Tiamat - Wildhoney
Chronique
Tiamat Wildhoney
Il y a un rapport entre Marduk, Blood of Kingu et Tiamat. Si, si, d'ailleurs c'est MA minute wickipédia, je peux dire ce que je veux. La preuve : dans la mythologie mésopotamienne, Tiamat, mère de tout ce qui existe, prend comme second époux Kingu (également son fils, mais ça c'est dégueulasse) et tous deux sont défaits par Marduk, jeune dieu venu des abîmes. Ce dernier fend Tiamat en deux, créant ainsi la terre et les cieux, tandis qu'il verse le sang de Kingu, engendrant la race humaine. Ceci étant dit, cet imbroglio barbare à la genèse incestueusement suspecte pourrait bien éclairer de ses éléments bouillonnants le curieux virage entrepris par Johan Edlund sur Wildhoney. S'il y a un archétype du disque charnière impossible à classer, c'est bien celui-ci. Quatrième offrande du groupe, qui se retrouve ici presque entièrement renouvelé autour de son frontman charismatique, cet album sépare d'un côté un passé doom/death sophistiqué, et de l'autre un avenir tourné vers un rock gothique plus sage, mais non moins recherché.
Beaucoup tendent à voire en cet album deux parties distinctes, là où je préfère y trouver une progression logique, dont le mouvement général va en effet du sombre vers le clair. Il ne faudrait cependant pas réduire son architecture à ce simple état de fait, car si soubassement et terrasse il y a, le parcours qui mène de l'un à l'autre est autrement plus intrigant que celui qui va de la cave au jardin. Il y a dans cette demeure quelque chose de vieux et de poussiéreux. C'est un dédale tumultueux où s'amassent les parchemins seventies de clairvoyances enfumées. C'est un parcours initiatique. Il te faudra d'abord boire la potion doom « Whatever that Hurt », dont les chœurs voguent les yeux grands ouverts sur leur guitare qui avance au pas lent et saccadé d'une danse incantatoire. Elle est là qui répond au tambour tribal et au clavier tintant comme autant de clochettes suspendues à un plafond maintenant invisible. Les effluves du breuvage te font quitter le sol, traversant « The Ar » jusqu'au 25ème étage et sa mécanique inquiétante (25th Floor), jusque là insoupçonnée. Le rêve te semble à la fois lent et fulgurant, notamment grâce à ces interludes qui appuient l'idée de progression et non de césure. D'ailleurs Edlund t'accompagne, car lui connaît le chemin : il chuchote, grogne, susurre à ton oreille tel le sorcier sous psychotropes qui t'explique le sens caché derrière le pataud de ces voûtes un peu grotesques. C'est à l'orient que l'on pense (le solo de « Whatever that Hurt »), à une nature qui engloutit généreusement ses enfants en un lent processus de digestion (Gaia), à une marche le long du cosmos (l'enchaînement allant de « The Visionnaire » à « Planets »), ou à la paix des rivages méditerranéens (le solo hispanisant de « Do You Dream Of Me », la gratte de « A Pocket Size Sun » imitant le mouvement lascif d'une mandoline vénitienne). Pourtant les impressions restent fugaces, ne laissant comme souvenir que la richesse des étoffes écartées dans ce constant levé de rideau. Wildhoney contient à la fois l'expérience et la révélation. Le miracle d'un solo ou l'intervention limpide d'une guitare acoustique émergent comme le prophète surnage dans une mer d'encens en hélant ses coreligionnaires engourdis. « Do You Dream Of Me ? » résume à lui seul cet état où la came dit vrai, empli d'une sensualité Floydienne mêlée de mélancolie, ressassées sous les astres par son leitmotiv spatial. Il y a franchement de quoi décoller, le mot atmosphérique étant ici décliné à tous les cas, véhiculé tour à tour par chaque organe, de l'évident à l'expérimentation : Wildhoney est doux, accueillant, un peu triste et un peu fou.
L'album reste relativement court (quarante minutes avec les interludes), et surtout un peu simple en apparence. C'est sans compter sur la multitudes d'arrangements discrets qui le parsèment et la production à l'étouffé qui recule et enrichi l'impacte des parties saturées. Inversement, les interventions du clavier, certains arpèges et accords résonnent (au sens propre comme au figuré) avec limpidité, le tout pouvant parfois paraître un peu gourd, mais pas dénué de charme et de patine. Rien ne justifie en tout cas que l'on passe à côté de ce curieux objet, bien à part non seulement dans la discographie du groupe, mais également au sein d'une scène à laquelle il n'appartient finalement qu'à moitié. Enjoy !
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