Artefact - Ruins
Chronique
Artefact Ruins
J'aime à le répéter, si je suis chroniqueur, c'est parce que mon avis vaut plus que celui des autres, et que je l'exprime en des termes subtils et gracieux, dont mon lecteur prend un plaisir proche de l'extase à se délecter. Alors pour une fois, je vais ranger cette fausse prétention au placard : non mon avis ne vaut pas plus que celui des autres – bon, je l'exprime toujours mieux que vous hein, excusez-moi de ne pas être illettré, tas de philistins. Devant un album aussi déroutant, il vaut effectivement mieux se faire humble, car on sait que la tâche va être ardue. Oh, c'eut été tellement plus simple que cet album soit décevant, extrêmement mauvais, moyen, bon, ou un chef d'œuvre… j'aurais mis quelques formules bateaux comme «… nous sort une fois de plus un chef d'œuvre », « je préfère encore écouter du Grégory Lemarchal que ce truc immonde » ou « …ne nous avait pas habitué à tant de médiocrité ». Non, Artefact est bien décidé à compliquer la tâche des pauvres bénévoles sacrifiant leur temps libre pour chroniquer ce Ruins, dont je n'arrive toujours pas à savoir dans quelle catégorie le classer, malgré de très nombreuses écoutes.
Premières secondes première impression : de très belles arpèges de guitare viennent se mêler à une basse très ronde et des claviers qui jouent une fort belle nappe, avant de se rapprocher de la sonorité d'un violon, puis de revenir à un emploi plus commun. L'ambiance est bel et bien là, mais est loin d'être une ambiance commune aux autres groupes de black metal. L'enchaînement avec le second morceau « Gargoyles Unleashing » est extrêmement naturel et agréable, et le morceau part sur un excellent riff de black metal, rapide, carré, comme on aimerait en entendre plus souvent. Au bout de deux minutes, je me dis que je suis sûrement en présence d'un excellent album de black metal. Puis ensuite, des breaks là encore peu communs car très heavy viennent structurer ce long morceau. Ils sont parfois techniques, le groupe n'hésitant pas à utiliser assez souvent des contre temps assassins, mais le plus souvent ils sont juste très heavy, les guitares faisant quelques arpèges ou partant dans un refrrain calme et mélodique un peu (j'ai bien dit un peu) à la manière d'un mid-tempo de death metal suédois. Et puis vient un solo lui aussi extrêmement personnel, très heavy metal, et donc fort technique, se greffant sur une partie où la seconde guitare enchaîne les accords alors que la batterie fait quelques discrets roulements, lui permettant de captiver toute l'attention de l'auditeur, tout comme dans un album de… heavy metal.
Cela vous semble fourre-tout ? C'est un peu normal, en un peu plus de sept minutes, j'avais compris que je n'allais pas chroniquer facilement cet album, qui bien qu'étant cohérent et extrêmement maîtrisé par des musiciens tous plus excellents les uns que les autres, se permet d'explorer divers horizons en laissant parfois son auditeur un peu perdu.
Première chose à noter dans ce Ruins, c'est que l'ambiance n'est absolument pas black metal. Elle n'est ni noire, ni malsaine, ni quoi que ce soit d'habituel, elle est plutôt au contraire joyeuse et presque reposante.
L'utilisation de gammes particulières (j'émets l'hypothèse peut être erronée d'un usage relativement fréquent de gammes majeures, et mon peu de connaissances en solfège me permet de reconnaître une mineure harmonique et une mineure naturelle sur « Medieval Ancestry » si je ne m'abuse) renforce cet aspect à part, et fait que certains passages font penser parfois à Melechesh (pour le mineur harmonique) et souvent à Emperor (pour le reste), mais globalement, il est bien difficile de rapprocher Artefact d'un autre groupe.
La production est aussi pour beaucoup dans cette impression de non-noirceur, car elle n'est elle non plus absolument pas black metal. Ce n'est pas un point négatif bien contraire, car elle est elle aussi dans l'optique de ce Ruins : naturelle, claire et travaillée. Les guitares sont relativement saturées, bien que les solos ressortent très distinctement du reste des instruments, la batterie quant à elle est visiblement 100% naturelle. La caisse claire est très claquante et la grosse caisse a un son extrêmement plein et puissant, bien que l'on puisse regretter qu'elle soit un peu sur-mixée. C'est ce seul élément qui vient un peu obstruer une basse franchement peu audible, car extrêmement grave et ronde (on dirait une Jazz Bass de chez Fender), qui ne se fera entendre qu'avec une oreille attentive en poussant le volume plus qu'à l'accoutumée. Les claviers (comme tous les claviers, c'est là leur défaut) ressortent de l'ensemble par leur propreté bien qu'ils ne soient pas trop mis en avant (et c'est une chose fort appréciable). Les diverses parties de chant sont quant à elles mises très en avant, à tel point que le chant black metal vient en de très rares occasions couvrir les guitares. Bref, cette production, si elle n'est pas parfaite, est extrêmement propre et claire, et permet de tout entendre à l'exception toutefois de la basse dans les passages les plus brutaux.
Ce Ruins est un album riche, hors normes et ma foi franchement complexe à assimiler, ce qui dans les faits, a tout pour me séduire, moi qui mange du death technique et du metal progressif tous les matins au petit déjeuner. Oui, mais l'embêtant, c'est que Artefact ne cherche pas à faire du black metal progressif, et j'ai l'impression toute personnelle que le groupe navigue entre deux eaux sans vraiment chercher à aller au bout de ses possibilités. Et quand on essaye de boire à deux verres en même temps, forcément, on se renverse tout dessus (si-si, essayez pour voir).
