Ceremony - Still, Nothing Moves You
Chronique
Ceremony Still, Nothing Moves You
Peut-être que c'est la même chose pour vous. Depuis que j'écoute régulièrement de la musique, j'ai tendance à quitter les notions de style, artistes, et faire de ma prise de pouls la guide. Quel album sera le plus en accord avec mon esprit du moment, les pensées qui me traversent ? Lequel m'aidera à passer la journée ou lequel me fera apprécier encore plus les émotions que je ressens actuellement ? Je me rends compte que ce sont de plus en plus ces interrogations qui font valeurs de décision, et non les injonctions à la nouveauté ou la connaissance pointue d'un groupe comme cela pouvait être le cas quand je désirais être un « chroniqueur-expert » (quelle idée à la con, quand j'y pense !). La musique non pas comme divertissement ou encyclopédie mais comme accompagnatrice de ma vie, en somme.
En lisant ça, vous voyez sans doute où je veux en venir. Encore un texte en forme de journal intime ! Mes excuses d'avance. Toujours est-il que mon état d'esprit a, pour moi, son importance ici car c'est dans une humeur particulière que j'écoute ce disque. Ce disque qui, sur le papier, se classe dans un genre entre hardcore et powerviolence mais que je mets dans mon classeur personnel à la section « en cas d'urgence ». Un disque qui me suit depuis quelques années et qui revient à mes oreilles toujours en lien avec les mêmes dispositions mentales : impossible de hurler, impossible de pleurer, je n'aime pas parler de moi aux autres, ça me gêne même s'il paraît que ça fait du bien... Alors j'écoute ce disque, qui me paraît parler de tout ça, de quand on se retourne contre sa propre personne, qu'on pense à ces moments de frustrations et qu'on sent qu'ils deviennent ingérables, quand on pense avoir trop déçu et qu'on est déçu de soi, quand on pense qu'on ne peut pas, quand on pense qu'on devrait massacrer quelque chose mais pas les autres car on veut qu'ils nous aiment alors que nous, on n'arrive plus à aimer. Quand on pense ces choses-là.
Peut-être que ce n'est pas la même chose pour vous. On m'a dit qu'il valait mieux oublier ces choses-là, les compartimenter. Que ce n'est pas réel et que ça passe. Mais pour moi ça me semble bien réel et ça ne passe pas toujours aussi rapidement que je le voudrai. Alors j'écoute ce disque, acide, teigneux, névrosé, aux crises de spasme si soudaines et soutenues qu'elles semblent personnifiées les bonds d'une flaque de remords à une autre, une même détresse qui se refuse d'appeler à l'aide. Une musique concrète, dans ses paroles qui mettent des baffes émotionnelles quand elles se prennent à la volée, dans sa production qui tire un trait entre la crudité du punk et l'abrasivité du hardcore le moins enclin aux temps morts, dans sa voix qui exprime, non pas un instrument de rage, d'exutoire, mais, simplement, quelqu'un qui crie, qui ricane de ses états d'âme, une moquerie infligée à soi, comme je me moque de moi.
Bien sûr, on pourra parler des petits succès que contient l’œuvre : sa durée parfaite, tant elle y joue la corde raide sans s'arrêter, sa pochette qui avertit par ses rappels à la cold wave, la rue, une lame de rasoir, au sujet de compositions qui évoquent la nuit même en plein jour, une nuit cérébrale, totale, coupante, ou encore son caractère unique en raison d'un changement de style dans ce qui lui succédera. Mais - ce n'est pas la même chose pour vous -, je vois plus que ça en elle. Je vois moi à un instant précis, mes égotrips, mon cerveau qui m'insulte, mes souvenirs qui me font mal, ma perception qui rend tout douloureux, mon visage, mes murs, les gens, leurs sourires, leurs vies, la mienne, mon sourire... Et le fait que ça ne passe pas, que ce disque (ce putain de disque) ne fait que dire en concentré, sans le voile que je mets d'habitude sur ces sentiments, des choses que je sais déjà, ces choses-là. Qu'il est une impuissance où tout bouge à l'intérieur et pourtant rien ne bouge, comme quand je ris car j'ai la sensation de ne plus comprendre ce qui m'arrive.
C'est assez horrible, par moments. Heureusement, ça passe, ça s'oublie, ça se compartimente, et j'écoute d'autres albums. Mais je sais que je finirai par y retourner, et je sais pourquoi je l'écouterai. Il est là et il sera toujours là, comme ce dont je parle est là et sera toujours là. Ce n'est pas un réconfort pour autant. Mais c'est comme ça.
| lkea 8 Mai 2018 - 1490 lectures |
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