Trust - Trust IV (Idéal)
Chronique
Trust Trust IV (Idéal)
J'avais eu l'occasion d'écrire la chronique, en forme de cri du cœur, du tout premier album éponyme de Trust, en ces même pages. Un disque complètement habité par une hargne tout ce qu'il y a de plus punk, servi par des compositions directes saucées des soli ahurissants d'un Norbert Krief en forme olympique. Ont suivi les albums "Repression", comportant l'hymne que tout le monde connaît, "Marche ou Crève" et son hommage poignant à Bon Scott, et... "Trust IV", ou "Idéal", sorti en 1983. Pas la plus aimée des œuvres de Trust, certes, mais l'une des plus ambitieuses - et l'une de mes préférées, par la même occasion. "Idéal", le disque des changements ? Pas vraiment. Si la valse des musiciens continue (Nicko Mc Brain, en rejoignant la vierge de fer, troque sa place avec Clive Burr qui sait lui aussi faire parler la poudre), ni Bernie ni sa bande n'ont perdu la verve qui les caractérise.
Les deux faces du LP ont chacune quelque chose de bon à offrir - même si, nous y reviendrons, c'est la seconde partie qui reste la plus intéressante. La première partie de ce quatrième opus calme un peu le ton du groupe : si le titre prend la forme d'une balade, "Les Armes Aux Yeux", reprenant la thématique carcérale chère au groupe ("Le Mitard", racontant Mesrine, sur leur second album), reste une composition aussi forte que prenante, ou Bernie chante avec sa rage caractéristique le calvaire du prisonnier, et se voit répondre par un solo enflammé du père Nono. On peut également citer le morceau titre, "Idéal", aux relents commerciaux qui peuvent prêter à sourire, notamment ce saxophone enjoué, moins bien exploité que sur leur tout premier album (il s'intégrait parfaitement, par sa discrétion, à un titre comme "Le Mateur"). N'allez cependant pas croire que Trust a vendu son âme au Diable (du moins, pas avant la seconde partie de l'opus) pour autant. "Varsovie" et "Par Compromission" viennent remettre les médisants à leur place : le rythme est certes un peu plus lent qu'à l'accoutumée, mais la cadence est aussi solide que le riffing. Les refrains sont fédérateurs, critique de la religion pour le premier titre, récit autour de la Pologne pour le second, et l'on retrouve le plaisir de lever le poing en scandant des paroles toujours aussi incisives. "Le Pouvoir et la Gloire" marque le passage de la première à la seconde face, composition toute en nuance, alternant parties décapantes aux guitares acérées, et passages plus mélancoliques sur les refrains. Le pouvoir et la gloire, recherchées par l'homme dont il est question sur la fameuse "face du Diable" qui débute.
D'un coup d'un seul, le ton se fait plus grave, moins percutant. "Purgatoire" et son ouverture sentencieuse, en cordes discrètes et toms occupant tout l'espace sonore, jusqu'au refrain et ses chœurs religieux en arrière-plan, entament le concept développé par Trust sur cette seconde partie : empruntant à Berlioz comme à Faust, les quatre dernières compositions de "Trust IV" ébauchent un pacte avec le Diable en personne, de la signature jusqu'à la descente aux enfers (dans tous les sens du terme). Sans être orthodoxe à l'extrême, Trust se fait plus religieux, empruntant presque au Gospel sur "Le Pacte", entre son ouverture mystique et la ride folle de son refrain, en forme d'illumination divine. Durcit le ton pour se faire sermon moralisateur sur "La Luxure" et sa rythmique brise-nuques, ce qui n'est rien face au dernier morceau, "Jugement Dernier", le plus véloce de l'album. Trust s'emballe, Bernie suit correctement le rythme qui se fait plus fébrile, volontairement cassé, tout en crescendo, jusqu'à sa partie centrale, qui voit se chevaucher l'éternel solo de Nono et les chœurs qui nous ont accompagné tout au long de cette seconde face. Trust termine son quatrième opus en ébauchant le paysage de l'Enfer, des grognements jusqu'à la guitare que l'on laisse sonner dans le vide, où les cymbales, en longues nappes, figurent les vapeurs de souffre. Le groupe aime les paumés, les charbonneurs, les oubliés (il n'y a qu'à regarder l'excellent "Les Démons de Jésus" de Bernie Bonvoisin pour s'en rendre compte), et ne fait que raconter l'épisode de l'un d'eux qui, las de sa vie, décide de commettre l'impensable, en se compromettant avec le Malin.
Du récit du prisonnier jusqu'à la signature du Pacte, des polonais pris en tenaille jusqu'au soldat perclus de beaux rêves, Trust reste raccord avec ce qui lui tient à coeur, et nous offre un quatrième album de très grande volée. Si la première partie est relativement classique tout en sachant rester efficace ("Varsovie" reste quand même irrésistible), c'est son ambitieuse seconde moitié qui remporte mon adhésion. De la thématique jusqu'aux atmosphères même des titres, la "Face du Diable", à défaut d'être ce que Trust a fait de plus convaincant, est suffisamment curieuse et bien réalisée pour que l'album entier mérite d'être écouté. Il en reste que cet "Idéal", qui aura bénéficié d'une version totalement anglaise intitulée "Man's Trap" l'année suivant sa sortie, n'a pas vraiment séduit les amateurs du groupe. Bien dommage, car l'album, malgré ses quelques défauts, reste d'excellente facture.
| Sagamore 12 Septembre 2016 - 2131 lectures |
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