Comme l’aurait dit le regretté Omar Sharif : Lovecraft, c’est mon dada. Je suis tombé dedans dès le Collège (au début des années 90 pour temporaliser) suite à la lecture des nouvelles du recueil «
Démons et Merveilles » : «
Le témoignage de Randolph Carter », «
La clé d’argent » et «
A travers les portes de la clé d’argent », trois textes que j’avais alors eu beaucoup de mal à appréhender de par leur portée onirique, leur complexité et leur ésotérisme. Mais j’ai fini par absolument tout dévorer de cet auteur : ses poèmes («
Les Fungi de Yuggoth »), ses essais sur la littérature, l’astronomie ou la philosophie, son guide de Providence, ses récits horrifiques dont bien évidemment l’incontournable mythe de Cthulhu ainsi que pas mal de productions de ses nombreux épigones. J’ai également ingéré des études qui lui étaient consacrées, «
H.P. Lovecraft : Contre le monde, contre la vie » de Michel Houellebecq par exemple (certainement la plus singulière que j’ai eu sous les yeux), je l’ai choisi comme sujet pour mon mémoire de Maîtrise de littérature comparée avec Lord Dunsany, l’une de ses influences majeures, j’achetais pendant un temps à peu près tout ce qui se faisait et se fait encore en termes de produits dérivés (un faux Necronomicon, des livres d’art, les bandes dessinées de Horacio Lalia, Hans Rodionoff, Alan Moore, Gou Tanabe, etc.). Et c’est fou de constater à quel point la mythologie, pour ne pas dire le panthéon, créée par cet écrivain, qui n’a jamais été reconnu comme un auteur majeur du vingtième siècle, reste une source d’inspiration clé de la (sous)-culture contemporaine et de la musique en particulier, au moins au même niveau qu’un Tolkien et bien loin devant les Philip K. Dick, Isaac Asimov ou Norman Spinrad. Contrepartie de ce regain de renommée : les débats lancés par la « cancel culture » sur le racisme de Lovecraft, sa misogynie supposée (ou plutôt sa peur des femmes, à l’image de son mariage raté avec Sonia Greene), autant de sujets clivants sur lesquels je ne me prononcerai pas ici.
Vous me direz, voici une bien longue introduction pour arriver à parler de «
De Profundis », premier album des Français de
LES ENFANTS DE DAGON mais c’est surtout pour bien faire comprendre que j’espère juste que la formation ne va pas déféquer sur l’un des rares trucs que j’admire en ce monde et que lorsque l’on nomme ses compositions « The Shadows over Innsmouth », « Esoteric Order of Dagon » ou « De Profundis Mysteriis », sans doute en référence au «
De Vermis Mysteriis » de Robert Bloch, on se doit de tenir sacrément droit dans ses combat boots et d’envoyer du lourd, voire du très lourd.
Alors côté casting, mis à part
Frédéric Caillat-Mousse qui officie comme bassiste chez
ELLIPSIS depuis 2019, les autres musiciens et musiciennes ont l’air d’avoir œuvré dans différentes formations beaucoup plus confidentielles, dont
Anksunamon pour le vocaliste. Cela n’entache en rien leur talent car il va falloir être complètement bouché au fameux émeri pour ne pas être sensible à l’œuvre que viennent d’engendrer
LES ENFANTS DE DAGON.
C’est vrai, quand les premières vocalises opératiques sont survenues, j’ai pris peur. Les plans façon « la belle et la bête », même du temps de la splendeur de
THEATRE OF TRAGEDY, en gros
« Velvet Darkness They Fear », ça m’a toujours gonflé et, à part chez
EBONY LAKE (si tu n’as jamais écouté «
On the Eve of the Grimly Inventive », bah laisse en plan ce que tu es en train de faire et file corriger cette erreur), j’ai toujours trouvé le mélange « voix féminine angélique – voix masculine growlée » un brin caricatural et finalement rapidement lassant.
Ce n’est pas le cas avec les dix titres offerts ici. Bien sûr, ce mélange emprunte allègrement au genre
gothic metal et certains placements vocaux ou certaines intonations (dont l’accent anglais ou des montées trop aiguës) pourraient irriter quelques tympans précieux mais comme la place principale est laissée à un bon vieux
death metal mid-tempo flirtant parfois avec le
doom death et ne crachant pas non plus sur une petite coucherie avec le
black, tout cela donne un rendu fouillé, riche, profond et globalement plutôt bien maîtrisé au regard d’un disque pour le moins ambitieux dans son orchestration et sa narration. Les quelques passages chantés en français sont également très immersifs, on voit immédiatement que ces artistes ont pris le temps d’écrire des textes conséquents et que l’effort littéraire est là. C’est payant car l’auditeur reste ainsi immergé dans cet univers mystique tout au long de l’album, qui s’achève en apothéose avec les plus de neuf minutes de « Fallen Angel », une espèce de synthèse de ce que le groupe a de mieux à offrir.
L’ambition des
ENFANTS DE DAGON ne s’arrête pas là puisque le projet consiste à développer l’histoire sur trois albums et deux romans. Nous sommes donc face à des auteurs pluri disciplinaires dont la créativité s’étend au-delà de la simple sphère musicale, les concerts s’apparentant eux aussi à des spectacles proches du théâtre (c’est ce que j’ai lu, je suis curieux). Alors oui on n’échappe pas à quelques clichés, tant visuels (les tentacules, le lettrage du titre, le symbole ésotérique) qu’auditifs (trop de chant lyrique à mon goût, servant parfois à camoufler des riffs et rythmiques moins consistantes) mais accoucher d’un tel premier album est déjà un sacré exploit en soi, d’autant qu’il ne sera absolument pas nécessaire de connaître et d’apprécier Lovecraft pour le comprendre et le faire sien. J’attends les suites avec impatience !
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