The Devil's Blood - Come Reap
Chronique
The Devil's Blood Come Reap (EP)
Etrange destinée que celle de The Devil’s Blood, et par extension celle de Selim Lemouchi, son incomparable géniteur. Etrange, macabre, mais aussi étrangement onirique et parée de teintes éthérées qui contrastent avec la noirceur apparente. Même le suicide de Selim, en 2014, n’apparaît pas si tragique à la lumière de ses mots à ce propos. Votre serviteur n’a pas eu besoin de longtemps pour tomber amoureux du groupe à sa première rencontre avec celui-ci. Le premier regard a été fatal, l’emprise, totale.
Selim Lemouchi a été, pendant de nombreuses années, un membre actif de nombreux groupes donnant dans des styles variés allant du stoner au heavy en passant, bien sûr, par le black. Le bonhomme aura d’ailleurs joué en live pour Watain a plusieurs reprises, et baptisera son projet phare en leur honneur. Au travers d’interviews diverses, on apprendra qu’il formait, avec K.K. Warslut de Deströyer 666 et Okoi Thierry Jones de Bölzer, un trio de choc qui aura mené la grande vie rock’n’roll durant de nombreuses années. Seulement voilà, Selim est aussi et surtout un garçon tourmenté, habité même. Après un séjour en hôpital psychiatrique pour soigner ses instabilités, Selim rencontre la foi. Et pas celle en Jésus, pas du tout du tout. Celle en Satan, comme pas mal d’autres avant et après lui. De retour dans la vie active, Selim décide de se mettre à un nouveau projet, qui exprimera toute sa fascination pour l’occultisme et la recherche spirituelle. Influencé par différents courants de pensées, et notamment par le fameux Satanisme anti-cosmique cher à Dissection et d’autres, Selim écrit des paroles, enregistre des chansons, et invite sa frangine à venir poser sa voix sur ses compositions toutes neuves. Et là, magie (noire), bénédiction du Cornu ou transe spirituelle psychédélique, tout devient grandiose.
The Devil’s Blood, musicalement, c’est du hard-rock 70’ inspiré avant tout par Coven, mais aussi par Black Widow, Hawkwind, 13th Floor Elevators, Blue Öyster Cult et d’autres groupes plongés dans les énergies de l’au-delà, les échos d’outre-espace et les visions psychédéliques. Du hard-rock somptueux, sculpté comme rarement musique aura été ouvragée et finement découpée dans une dentelle exquise. C’est bien simple, je vais vous le dire d’un coup sans prévenir, mais pour moi, The Devil’s Blood représente l’essence parfaite des groupes précités, en transcendant encore plus leurs fièvres mystiques et leurs visions pour aboutir à quelque chose de parfait, ne souffrant d’aucun réel défaut. Je m’emporte, je m’emporte, et je vais encore plus m’emporter tiens. J’en suis fou amoureux de ce groupe, alors merde, si je veux je m’emporte. The Devil’s Blood, c’est le Corps Glorieux du rock’n’roll. Pas un pilier, pas une définition, mais son incarnation céleste parfaite, débarrassée de tous les atours terrestres. Rien que ça. Si vous voulez définir le rock en trois groupes, vous prenez Motörhead, Jimi Hendrix et Electric Wizard. Si vous voulez saisir son existence après sa mort et son élévation post-mortem, vous prenez The Devil’s Blood.
Come Reap est le second EP du groupe, après Graveyard Shuffle lui aussi excellent mais pas encore aussi divin que sur cet EP-ci. Ici, on a cinq pistes, 27 minutes de musique, et c’est tout. Une perfection ramassée sur moins d’une demi-heure, qui anticipe les longues durées qui viendront par la suite. La messe noire psychédélique s’ouvre sur la piste éponyme, et d’emblée, tout est là. La mélodie liturgique portée par des accords endiablés qui donnent envie de se plonger dans une transe dès les premières secondes, la voix incantatoire, profonde et puissante de Farida Lemouchi, alias « The Mouth of Satan », la basse ondulante et la batterie énergique. C’est la danse des damnés, la ronde frénétique des impies, l’exultation des maudits dans la joie du Maître. D’une efficacité incroyable, qui ne parvient pas à éclipser une vraie et authentique beauté derrière ses rythmes dansants. Impossible de décrire ce que me fait ressentir cette piste, c’est autant un tube irrésistible qu’une litanie dévouée emplie d’une incroyable ferveur.
Et ça ne s’arrête pas là. « River of Gold » prend la suite, avec une langueur délicieuse qui hérisse l’échine et fait courir des frissons impudiques le long des flancs. C’est la pâmoison, la chaleur mutine, la dorure aphrodisiaque. Bon Sang que c’est rock, bon Sang que c’est possédant, et bon Sang, que c’est Satan ! Et comme si ce n’était pas suffisant, ce démon de Selim envoie un solo à faire se damner Astaroth, aussi épique et évanescent que bluesy et habité. Rien, pas une seconde, pas une note de cette chanson n’est à retirer ou à retravailler. Et c’est l’exacte même chose pour la suivante, « Heavens Cry Out for the Devil’s Blood ». La mélodie, le chant, l’ambiance … Je me retrouve authentiquement dépassé pour décrire cette piste. Ça s’écoute, ça se vit, ça se prie, mais ça ne se commente pas.
Et puisqu’on parle de prier, on arrive enfin sur la dernière piste, « Voodoo Dust », après l’excellente reprise « White Faces » qui passerait presque pour une composition originale tant l’aura du groupe est forte. Et étant donné que j’étais déjà à sec de mots, je ne sais vraiment plus bien quoi faire devant un tel monument. Dix minutes de pure folie mystique, de délire psychédélique, de dérive dans l’ailleurs porté par une mélodie qui susurre le mot « foi » à chaque note. Ecouter « Voodoo Dust », c’est se laisser porter par un faisceau d’énergie vivante, animée, qui nous mène où bon lui semble. L’immense solo fleuve qui parcours la moitié de la chanson devient un égrégore reprit par une colonne sans fin d’âmes béates se dirigeant vers l’étrange et lointaine lumière, semblant ne jamais devoir arrêter sa mélopée évanescente. Voilà, quand on parle du pouvoir de transcendance et de spiritualité de la musique, c’est de ça qu’il est question. « Voodoo Dust » n’est pas seulement un grand morceau, c’est une relique, un instant sacré, un miracle alchimique élevé à la gloire de l’au-delà.
Franchement, un tel EP me laisse désarmé. The Devil’s Blood est bondissant, langoureux, entrainant, exultant et maudit tout à la fois. Un hard-rock extraordinairement travaillé et accrocheur, porté par une chanteuse d’exception qui magnifie des mélodies composées par ce qu’on a le droit d’appeler un génie de la musique. Une œuvre grandiose, qui ne saurait souffrir d’aucune critique. Un manifeste du pouvoir ensorcelant de cet art.
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