Alors que l'heure du bilan approche pour cette chère année 2017, quelques sorties se bousculent pour tenter ce qu'on appelle un « hold-up », c'est-à-dire s'imposer dans le classement à la toute fin, en mode sous-marin, en balançant des missiles là où on ne les attend pas pour créer un effet de surprise immédiat.
Et si 2017 a été ponctuée par des sorties de grande qualité, il faut croire que novembre n'est pas en reste, avec notamment la promotion assez discrète d'un disque qui viendra prochainement : « The Untamed Wilderness » de AETHERIAN.
Cette formation grecque, qui a déjà publié un EP en 2015, avait annoncé la couleur : « Tales Of Our Time », c'est un regard pessimiste sur un monde mourant à un point qu'il en devient irréel (d'où l'idée de contes, je suppose).
J'ai été conduit par ce groupe avec l'écoute de
TEMNEIN. Et par rapport aux français, AETHERIAN partage de grosses similitudes : du Melodic Death mené avec hargne et mélancolie, qui dépeint une image désabusée du genre humain.
Mais j'ai trouvé chez ces derniers un petit truc en plus, qui ne tient à pas grand chose : le mélange des genres.
Actuellement, on est dans une mouvance où le Metal noir, pessimiste et sensible est très orienté Post Black, avec ces allers-retours à la guitare, ces mélodies éthérées et un poutrage intensif venu de nulle-part, dont l'équilibre fait que ça laisse l'auditeur sur l’expectative.
L'album d'AETHERIAN est plein de cette logique, et ce dès le premier morceau qui pose une superbe ambiance dans l'intro, avant que le titre ne prenne son temps pour imposer un Melodic Death à la BE'LAKOR. Mais, après avoir bien saisi les codes, après nous avoir rappelé les habitudes d'un genre aux accents expressifs sous des riffs en détresse et mélancoliques, on a cette grosse rupture, et on embraye vers le deuxième titre, « Dark Earth », résolument Post Black dans son attaque.
De manière générale, les articulations au sein du disque ont fait l'objet d'un soin tout particulier. Que ce soit au sein des morceaux, où on alterne parfaitement les parties d'accalmies et les saillies virulentes, ou dans l'intégralité de l'album, où la fin des morceaux enchaîne sur le début du suivant, j'ai été sidéré par la solidité de l'ensemble.
Ces alternances internes sont judicieuses dans la mesure où le groupe joue sur la notion de « mouvements ». Oubliez rapidement les couplets-refrains, un titre comme « The Rain » le montre bien : on passe plus par des alternances que par des répétitions mélodiques et, si jamais un mouvement est repris, il subit des modifications, des relectures.
Ici, on comprend également que, wouoh con, on ne pleure pas les riffs ! Et ceux-ci sont incisifs, et tranchent radicalement lorsqu'ils viennent sans crier gare, portés par des breaks soudains. Ainsi, sur les trois premiers morceaux, on est emporté entre vague à l'âme et soubresauts véloces, sous une tension émotionnelle qui force le respect.
L'occasion de se focaliser sur « As The Veil Fades » : ce troisième morceau joue un mid-tempo qui fonctionne sans problème, avec une basse qui vient vraiment ajouter un grain au son par un voile métallique et entêtant. Soudain, lorsque le groupe se décide à faire du MeloDeath pur jus (guitare soliste en avant avec des mélodies cisaillées et batterie qui forme une chape de béton), on se murmure que ça fait mal – la douleur est véritablement exprimée et palpable.
Extatique, l'esprit piqué au plus profond, on poursuit l'écoute avec des accents d'épopée, comme au départ de « Black Sails », avant que ne vienne la tornade pour couper cet élan, gimmick qu'on aura aussi pour lancer « Seeds of Deception » sous un départ légèrement Power. Ce type de jeu en alternances m'évoque
REGARDE LES HOMMES TOMBER, avec cette gestion des pauses et des accélérations qui mettent la misère. C'est cette écriture qui fait le sel d'un joyeux brouhaha qu'est « Shade Of The Sun », car ça conduit à une bonne claque qui fait des ravages.
Si, instrumentalement, la bascule entre espoir et mélancolie fonctionne tout à fait, le chant peut, à la première écoute, peiner à convaincre. Cependant, le growl frôlant le maladroit dans « Wish Of Autmun Twilight » prend tout son sens par la suite du premier titre : on est sur la frontière, et le chant a quelque chose d'émouvant, comme un cri dans la gorge qu'on a trop longtemps retenu, et qui sort enfin, vrombissant, vibrant d'émotion.
Et viennent alors ces parties instrumentales, où les guitares se détachent par des notes qui semblent solitaires au milieu d'un magma massif et implacable – inéluctable, presque.
Le chant revient, la rythmique se fait vive, puis se relâche : ça nous empoigne pour nous imposer ensuite de contempler un paysage de crépuscule, via un solo teinté d'un espoir désabusé, lorsque nous savons que l'horizon est inatteignable, mais qu'on peut ne peut s'empêcher de s'imaginer le rejoindre au prix d'un grand sacrifice...
C'est ça que je recherche dans ce type de musique : que l'aspect « Melodic » me serre le cœur, me blesse presque, mais d'une tendresse sous-jacente qui fait que j'en réclame encore.
Les parties s'enchaînent avec intelligence, et putain ces breaks conduisent à des parties très surprenantes, qui en deviennent quasi-orgasmique, le genre qui produisent l'effet « Oh putain... »
Rythmiquement et progressivement : impeccable.
C'est avec enthousiasme et plaisir que j'ai découvert « The Untamed Wilderness », et c'est avec ces mêmes sentiments que j'en parle ; après des essais timides, AETHERIAN a trouvé sa manière d'écrire et de raconter une histoire en jouant sur les frontières. De fait, le Melodic Death qu'ils produisent est cohérent, réfléchi et juste. Le groupe nous prouve dès le départ qu'il prend les codes et se les approprie à leur façon, c'est à dire en mélangeant les genres du Post Metal, du Post Black, en ajoutant un soupçon de Prog façon BE'LAKOR : leur musique devient automatiquement authentique. Cet album prend le temps, et respecte l'auditeur. Il a véritablement compris que ça ne servait à rien de jouer d'effets pour attirer le chaland. Le but n'est pas de vendre des galettes à la tonne, mais de proposer une musique sincère et sans artifice. Cette démarche ignore l'efficacité, si bien que le disque ne parlera pas à tout le monde. Mais ceux qui l'apprécieront ressentiront quelque chose de très fort – de poétique, presque.
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