Suša - Velike zvijeri
Chronique
Suša Velike zvijeri
Pour les pébrons de mon acabit, qui ont toujours eu tendance à accorder beaucoup d'importance aux artworks, on ne peut pas dire qu'on soit particulièrement gâtés ici. 'Pas moche, ou ridicule pour autant... et puis le logo, lui, me plait bien; mais hormis un certain potentiel énigmatique, c'est un ensemble qui ne se révèle pas plus aguichant, ni foncièrement évocateur, que ça. Une fois n'est pas coutume, j'ai bien fait de ne pas trop m'y fier. Vous non plus d'ailleurs. Car ce premier album de Suša est un pur manifeste de la folle et abyssale noirceur de l'Homme, un condensé en quarante minutes, quatre actes d'une terreur sournoise, opaque, quasi-hermétique... et pourtant tellement communicative.
Suša est l'expression d'un unique individu, A. (c'est tout ce que que vous en connaitrez), que les plus renseignés d'entre vous ont déjà pu entendre œuvrer pour Void Prayer, Niteris, ou encore Vrač. Et c'est donc sans surprise que ce nouveau projet vient lui aussi naviguer sous le pavillon du collectif basé en Bosnie-Herzégovine, le Black Plague Circle. Mais si, vous connaissez. Ici même, AxGxB vous a déjà plusieurs fois parlé des enregistrements d'une autre de ces formations appartenant au dit cercle, je veux bien entendu parler d'Obskuritatem.
Ceux qui sont déjà familier de la confrérie en question ne seront pas étonnés de retrouver cette appétence prononcée pour un Black Metal cru, sale, ritualiste et maladif. Toutefois, Suša parvient à trouver un son, et une approche, qui lui sont propre, et à vrai dire, si j'ai parfois pensé à un nom lors de mes écoutes de Velike zvijeri, c'est un groupe qui n'a rien à voir avec le Black Plague Circle, Dødheimsgard. De prime abord le parallèle semble hasardeux, étrange, et pourtant, il me parait pertinent à plusieurs points de vue, même si je vous le dis tout net: n'entendez pas par là que Suša donne dans le DHG-worship. Pas du tout, c'est plus subtil que ça. Il y a d'abord ce goût pour des compositions aux formats longs, et aux structures quasi labyrinthiques. Des riffs alambiqués, hérissés d'épines, comme autant de branches de ronces qui s'enroulent, s'enchevêtrent lentement mais sûrement, les unes sur les autres, recroquevillées... recroquevrillées même. Elles n'auront de cesse que de vous avoir parfaitement immobilisé, sciemment mutilé, et transpercé de part en part, jusqu'à votre santé mentale. Oh, j'exagère ? À peine. Il ne s'agit pas d'un album facile, ou d'un de ces innombrables disques Kleenex. Pour peu que vous vous retrouviez accroché, vous y retournerez... et vous y resterez. Car il y a un chant fervent, fanatique, mais qui ne verse à aucun moment dans le Grand Guignol. Un chant qui, à plusieurs reprises, m'a donc fait penser au Norvégien Aldrahn... On pourra également penser à HBM Azazil de Mare... et peut-être aussi à un Mark of the Devil plus sobre, mais certainement pas moins possédé.
Tout amateur de ce genre de Black, mouvant, tentaculaire... tantôt rampant, tantôt débridé et chaotique, aura bien du mal à sortir indemne de ce traquenard. Et si les trois premiers actes n'ont pas déjà eu raison de vous, je ne saurais trop conseiller de prendre tout de même une grande respiration avant d'aborder le dernier, et ses vingt minutes pour le moins émotionnellement éprouvantes, mais ô combien captivantes. Au milieu de ce cauchemar, de quelques rares traits de lumière sembleront percer, ici où là. N'y croyez pas. Sous la forme d'une lead ou d'un passage acoustique enjôleur, ils n'interviennent ici que pour donner du relief, et mieux vous piéger, plus profondément encore.
Côté production, ça grésille et croustille un peu, mais je n'ose imaginer un son plus propre pour ce genre d'album. Par ailleurs, l'ensemble est lisible, loin de l'extrémisme parfois caricatural de certaines des formations de Raw Black Metal. Devrais-je tout de même émettre un petit reproche, cela serait l'utilisation de ce qui me semble être une batterie programmée, bien que cela ne soit pas flagrant dans ses sonorités -déjà pas mal en retrait dans le mix-, mais plutôt de par un aspect un peu raide et mécanique des frappes et des enchainements, à mon goût. Si je ne me trompe pas, peut-être qu'un vrai cogneur en chair et en os pourrait apporter un "plus". Encore que, ça se discute.
Disponible à l'heure où j'écris ces lignes, en format vinyle uniquement, édité chez les désormais bien connus, et reconnus, Black Gangrene Productions, Velike zvijeri restera à coup sûr dans mes albums marquants pour cette année. Et peut-être plus.
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