs de la pénombre. Le chant ? À peine un murmure hurlé, celui que l’on perçoit peut-être en expérience de mort imminente alors que d’autres étranges appels nous incitent à choisir le tunnel, à marcher vers la lumière. Voix d’homme, de femme, qu’importe, la sexualisation n’a plus de sens dans ce mouroir laissé à l’abandon.
Oui, «
Neo-Age » contient des titres (sept). Ils ont des noms, des durées, des paroles mais les écouter revient à participer à la course de l’Ultra Tunnel : arpenter 321 km dans le noir absolu. Les oreilles perçoivent des stimuli sans parvenir à déterminer d’où ils viennent, des choses nous frôlent, tantôt moites et gluantes, tantôt froides et rêches, les concepts de temps et d’espace déclinent vers l’obsolescence, les repères s’étiolent en une brume visqueuse de perceptions saccagées. L’envie est parfois grande de stopper la progression, de s’asseoir et de se laisser pourrir là, le corps rongé lentement absorbé par un sol spongieux.
Pour mon goût parfois gâté, c’est le traitement des guitares qui me fascine le plus dans cette sortie. Elles sont issues des meilleures usines de
metal industriel, totalement oxydées, alors qu’en arrière-plan se déroule une rave cyberpunk de junkies pétés au crack, à l’oxidado, au fentanyl, à la kétamine… L’auditeur déambule alors anesthésié sur un dancefloor poisseux (« 20247 YOD »), frôlant des humains augmentés aux crocs de bêtes fauves (« Rem(a)inder »), et ça fait salement flipper comme expérience parce que «
Neo-Age » ne connaît ni la pitié ni l’amour, il transpire le rejet absolu de l’humain, l’appellation
mechanized hyper death metal prenant ici un sens tout symbolique : la mécanique asservie à l’homme, l’homme augmenté par-delà la souffrance et la mort, connecté aux machines, le
death comme vague réminiscence d’une époque où le corps jouait encore un rôle dans les rouages de l’horreur.
Alors que le duo poursuit son exploration des mondes et que l’auditeur retrouvera de-ci de-là des références à des univers connus, qu’ils soient musicaux ou cinématographiques, ces derniers occupant une place prépondérante dans les compositions, j’arrive néanmoins à la conclusion, fragile, qu’
AABODE est parvenu à l’une des plus étranges fusions qu’il m’ait été donné d’entendre, vague écho de notre civilisation perdue racontée par une intelligence numérique hallucinée.
Par gulo gulo
Par AxGxB
Par Jean-Clint
Par Raziel
Par Sosthène
Par Keyser
Par Keyser
Par Lestat
Par Lestat
Par Sosthène
Par Sosthène
Par MoM
Par Jean-Clint
Par Sosthène
Par AxGxB
Par Deathrash
Par Sikoo