Prenez le morceau instrumental « Foutain Of The Enchantress », à mon sens le meilleur de l'album. Il commence par un riff typiquement black metal et assez rapide absolument magique, où le travail d'harmonisation des deux guitares est bluffant de maîtrise, et qui évolue en un riff presque heavy tout en gardant son efficacité initiale. Oui mais voilà, au bout d'une minute et demi, le riff est remplacé par un break avec des chœurs, puis on a le droit une partie de clavier trop en avant à mon goût avant que les blasts reprennent et que le riff de départ soit progressivement amené, et qu'enfin une superbe (et c'est un euphémisme, j'ai rarement entendu aussi beau dans l'univers black metal) partie de guitare acoustique et de flûte termine le morceau.
Dans tous les cas, c'est extrêmement bien fait, les parties prises individuellement sont magnifiques, mais toutes les mettre dans un morceau engendre une frustration certaine. Quand on tient un riff aussi bien fait que celui d'introduction, on ne le répète pas que deux fois dans un morceau ! J'aurais personnellement préféré qu'il soit distillé à toutes les sauces ou presque, qu'il y ait moins de breaks, et qu'il y ait du chant (surtout que permettez moi de le redire, il est excellent) pour ajouter de la fougue à un morceau qui en manque un peu. Et idem pour la partie acoustique finale, sublime au point que de ne n'en avoir que trente secondes tient du supplice bien plus que du ravissement.
A l'image du morceau suivant « Curse Of The Wizard », Artefact propose donc d'excellents riffs black metal, malheureusement un peu trop noyés dans des breaks très heavy relativement faciles. Mais pour continuer dans la critique, il est une chose qui me choque presque dans cet album, c'est le contraste qu'il peut y avoir d'un riff à l'autre dans l'utilisation du clavier. Souvent, le clavier est plutôt en retrait, très discret et se contente de distiller quelques nappes, mais de temps à autres, il se fait franchement présent et dérangeant, que ce soit en mettant des notes partout ou en restant bloqué sur un accord en particulier, et nuit à mon sens plus à l'ambiance générale qu'il ne sert les compositions. C'est d'autant plus dommages que certains breaks seraient beaucoup plus rentre-dedans sans lui, et qu'il ne dessert pas toujours les compositions.
Dernier point négatif de cet album : une heure de musique, c'est vraiment trop, tant l'album est difficilement assimilable. Comme déjà dit, les morceaux ne sont pas assez captivants sur la durée pour vraiment tenir l'auditeur en haleine, et tous les morceaux de l'album se trouvent être franchement longs. Une raison de plus pour penser que des compositions auraient gagné à être épurées de diverses parties. Pour terminer l'album, le morceau « Gargoyles Rest » est une reprise intégrale du morceau « Gargoyles Unleashing » ouvrant l'album, chose dont je ne me suis rendu compte qu'après deux écoutes tant la durée de cet album est grande. Si le morceau en lui-même est excellent et remarquablement bien fait (je ne suis pas aussi fort en piano que dans les instruments conventionnels du metal, mais je pense pouvoir dire sans me tromper que le pianiste en question est fort bon), sa fin est beaucoup trop joyeuse et fait presque penser à un piano bar ou à un générique télé, c'est d'autant plus dommage que l'ensemble était vraiment très sombre – plus que l'album en lui-même. Et bien sûr, rajouter à un album déjà long une reprise d'un morceau au piano paraît un choix étrange, mais je suis curieux de savoir ce que cela aurait donné si quelques lignes de piano avaient directement été greffées au morceau original.
Bref vous l'aurez compris, ce Ruins est un album déroutant, complexe, très riche, et fait par d'excellents musiciens. Mais personnellement, je regrette un usage trop systématique et parfois peu judicieux de claviers, ainsi que quelques longueurs dans les compositions, qui font que l'on ne retient finalement de l'album que les passages brutaux ou acoustiques. Au bout du compte, je ne sais pas quoi penser de cet album, car bien qu'assurément bon, le style pratiqué varie d'un riff à l'autre. Les passages les plus fougueux comme sur « Reverence » et « Fountain Of The Enchantress » côtoient des passages presque heavy metal qui font penser à du black mélodique, certains passages où le clavier est trop présent font penser à du black symphonique, alors que des passages techniques comme sur « Medieval Ancestry » ou « Stellar Winds » font penser à du black progressif. Personnellement, je pense qu'Artefact a tout pour faire un excellent groupe de black progressif mais n'ose pas aller trop en avant dans l'expérimentation, tout comme il pourrait être un fantastique groupe de black metal conventionnel (sans aucune connotation péjorative) alors que les passages hors normes sont légion et font perdre de l'efficacité à l'ensemble.
Et voilà, à force de m'étendre ma chronique est aussi longue que ce Ruins, mais j'espère avoir été assez clair sur les points qui me dérangent dans cet album. Il est évident que les gens très éclectiques et qui n'ont pas d'exigence stylistique particulière vis-à-vis du black metal pourront trouver cet album génial. Je le redis, Artefact est un très bon groupe (et je prendrai d'ailleurs un plaisir certain à les voir en concert bientôt à Tours), et si vous n'êtes pas dérangé par les points prétendument négatifs que j'ai exposé dans cette chronique, foncez, Ruins pourrait bien être un de vos albums de l'année 2008.
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