...Bien sûr que
Rohnert Park a été une déception au départ. Et même pendant longtemps ! Le groupe qui a sorti
Still, Nothing Moves You, ce disque d’une noirceur totale, d’un cynisme rare, le genre où, à la fin, tu penses soit à te flinguer soit à flinguer les autres... Tu imagines arriver après ça avec un album qui aborde des choses comme faire du skateboard, chanter la vie (même dure), donner dans le jouissif vite expédié saveur époque qu’on n’a pas connu ? On était au bord du suicide et après on retourne écouter les Clash ?
C’est sûr, je n’attendais pas ça. Mais au fait, je ne sais pas ce que j’attendais. Finalement,
Still, Nothing Moves You n’appelait pas de suite, tant il est une œuvre qui est à bout et va au bout. Qu’est-ce qu’il y avait bien à continuer, à aller voir, « après » ? Il faut bien ravaler ses rêves d’abîme... Ce que j’ai fini par faire, tu vois. Hé, il y a bien toujours quelques traces de dégoût ici, cette voix acide au possible, et ce « Sick » ! Comme un cri qui se libère, sort de sa propre décrépitude et explose au grand air sa rage, avec des lignes qui mordent encore avec force aujourd’hui. C’en est presque étonnant de la part de
Rohnert Park et ses airs de petit délire nostalgique. Pourtant, quand tu entends hurler « Sick of living in America / sick of mass hysteria » au hasard, dans ta voiture, quelques temps après le truc du Capitole, ce machin bien ridicule, et bien, ça pique.
Il m’a fallu du temps, je ne dis pas le contraire. Mais voilà,
Rohnert Park est pour moi un grand disque de Ceremony (leur dernier, d’ailleurs). Ce n’est pas que pour l’expression : il y a une certaine grandeur dans ces petits morceaux qui n’en sont pas, les interludes « Into the Wayside » qui te strient les yeux d’images de rues à parcourir comme quand on n’avait pas internet – je scrolle les bâtiments comme mon fil d’actualités, avec ennui et distance –, les remontées de « Open Head » et « Back in '84 », leurs guitares-ritournelles qui sont un punk remis à neuf, aux lignes déjà entendues mais jamais avec une telle vigueur, la scène qui renaît devant toi.
Et puis tiens, cette fichue ballade qu’est « The Doldrums (Friendly City) ». Celle-là, elle désaltère autant qu’elle donne soif, avec cette voix claire et lasse, ces répétitions qui sont des coups qu’on se met au crâne... C’est cet exploit qu’arrive à faire Ceremony et qu’il ne réitèrera jamais aussi bien, plus tard : garder une amertume de chaque instant derrière des envies de respiration, une image d’un ado punk roulant sa hargne dans des boulevards pavillonnaires gris (la pochette est misérable et rend bien hommage au contenu).
En fait, j’ai toujours la même pensée quand j’écoute
Rohnert Park. Tu connais la série
Freaks and Geeks ? Le passage où le personnage joué par James Franco lance un vinyle de Black Flag dans sa chambre et explose de mal-être ? Ben, imagine qu’il écoutait
Still, Nothing Moves You. Puis, après avoir délabré sa chambre, vois-le prendre sa planche et parcourir les rues trop calmes et trop propres de son quartier, du vent dans la tête comme après la pluie, une mélancolie qui fait des slides sur une allée vide, un dernier tour avant les décisions importantes qu’il sent devoir prendre. Après l’expression radicale de choses refoulées, le moment de basculement. C’est ça que me fait ressentir ce retour en arrière plein de choix pour l’avenir. Comme un espoir ou plutôt, un deuil qui se fait.
Ceremony perdra de sa superbe après cet album, quelques étincelles subsistant ici où là dans un océan de banalité. Mais
Rohnert Park a fini par rejoindre son prédécesseur dans mes cellules, à devenir personnel malgré des défauts bien présents, à commencer par un dernier tiers qui s’embourbe un peu, patine de sa gomme usée. Franchement, mieux vaut être imparfait comme il l’est que parfait comme le sont d’autres. C’est quand on voit les craquelures qu’on a envie de s’engouffrer...
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