Sam Bean est l'archétype de l'homme énervant. Non pas parce qu'il n'est pas sympathique, il a eu l'occasion de nous prouver le contraire en interview, mais simplement parce qu'il est doué, ce chanceux Australien. Il fait partie de cette caste de musiciens incroyablement énervants qui peuvent à peu près tout faire mieux que tout le monde, jouant guitare, basse et batterie tout en beuglant sur l'excellent
In The Realm Of The Senseless, à des tempos déjà fort soutenus. Je suis sûr que si on lui mettait une cornemuse entre les mains il lui faudrait dix minutes d'entraînement pour pouvoir jouer l'hymne écossais. Bref, Sam Bean est un formidable musicien, mais ce qu'il aime avant tout c'est headbanguer à 300 bpm
en donnant des coups de pied dans les murs, ce qu'il a eu tout loisir de nous prouver au cours de longues années chez The Berzerker, avant de s'expatrier en Angleterre pour une pige chez Mithras où il livrera quelques mémorables prestations live. De cette expérience chez nos perfides voisins naîtra une collaboration avec Leon Macey, qu'il invitera à enregistrer les parties de batterie de batterie pour le second album de The Senseless. Plus de trois ans d'attente après le mixage définitif, et suite à quelques négociations infructueuses avec divers labels, Sam Bean se décide donc enfin à sortir
The Floating World... en format digital. Comme moi, vous devez sans doute râler devant l'idée de payer $9,50 pour une version dématérialisée d'un album, aussi bon soit-il, mais les bénéfices engendrés ne serviront pas qu'à acheter une nouvelle planche de surf à Sam Bean, ils serviront également à financer un pressage de l'album. Pour une autoproduction la démarche est compréhensible, et l'appréhension lors du passage à la caisse est d'autant plus dissipée que l'intégralité de la somme est reversée aux musiciens. Oh, je vous ai dit que l'album m'avait botté le cul ? Non ? Alors c'est peut être par là qu'il faudrait commencer.
Il faut connaître l'humeur de sieur Bean pour mieux comprendre la démarche qui se cache derrière The Senseless, et je ne peux que vous encourager à lire
son excellent blog où il conte moult histoires hilarantes à base de strip-teaseuses en jean, de groupies jetées du tour bus, de chutes d'escalier assistées par skinhead et de tournées annulées dès le premier soir, vous ne le regretterez pas, il a une superbe plume – énervant vous dis-je. Car The Senseless n'est pas l'énième projet d'un adolescent rebelle et énervé parce que son prof de maths lui fait des misères en l'obligeant à faire des équations différentielles sur un seul pied, c'est plutôt la déclaration d'amour à la fainéantise de l'été, à la paresse de la couche au petit matin et à la promenade au bord de la plage par un trentenaire qui n'a que trop traîné sa carcasse éthilisée sur les routes du petit monde de la tournée cauchemardesque. Loin des clichés habituels du metal extrême, cet ancien one-man band reflète en tout point l'image d'un homme normal qui aime voyager et boire un coup avec ses amis normaux. Cela effrayera sans doute les puristes qui considèrent que la haine est le seul véritable vecteur d'émotion du metal extrême, mais laissera indifférent ceux qui comme moi ne réclament au style qu'un blast suffisamment rapide pour ne plus pouvoir headbanguer sans se faire un torticolis.
