1. Salut et merci de m'accorder cette interview ! Pour commencer, j'aurais aimé savoir d'où provenait le nom de « Elend » et comment vous l'aviez choisi à l'époque ?
Elend est un terme allemand qui signifie “misère”, “désespoir”. Je l'avais choisi à l'époque à la lecture d'un poème de Goethe. C'est court, simple, la sonorité est belle et le sens est en adéquation avec notre musique.
2. Comment expliques-tu que votre musique ait toujours été affiliée au « métal » alors que depuis le début, on ne peut pas dire qu'elle en soit à proprement parler ? Est-ce dû au fait que vous soyez diffusés par Holy Records ? Et penses-tu que cela ait joué en votre faveur en ce qui concerne sa diffusion ?
Nous avons été affiliés au métal parce que c'était la scène musicale dans laquelle nous évoluions auparavant en tant qu'auditeurs et que c'est là que nous avions nos contacts. D'autre part, il y avait au début des années 90 un appétit de nouveauté, de profondeur et un esprit d'ouverture qui ont fait que des labels métal, Holy Record en premier lieu, puis Music for Nations, Nuclear Blast, Century Media, Massacre, n'ont pas jugé inapproprié de produire ou de proposer de produire nos disques. Etant donné que c'est une scène très structurée et que le public est fidèle, je pense que cela nous a aidés dans un premier temps. De plus, il y avait dans nos premiers albums un élément vocal que seul le public métal était capable de vraiment apprécier : c'est ce qui explique, je pense, notre implantation originelle au sein de cette scène ; mais il me semble que notre public est désormais beaucoup plus varié. Notre musique s'adresse à tous ceux qui n'ont peur ni de la violence, ni de la noirceur, ni de la complexité : et il y a une partie du public métal dont les goûts répondent à ces critères.
3. « A World In Their Screams » est votre septième album, le troisième du Cycle des Vents et apparemment le plus sombre de votre discographie d'après votre biographie (je n'ai pas écouté « The Umbersun »). Comment définirais-tu la musique de cet album et son atmosphère ?
Je crois que le fil conducteur est un mouvement de compénétration des sons (orchestre/bruits/électronique/voix) et des tons (micro-tonalité). Les morceaux sont rapides, dissonants. Les sonorités synthétiques sont plus dures, les percussions et les sections de cuivres donnent un caractère d'airain à la musique : une loi implacable est à l'œuvre. C'est ce que j'ai voulu exprimer également en renonçant au chant masculin, en revenant aux parties narratives et en appliquant de nombreux effets sur la voix pour créer un sentiment de malaise et d'étouffement.
4. D'où provient votre inspiration pour la musique et les textes ? Y a-t-il des compositeurs/écrivains qui vous ont particulièrement influencé ?
Il me semble – j'espère – que sur cet album nous sommes parvenus à une synthèse vraiment personnelle. Nous utilisons, bien sûr, des techniques orchestrales particulières, inventées par des compositeurs de génie (Scelsi, Penderecki, Xenakis, Eötvös, Henry, Ligeti), mais je crois que le résultat ne sonne plus comme un hommage ou une imitation.
Le texte se présente sous la forme d'une odyssée intérieure dans laquelle les souvenirs et les modèles littéraires sont traités comme autant de territoires qui dessinent une géographie de ma mémoire et des images qui me travaillent. Son rapport aux hypotextes est donc celui de la référence et de la citation.
5. Les paroles de ce nouvel album ont été totalement composées en français cette fois-ci. Cette langue était-elle plus à même d'exprimer les sentiments et émotions que vous vouliez faire passer ici ?
Oui. Les textes étaient écrits en anglais et c'est dans cette langue que nous avions commencé à enregistrer le chant, comme sur Winds et Sunwar ; mais il a fallu se rendre à l'évidence : ni le chant ni la langue n'étaient adaptés, ils affadissaient la musique. Le français s'est imposé. Il a fallu réécrire les textes : il ne s'agissait pas de faire une traduction mais une véritable recomposition. Les deux langues ont des rythmes très différents et font entendre des mélodies très distinctes.
6. « A World In Their Screams » aurait dû être le troisième album d'une série de cinq, il clôture finalement le Cycle des Vents. Quelles en sont les raisons ? Y a-t-il un rapport avec les circonstances de l'enregistrement ou sa composition ?
La véritable raison, ce sont les chiffres de ventes de Sunwar : nous avons compris que financer nos enregistrements allait devenir impossible. Des incompatibilités dans l'emploi du temps des musiciens nous avaient contraints à repousser l'enregistrement de plusieurs mois, et nous avons pris la décision de ne pas enregistrer l'album tel qu'il avait été composé, mais de fusionner l'album d'Elend et les morceaux d'Ensemble Orphique sur lesquels je travaillais depuis 2000 et de faire un album dont la radicalité éclipserait tout le reste de notre discographie.
Nous sommes donc forcés par la réalité économique de l'underground actuel de mettre un terme à cette aventure discographique. Ceci étant dit, prendre cette décision a néanmoins été musicalement bénéfique : n'ayant plus à nous préoccuper des ventes nécessaires à la réalisation d'un autre disque et à ménager l'auditeur, nous ne nous sommes jamais sentis aussi libres.
7. Avant de prendre la décision de clore le Cycle des Vents, qu'aviez-vous en tête pour les quatrième et cinquième volets ?
