Les nuits alcooliques, celles qui se commencent dans la libération des sens qu’offre la première goulée, les promesses qu’elle contient qui poussent à l’avidité, avant que le trop-plein nous rende maussade, d’une sensualité pataude et délirante, brinquebalant son corps dans des rues qu’on ne voit plus, cervelle palpitante et bouche pâteuse, pensées inassouvies et carcasse impuissante... C’est cette poétique-là que développe Daggers sur
Neon Noir Erotica.
Un retour que j’attendais avec impatience, tant le groupe m’avait laissé en pleine addiction avec son précédent album, l’ovni
It's Not Jazz, It's Blues, et un concert mémorable lors d’une des dernières éditions du regretté Yell Fest. Pris par d’autres lubies (Cocaïne Piss,
Necrodancer ou encore
Deathmaze), la bande aura décidé de prendre son temps,
Neon Noir Erotica arrivant pas loin de six ans après son fameux prédécesseur, disque imparfait mais marquant.
Et c’est, passée l’acclimatation à un nouveau virage, l’impression générale qui s’échappe également de ce nouvel album. Que Daggers décide de prendre d’autres voies n’est pas une surprise en soi, tant
It's Not Jazz, It's Blues fonctionnait comme un one shot, un parti-pris unique qu’il aurait sans doute été hasardeux de poursuivre tel quel. Exit donc les quelques velléités jazz, le groupe conservant son style tout en tirant sa force des expériences diverses de ses membres. En se concentrant sur un mélange entre hardcore et noise rock variant les plaisirs, tous rassemblés dans un voile nocturne où les ivresses s’accumulent, il évoque désormais une sorte de
Planes Mistaken For Stars avançant saoul et « soul » dans les heures d’épuisement que l’on s’autorise le soir, bars écumés et esprit essoufflé.
Dès le démarrage de « Back Alley Sacrament », c’est la gueule en vrac, la soif à la gorge, que les Belges se présentent, emmenés par la voix rauque et hypersensible de Gregory Mertz. Une ambiance de déroute volontaire, entre tristesse de l’exercice et frénésie charnelle, personnifiée par des guitares mélodiques et grinçantes, des lignes vocales éteintes et chantantes. « Cultural Blight », « Wild Blue Yonder » et « Loather » déroulent alors avec une grâce incroyable ce décor grisé et grisant, les couleurs s’étiolant dans l’éthylique, parfaite entame avant de s’écrouler dans les abîmes alambiquées d’un
Daughters (dont Daggers ne se rapproche pas que phonétiquement).
Cependant,
Neon Noir Erotica s’accroche à ce genre de passions mornes et capiteuses également sur le plan de l’amertume qu’elles laissent au cœur le lendemain. Son érotisme finit en effet par lasser de trop de lassitude ne se dépassant jamais, par exemple lors d’instants cycliques où l’attention se perd (« Harvester »). Des passages qui remplissent là où d’autres tapissent (foutu « Pipe Dog »), jusqu’à un « Eschewal » acoustique et forestier aussi charmant qu’incongru, renforçant l’impression que ces trente-cinq minutes, commençant par une certaine vision de la faim vécue comme une fin en soi, ne trouvent aucune conclusion à leurs errances.
En cela, il a été tentant de voir en
Neon Noir Erotica une déception, tant les réussites qu’il contient – nombreuses – sont mises dans l’ombre de cette impression de « pas assez ». Six ans d’absence, un prédécesseur toujours aussi étincelant ainsi qu’une personnalité forte, renforcent certainement cette insatisfaction. Pourtant, il paraît excessif de ne pas conseiller ne serait-ce qu’une écoute de ce longue-durée, accrocheur et étrange, contemporain et personnel, ce qu’il touche du doigt étant aussi particulier que rare. Une musique faite en dilettante, à entendre dans le sens d’une délectation partagée entre amateurs mais aussi celui d’une gaucherie des actes faits sans réfléchir. Dommage, le génie dont est capable Daggers étant une nouvelle fois palpable malgré cette petite sensation de gâchis. L’alcool, quelle saloperie...
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