The Devil's Blood - The Time Of No Time Evermore
Chronique
The Devil's Blood The Time Of No Time Evermore
Décidemment, cette première moitié d’année 2021 se révèle décevante. Quelques sorties sympathiques, je ne dis pas, mais rien de réellement marquant pour le moment. Un Grave Miasma très chouette mais pas aussi mortuaire que je ne l’attendais, un Fyrnask un poil trop perdu dans ses langueurs pour marquer en profondeur, un Malum correctement fichu mais pas du tout à la hauteur de la précédente offrande… Je râle probablement dans le vide, la plupart de mes confrères semblent trouver poulaines à leurs petits petons. C’est le retour de la chaleur qui joue, sans doute. Suante et poisseuse saloperie estivale asphyxiante.
Au lieu de se laisser abattre, mieux vaut regarder en haut, plus haut, derrière le ciel discernable à l’œil usé, tenter de retrouver les constellations qui continuent leur impériale rotation derrière le soleil accapareur. Et il se trouve que l’une de ces figures célestes m’a imprégnée si longuement que je me trouve capable de la deviner en toutes circonstances, même en période de grand bleu cuisant, alors que les nuits s’espacent et se réduisent toujours davantage. Cette luisante pléiade, c’est The Devil’s Blood.
Il y a quelques mois, encore trop craintif pour aborder la chronique d’un album entier, j’exprimais tout mon amour pour l’incroyable EP Come, Reap. Aujourd’hui, alors que la formation a tourné dans mes oreilles plus intensément encore qu’au cours des années précédentes, j’attaque. Et ce sera naturellement avec le premier album du groupe, soit The Time of no Time Evermore, sorti en 2009 chez les inénarrables VÁN Records. 54 minutes de hard rock bluesy, drapé dans les plis d’une élégance folle, arborant d’incroyables bas-reliefs psychédéliques et occultes. Musique dévouée, priante, débauchée et incantatoire. Dansante en Diable.
Le duo d’introduction plonge immédiatement dans l’ambiance, avec cette montée lointaine de sonorités réverbérées enchaînant sur un arpège délicat que vient sublimer une lead finement déployée. Et d’un coup, c’est le choc, l’averse de guitares saturées 70’, la batterie bonhamisante, les accords folk très présents en sous-jacence, et la voix souveraine de Farida, à mi-chemin entre prophétesse soul, hommage à Jinx de Coven et caresses félines à la Joplin. La grande cérémonie de Selim Lemouchi débute.
Implacable litanie de formidables chansons d’entrée de jeu, histoire de mettre tout le monde d’accord. « I’ll be your Ghost », devenu l’un des hymnes de la formation, aussi groovy qu’hantée, avec ces harmonies de voix superposées à ce solo possédé. « The Yonders Beckons », dont la divine mélodie d’intro met à genoux n’importe quel incroyant, morceau angélique et séducteur, prière à la mort qui délivre (Moksha), brillant de bout en bout, tendrement interrompu en milieu de course par ce langoureux passage à la basse. L’immense « House of the 10000 Voices », proprement maudite, avec son travail de chant ensorcelant et ses guitares psychédéliques. Et enfin le tube fondamental « Christ or Cocaine », irrésistible. Riff indécent de sensualité, impudeur constante, refrain tourbillonnant… On ressort de ce premier enchaînement pantelant, scintillant par tous les pores de cette musique qui roule au plus près des sens, rampant sur la peau à travers la moiteur interdite, s’insinuant dans l’intérieur le plus secret.
On souffle un peu, c’est nécessaire. « Queen of my Burning Heart » est un morceau reposant, calmement joyeux en fait, mais toujours finement obombré par ces appels au Chaos entre deux lignes de chant. Redescente progressive, introduisant la véritable accalmie. « Angel’s Prayer » s’ouvre sur un sitar indien, puis laisse naître une mélodie de guitare en forme de ritournelle toujours sous-tendue de cordes folk. Et puis Farida vient vous séduire comme personne ne vous a jamais séduit. Ses lentes caresses parcourent tout l’être sans se faire réellement lascive, pour une fois, mais plutôt consolatrice, presque maternelle. Soieries, diapre, velours nacré. Douce torpeur, les anges ont remplacé les tentations.
Et il fallait au moins ça pour préparer à la suite. La très menaçante « Feeding the Fire with Tears and Blood » n’annonce rien de bon, avec ses mélodies sarcastiques, ses couplets de flaminique et son refrain déclamatoire qui promet le pire des sorts à quiconque se réfugie trop loin au cœur des mystères scellés.
« Rake your Nails across the Firmament » reprend un peu de vigueur, préparant à l’apothéose final de la plus belle des manières, classique dans le fond et dans la forme mais sataniquement entraînante dans ses moments, parcourue d'une considérable recherche guitaristique sur les soli et les arrangements. Enfin, « The Anti-Kosmik Magick » s’intronise elle-même sur une mélodie inoubliable dans sa simplicité. Farida professe pleinement la Foi qui traverse l’intégralité du disque, maîtresse incontestée de cette liturgie qui s’achève. Point d’explosions ou d’éruption, la piste s’allonge sur une longue récapitulation de tous les éléments de l’album. Soli bluesy ciselés, psychédélisme saturé presque orientalisant par moments, injections quasiment néo-classique, voix réverbérées omniprésentes, et surtout émotion constante.
On sort de The Time of no Time Evermore complétement perdu. Les repères tangibles sont allés disparaître on ne sait où. La musique si prenante de Selim Lemouchi possède le pouvoir de vous capturer à n’importe quel moment, de vous ravir corps et âme (surtout âme) à ce monde. C’est là la prérogative des grands musiciens, pour qui la musique n’est pas seulement de la musique. Un album à peu près parfait, mais cela ne signifie pas grand-chose, puisqu’il ne s’agit là de son que dans la forme, en réceptacle ou véhicule. Le principal, avec The Devil’s Blood, se trouve entremêlé à la musique, sans participer de celle-ci.
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