AWITS devait être le pic d'intensité du cycle et les deux derniers albums devaient aller decrescendo, dans une correspondance deux à deux avec Sunwar et Winds. Nous avons plus d'une vingtaine de morceaux, composés en 2004 et partiellement enregistrés (cordes), qui auraient dû constituer l'armature musicale des deux derniers albums. Nous les aurions retravaillés, tous n'auraient pas été retenus, bien sûr, mais la base était là. Au lieu de faire cercle, le cycle se présente désormais comme un simple crescendo, comme l'Office des ténèbres.
8. Du coup, ce dernier album a-t-il été un peu remanié pour conclure la trilogie, aussi bien au niveau de la musique que des paroles ?
Oui. Il a été remanié en profondeur et l'apport des morceaux d'Ensemble Orphique en a radicalement changé la nature. De l'album d'Elend initial, dont la première version datait de 2004 et était contemporaine de Sunwar, il n'est resté que trois morceaux, qui ont été réorchestrés ; les morceaux d'Ensemble Orphique ont été simplifiés pour être adaptés au style d'Elend. Pour ce qui est des textes, je n'ai pas eu à modifier leur trame narrative, c'est ce qui devait suivre qui en aurait modifié la perspective. Le fait que le cycle s'arrête avec AWITS lui donne une tonalité beaucoup plus sombre et pessimiste.
9. Combien de temps ont pris la composition et l'enregistrement de ce nouvel album ? Pourquoi avoir tant repoussé la date de sa sortie ?
La composition de la version 2004 de l'album a dû nous prendre trois semaines/un mois ; les morceaux d'Ensemble Orphique, dans leur forme initiale, avaient été composés sur plusieurs années. Quant au travail (fusion d'AWITS 2004+EO) nécessaire pour arriver à l'album actuel, il s'est étalé sur deux mois. L'enregistrement a pris 1 mois et s'est déroulé en différentes sessions, le mixage cauchemardesque s'est étalé sur un an et demi parce que l'album a dû être mixé deux fois.
10. Vous réalisez également tout ce qui concerne la mise en page et le visuel de vos albums, et j'ai trouvé celui-ci particulièrement soigné, totalement en accord avec ce que l'on ressent en écoutant la musique. Comment l'avez-vous élaboré et a-t-il une signification particulière ?
C'est la transcription visuelle de ce que nous voulions exprimer musicalement avec cet album.
11. As-tu une idée de ce vers quoi Elend va tendre à présent ? Allez-vous entamer un nouveau cycle ?
Non. Je pense qu'AWITS sera notre dernier album. C'est notre position actuelle – et je vois mal ce qui pourrait faire changer les conditions matérielles qui nous ont amenés à prendre cette décision.
12. Renaud Tschirner et toi composez ensemble depuis maintenant près de 15 ans. Cette collaboration fonctionne-t-elle toujours aussi bien ? Etes-vous toujours sur la même longueur d'ondes en ce qui concerne la direction musicale du groupe ?
Oui et même plus que jamais. Encore une fois, ce sont les conditions matérielles qui nous empêchent de continuer, rien d'autre. L'amitié, l'accord fondamental sur ce que doit être la musique d'Elend, la direction dans laquelle elle aurait dû aller et le désir de suivre cette voie, tout est intact. Notre façon de travailler a bien sûr évolué au fil des ans et notre degré de collaboration sur un morceau particulier est beaucoup plus variable qu'à l'époque de l'Officium tenebrarum, mais cela s'est fait tout naturellement et sans que soit remis en question notre désir de composer ensemble ce type de musique.
13. Une question difficile à présent : excepté le petit dernier, quel album préfères-tu dans votre discographie et pourquoi ?
The Umbersun. De très nombreux défauts, mais une énergie sauvage. C'est l'album qui nous a fait franchir un cap en termes de composition, d'interprétation et de technique d'enregistrement.
14. Pourrais-tu nous en dire un peu plus à propos de votre autre projet, Ensemble Orphique ?
Il a commencé comme un projet solo en 2000, puis Renaud l'a rejoint ; maintenant que nous avons utilisé tout le matériau composé en commun pour faire d'AWITS ce qu'il est, cela redevient un projet solo. J'ai commencé à composer ; j'espère avoir terminé les enregistrements début 2008. Je me suis imposé des limites strictes dans l'instrumentarium afin d'éviter les difficultés techniques et financières rencontrées par Elend.
Contrairement à Elend, le chant féminin sera dominant. Un morceau comme « J'ai touché aux confins de la mort » pourrait assez bien définir la ligne musicale actuelle d'Ensemble Orphique.
15. Qu'écoutes-tu en général et en ce moment ?
J'écoute essentiellement de la musique savante de la seconde moitié du XXe siècle (Scelsi, Henry, Lévinas, Eötvös, Penderecki, Schnittke, etc.). Pour ce qui est du métal, hormis quelques groupes actuels dont je suis la discographie (DSO, Blut aus Nord, Esoteric et, dans une moindre mesure, Lurker of Chalice), je n'écoute que des groupes de la grande époque (Voïvod, Celtic Frost, Pestilence, Coroner, At the Gates, Cadaver, Carbonized, Bathory, Death... la liste pourrait prendre plusieurs pages, j'ai une discothèque assez fournie).
En ce moment, j'écoute beaucoup « Fas », le nouvel album de Deathspell Omega.
16. Merci pour l'interview ! Je te laisse conclure.
Puisque tu t'es donné la peine de rédiger ta chronique en vers, je terminerai de la même façon :
Hear the song of the River still
As the winds erase the shore
Each grain of sand passing
Along the skin
Twice as the water stains
The bodies of the dead off
From the blood of
The River
Still
I hear
the song of the River still.
www.elend-music.org
www.myspace.com/elendofficialpage
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