C'est difficile à croire mais c'est bien cet Australien que l'on ne distinguerait jamais de la masse de ses congénères qui compose ces brûlots à l'énergie dévastatrice, mélanges de blasts à 250 bpm et de blasts à 300 bpm, avec de temps en temps un petit ralentissement laissant s'épanouir une trouvaille mélodique savoureuse. L'apport de Leon Macey est gigantesque, lui qui colle parfaitement à un style de composition de toute façon très proche du sien car utilisant des intervalles similaires à ceux de Mithras – c'est flagrant sur le formidable « Magnificient ». Il a déclaré en interview n'avoir jamais rien joué d'aussi rapide, flirtant allègrement avec la barre des 300 bpm et semblerait-il jusqu'à 355 bpm pour un blast à la main. Ne me demandez pas lequel, il pourrait presque être sur n'importe quel titre, même si je le soupçonne fortement d'être sur « In Our Hearts », dont le feeling grind s'accommode parfaitement de plans qui feraient passer les musiciens de Origin pour des grabataires arthritiques. Mais
The Floating World ce n'est pas qu'un assemblage de doubles croches à des tempos surhumains, c'est aussi une montagne de trouvailles, de mélanges des styles et d'accalmies quasi-contemplatrices qui ne sont pas sans faire éprouver à l'auditeur un panel d'émotions proche de l'œuvre de Devin Townsend. Impossible d'essayer de caser cet album dans une autre catégorie que celle de « metal extrême » tant il explose allègrement les frontières stylistiques, passant d'une composition à tiroir toute en mélodies comme « Far From Over » au mid-tempo quasi Morbid Angelien qu'est « Let Me Sleep ». Et si en chemin vous pensez grind, punk voire crust et autres genres autoproclamés cool par des êtres qui sentent des dessous de bras c'est normal, The Senseless est un peu tout cela à la fois. Que ce soit en alternant le lent et le très rapide sur « Amazing Pain » ou en prodiguant un éphémère feeling punk sur « Death To Metal », il y en a définitivement pour tous les goûts, le plus impressionnant étant que tout ceci semble former un tout cohérent malgré la fréquence des changements de cap opérés par Sam Bean.
Bien sûr, l'éternelle brute que je suis reste plus sensible au death metal survitaminé qui compose les deux tiers de cet album plutôt qu'aux ballades champêtres d'un lendemain de cuite à la «The Floating World », surtout quand l'avalanche de blasts s'accompagne d'une éclatante ligne de tapping comme à la fin de « Walk » ou d'un solo utra inspiré d'un « Far From Over » surprenant. Pourtant la maîtrise du mid-tempo est bien présente, et il est difficile de ne pas headbanguer au son de ces accords rétro qui nous renvoient directement à l'éclat de la Floride d'il y a vingt ans. Que c'est jouissif d'entendre un compositeur se lâcher, faire son album dans son coin sans se soucier de la réception ou des chiffres de vente, et au final se retrouver avec une œuvre totalement à contre-courant des schémas habituels, extrêmisant les extrêmes tout en laissant place à un feeling étrangement calme et reposant. Sans me faire atteindre l'orgasme cosmique que me procure un
Worlds Beyond The Veil, ce
The Floating World arrive à m'évader de mon quotidien, qualité assez rare pour un album à l'impact si frontal.
Mais il ne faudrait pas négliger non l'hermétisme d'une musique à la fois si originale et extrême, ayant moi-même du mal avec le registre vocal étendu de Sam Bean, quoiqu'il parte bien moins dans les délires distordus et électro que sur
In The Realm Of The Senseless. Dommage également que l'album n'ait pas un véritable tube comme peut l'être « Vacation », dont la dynamique devrait être érigé en modèle dans toutes les écoles de musique. Pas de quoi rebuter néanmoins, d'autant plus que ce second album paraît plus cohérent et facile d'accès que son homologue de 2008, plus prompt à emprunter des chemins plus éloignés du metal.
À vrai dire il n'y a que si vous êtes réellement allergique à ce bel exemple de course effrénée vers le record du monde de matraquage de la grosse caisse que vous risquez de ne pas trouver au moins un aspect intéressant chez The Senseless. Pour les autres, fans du premier album, de Mithras ou bien simplement à la recherche d'un album de metal extrême qui sort des sentiers battus, il n'y a aucune raison que vous fassiez l'impasse sur cet excellent moment dont seule la durée un peu légère et la tendance à un peu trop baisser en régime vers la fin ternissent un album éclatant. D'ailleurs au bout d'un petit nombre d'achats numériques l'album sera pressé, puis un clip sera tourné – on l'espère sans mort prématurée tant les homonymes de Bean ont l'habitude de ne pas faire de vieux os dans leurs œuvres. Quoiqu'il en soit et malgré son anonymat actuel,
The Floating World s'impose comme l'album le plus rapide, le plus survolté et le plus extrême depuis un bon moment. Et souvenez-vous, si ça blaste trop, c'est que vous êtes trop vieux. Ou que vous êtes Ikea. Dans les deux cas, c'est pas de bol.
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