Trust - Trust
Chronique
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Chacun possède une "première fois" différente concernant l'univers de la musique extrême. A la différence du premier acte amoureux, souvent accompli rapidement et honteusement, la première rencontre avec l'univers des guitares saturées, des perfectos et des rythmiques saccadées a été, pour chaque passionné, la plus douce des claques. Un souvenir que l'on aime se remémorer avec nostalgie - l'équipe de Thrashocore pourra en témoigner dans un futur plus ou moins proche. Ma première fois, c'était avec ce disque. Tout jeûnot, je me souviens de "Bosser Huit Heures", de "l'Elite", qui tournaient dans la vieille Volvo familiale, sur le chemin de l'école : entre les odeurs du cuir des sièges et les effluves de Sans Plomb, baigné par la fumée des cigarillos que mon paternel enchaînait à un rythme que Claude Evin n'aurait pas supporté. Je crois qu'on ne pouvait pas rêver meilleur univers pour apprécier cet album qui, encore aujourd'hui, reste l'un de mes favoris.
Parce que oui, avant d'être l'hymne "Antisocial", que tout le monde reprend ad nauseam jusqu'à le vider de toute sa substance, Trust est avant tout un groupe ayant accouché d'excellents albums, dont celui-ci, restant à mon sens le point culminant de leur discographie.
Faut-il avoir l'âge d'un disque pour en encenser le contenu ? Sûrement pas, surtout lorsque ce dernier aura été notre porte d'entrée vers des contrées aussi violentes que merveilleuses.1979, en ce temps la, me disait mon père, la scène musicale française se complaisait dans du pop/rock bon enfant, aux paroles sucrées et acidulées. Histoires d'amours contrariées, tourments existentiels et révolte bon-enfant... Cette année-là, Téléphone sortait son deuxième album, "Crache ton venin", qui énervait un peu (à peine ?) le ton trop sage du rock hexagonal. Puis Trust a débarqué, jetant un gros pavé dans la mare musicale stagnante. A grand renfort de polémiques en tout genre, le premier album éponyme de la formation Trust, et de loin le meilleur, est né. Marquant tout une génération de hardos par ses textes virulents, ses compositions bien tournées et son caractère bien trempé. Un album hors du temps, sorti il y a plus de trente ans, et toujours d'actualité. Las de la bien-pensance ambiante, la bande à Bernie déchire toute muselière, fait fi des contraintes commerciales pour composer onze titres entre Hard-Rock vindicatif et punk engagé. Ils auraient pu n'être qu'un énième clone des Beatles, ils sont devenus le fer de lance d'une scène à part entière.
Si musicalement, l'album a été une véritable bombe, il est pourtant bien ancré dans son temps. La production est celle de l'époque : les guitares possèdent ce grain, ce son que beaucoup aujourd'hui cherchent à imiter sans jamais l'égaler, et la batterie, à peine étouffée, est très correctement mixée, laissant la place qu'elle mérite à la guitare soli. Fort heureusement, car Norbert Krief en use et abuse : maltraitant sa pédale Wah-Wah, et fait littéralement pleurer sa guitare, en témoigne le solo absolument superbe de "L'Elite", qui ne manquera pas de coller des frissons à beaucoup d'entre nous, ou encore les envolées de "Police=Milice" qui viennent marquer les punchlines que Bernie, en bon maître de cérémonie, aboie. Le groupe s'autorise également quelques extravagances qui viennent apporter une réelle fraîcheur à l'ensemble, comme ce saxophone et ces interludes disco sur "Palace", fort bien emmenées, petites parenthèses entre deux assauts. Le tempo est frénétique, soutenu, servi par un batteur qui, à défaut de maintenir des blasts constants à 240 à la noire, fait correctement et sobrement son travail. Roulements frénétiques de "Préfabriqués", groove et cassures de rythmes sur "Comme un Damné", balade tranquille sur "Ride On", Jeannot sait faire varier son jeu pour éviter la redite. Et ce même si son instrument reste très discret face à l’exubérance des guitares. "Trust" apparaît très orthodoxe aujourd'hui, très classique dans le fond comme dans la forme (et ce malgré les quelques "expérimentations" que j'ai évoqué plus haut), mais à l'époque, le choc était total.
L'uppercut passait aussi par les mots. Il serait injuste de résumer Trust à ce que le français moyen, abreuvé des discours de Giscard, baptisait "la musique de sauvage". Les paroles, dérisoires aujourd'hui, restaient pour l'époque assez inédites. Les forces de l'ordre ("Police-Milice", souvent censuré), la prostitution ("Palace"), le fascisme ("l'Elite"), le patronat ("Bosser Huit Heures"), Bernie, sans être Kaaris, en a gros et ça s'entend. Même si son talent d'écriture reste très modeste, le frontman aligne phrases chocs et punchlines, slogans de manifestations en puissance. Force est de constater qu'il aura eu le temps d'aiguiser sa plume, en témoignent les textes de "Idéal" (ou "Par Compromission", les versions divergent), concept-album avant l'heure qui sortira en 1983. Trust manie le verbe avec férocité et vulgarité, et c'est bien tout ce qu'on lui demandait.
Que reste-t-il de Trust, aujourd'hui ? Une tentative de retour marquée par la sortie de "13 à Table", album assez lamentable, en 2008. Norbert Krief parti cachetonner aux côtés de Johnny Hallyday, Bernie Bonvoisin, bien plus intéressant derrière une caméra ("Les Démons de Jesus", à voir d'urgence) qui multiplie les apparitions chez ceux qu'ils critiquaient, à grands renfort de discours absurdes ("Diam's a une sacrée paire de couilles" [sic] dans un vieux Hard'N'Heavy de 2008), un projet alternatif quelconque, le Kollektif Ak-47... Pas grand chose qui ne vienne rappeler dignement le souvenir de ce qui fut un groupe influent sur des générations de formations après lui, ayant accueilli Clive Burr ou Nicko McBrain en ses rangs, et ayant réussi le tour de force de marquer le paysage musical français. Et, plus modestement, de m'introduire à un univers musical qui continue de me nourrir au quotidien. Merci Bernie, merci Papa.
| Sagamore 12 Février 2015 - 1516 lectures |
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