Manilla Road - Crystal Logic
Chronique
Manilla Road Crystal Logic
« Through the Jungle by the River Styx … »
Vous aussi ça vous le fait, hein ?
Il est mort, le bougre. Plus d’un an déjà, mais on ne s’y fait pas. Lui, sa voix nasillarde, sa crinière blanche retenue par un bandana inamovible, ses compositions incandescentes et son amour de la fantasy. Une figure du heavy plus underground, planquée derrière les Maiden, Priest, Manowar et consorts, qui s’en est tenu aux productions pourries pendant des décennies et aux pochettes d’albums immondes. Tout un état d’esprit condensé en une seule personne, en un seul groupe.
Mark Shelton a bien voulu nous laisser un héritage musical considérable avec Manilla Road avant d’aller explorer les contrées qu’il a si souvent évoquées dans ses chansons. Et bon, on ne va pas faire comme si Crystal Logic n’était pas le sommet de son boulot. Les deux suivants constituent, avec le présent album, la trilogie sacrée du groupe, qui a toutefois eu le bon goût de ne pas s’arrêter de sortir de bons disques par la suite. Mais celui-ci, c’est le Saint Graal du heavy épique. Bourré d’hymnes pas possibles, de lignes de chant mémorables et d’aventures palpitantes traversées sans aucun recul, dans le feu de l’action. On ne raconte pas des histoires, on les vit.
« Necropolis », même pas la peine de la décrire, tout le monde adore sauf les types qui ne jurent que par les parties de guitare de science-fiction et les batteries inhumainement rapides et techniques (coucou Neuro). Couplets de folie, refrain d’anthologie, riffs simples mais tellement entraînants, solo de dingue … La sainte protectrice du heavy metal guerrier et mythologique. « Flaming Metal System » juste derrière commence par ce fameux shred très agressif qui sert juste à dire « T’as vu c’que jsais faire ? » et aussi un peu « ouais, les machines inhumaines, le metal, tout ça … On va essayer de te décrire le truc en musique avec des sons terribles ». Et ensuite, on fait place à une grande tradition du heavy traditionnel, à savoir envoyer le premier riff directement surplombé par un lead ultra dynamique. La construction n’est pas spécialement compliquée, on reste sur du « couplet-pont-refrain ». Mais bon Dieu, quand ça marche … Mark chante avec tout son cœur de tatoué, lyrique sans trop en faire, en variant ses intonations, poussant jusqu’au cri parfois … On est loin des chanteurs techniquement parfaits, mais quelle intensité …
La piste éponyme est moins emportée que les deux premières, plus majestueuses, avec ces mélodies un peu lancinantes, ce refrain plus mélancolique, et ce break quasi-doom … Que du bonheur là aussi. Le solo en fin de parcours est particulièrement réussi, plus délié et plus axé sur l’aspect superbe et pourquoi pas « contemplatif » là aussi. Mark continue le sans-faute, et se permet même d’allonger sa chanson avec une variation du riff principal sur la fin, suivie d’un solo et d’un dernier larmoiement de guitare. « Feeling Free again » est en complète opposition, plus hard rock, plus rock tout court même, presque un chouilla bluesy dans l’esprit, surtout sur ce refrain tout enjoué. On reniflerait presque un peu de Lemmy là-dedans, non ? C’est frais, léger, envolé … On se prend même un petit « woooh » juste avant un solo qui swingue à mort. C’est si bon, mais c’est si bon !
Bon, je ne vais pas décrire toutes les pistes une par une. J’ai envie, ça oui, rien que pour « Riddle Master » et son gros riff doomisant qui balance ou le final grandiose « Dreams of Eschaton », mais ce ne serait pas bien utile. On va essayer d’aller plus loin. Par exemple, en affirmant que cet album est parfait. C’est la quintessence de son genre, on l’a déjà dit. Pourtant, on aurait presque du mal à dire pourquoi, d’un point de vue technique. Les structures ne sont pas bien compliquées, même si bien pensées. Le son n’est vraiment pas incroyable, c’est le moins que l’on puisse dire. La batterie est sommaire. Mark est presque faux deux ou trois fois. Alors pourquoi ça marche ? Parce que tout est fait avec intelligence et avec cœur. Ça fait cucul, mais c’est l’exact raison de la qualité de ce disque. Les mélodie sont simples, mais on sent qu’elles ont été poncées dans leur apparente primarité pour sonner aussi efficaces et mémorables que possible. On remarquera, si on est un peu attentif, que Mark aime bien les agrémenter de petites touches supplémentaires discrètes. Un petit lead de quelques notes sous un riff, une fine variation dans le développement de la chanson … Et surtout, le gars a bossé la cohérence de ses pistes. Les mélodies s’emboîtent les unes dans les autres à merveille. Tout sonne naturel, ça avance comme c’est censé avancer, les refrains tapent parfaitement là où on a envie de les voir taper. Un petit mot aussi sur les placements de voix, là aussi pas vraiment originaux, mais très bien fichus, et toujours réfléchis dans les tonalités et les émotions recherchées. On ne peut même pas dégager de recette miracle à copier, en fait (même si Manilla Road s’est fait piller la tronche des millions de fois), c’est juste que les gars font ce qu’il faut, mais encore mieux que tout le monde. Pas réellement différemment (ce qui viendra un petit peu après), mais mieux. Et surtout, avec le supplément d’âme et de conviction palpable tout le long.
Le petit point bonus qui fait plaisir ; le groupe a sorti nombre de ses premiers chef-œuvres chez Black Dragon Records, label français underground. L’histoire est connue, mais c’est toujours bon de se rappeler que si on était à la masse niveau heavy, on avait quand même déjà des labels qui pesaient.
Manilla Road est un groupe immense. Pas strictement parfait, mais immense. Par son influence, ses compositions, son esprit, sa créativité … Incroyable ce que cette formation peut charmer, envoûter, emmener loin. De vrais hymnes à chanter toute sa vie. C’est bien simple, si Mark vient me chercher pour aller me perdre avec lui dans Necropolis, je plaque tout et je le suis dans la seconde. Débrouillez-vous avec votre pandémie, moi je vais « contempler des bûchers funéraires, brûlant éclatants avec les désirs des hommes … ».
Note : à ma grande suprise, en allant faire un tour sur la page Metallum de l’album, je me rends compte que « Flaming Metal System » n’est pas sur la version originale. Ma copie étant une réédition, c’est peut-être un titre bonus … Je ne trouve l’explication nulle part. Dans le doute, le tracklisting indiqué est celui de la version originale, sans cette piste, donc...
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