Etat Limite - L'affrontement de l'intime
Chronique
Etat Limite L'affrontement de l'intime
ETAT LIMITE est un jeune groupe français créé à l’origine par Wintersieg en 2020. L’homme, déjà trentenaire, n’en est pas à son premier coup d’essai et il est même actif dans le black metal depuis bientôt 20 ans. Il s’est débattu dans l’underground toutes ces années principalement au sein de DEINOS MASTEMA, groupe qu’il tenait tout seul et auquel il vient de mettre fin, en 2022. Il se lance donc dans une nouvelle aventure, et après des débuts seul, il s’est trouvé un compère pour s’occuper du chant : Usher. Ils ont peaufiné ensemble le travail qui avait déjà été enclenché et qui était déjà pratiquement terminé. Effectivement, les 9 morceaux de ce premier album paru d'abord chez les amis de France Black Death Grind, et ensuite, le 1er mai 2022, sur le label Huard Productions avaient déjà été enregistrés, dès 2020. Le nouveau chanteur y a donc ajouté sa voix, tout en participant à l’écriture des paroles.
Ce que je garde en mémoire tout de suite après l’écoute de L’affrontement de l’intime, c’est avant tout un groupe érudit et mature. Il montre un intérêt et des connaissances pour des supports très variés, mais avec tous pour point commun la condition humaine et particulièrement la folie, les problèmes mentaux ou tout simplement les tortures de l’esprit. Et cela commence dès l’introduction de l’album avec « L’idée positive » qui reprend un monologue d’Emil Cioran au sujet du suicide. Sur des ajouts de friture sonore et de notes de piano mélancolique, nous entendons le philosophe expliquer que « la pensée du suicide » est une idée positive puisqu’elle offre une liberté, une possibilité de s’échapper de par soi-même.
« Ce qui m’a sauvé, c’est l’idée du suicide. Et sans l’idée du suicide je me serai sûrement tué. Ce qui m’a permis de vivre, c’est que j’avais ce recours toujours en vue. Et vraiment sans cette idée, je n’aurais pas pu supporter la vie. L’impression d’être coincé ici-bas, je ne sais pas quoi. C’est toujours pour moi l’idée du suicide, il y a l’idée de liberté. (...) Ce n’est pas l’acte du suicide, c’est l’idée ! Il ne faut pas banir cette idée, au contraire il faut exploiter cette idée (...) C’est grâce à cette idée que j’ai pu atteindre cet âge. Jamais je n’aurais pu arriver à 60 ans sans cette idée... Jamais. Donc c’est une idée positive. »
Et ailleurs sur l’album, on trouve l’utilisation de poèmes d’Emily Dickinson, la poétesse qui inspire parfois des groupes de black ou de doom, comme l’Américain POET qui a sorti en 2020 un album intitulé justement Emily... Les écrits de la femme sont effectivement un très bon vivier pour nos styles de prédilection musicaux, non seulement parce qu’elle traitait beaucoup de la mort, mais aussi à cause du fait qu’elle n’a jamais connu la gloire de son vivant. Elle cachait ses écrits, et c’est des décennies après sa mort qu’elle a été reconnue comme une artiste majeure. ETAT LIMITE utilise trois poèmes sur le morceau « L’Affrontement de l’Intime » : 355, 407 et 650. Les voici dans leur version d’origine :
355 :
« It was not Death, for I stood up,
And all the Dead, lie down -
It was not Night, for all the Bells
Put out their Tongues, for Noon.
It was not Frost, for on my Flesh
I felt Siroccos - crawl -
Nor Fire - for just my marble feet
Could keep a Chancel, cool -
And yet, it tasted, like them all,
The Figures I have seen
Set orderly, for Burial
Reminded me, of mine -
As if my life were shaven,
And fitted to a frame,
And could not breathe without a key,
And ’twas like Midnight, some -
When everything that ticked - has stopped -
And space stares - all around -
Or Grisly frosts - first Autumn morns,
Repeal the Beating Ground -
But most, like Chaos - Stopless - cool -
Without a Chance, or spar -
Or even a Report of Land -
To justify - Despair. »
407 :
One need not be a Chamber - to be Haunted -
One need not be a House
The Brain has Corridors - surpassing
Material Place -
Far safer, of a midnight meting
External Ghost
Than it's interior confronting -
That cooler Host
Far safer, through an Abbey gallop,
The Stones a'chase -
Than unarmed, one's a'self encounter -
In lonesome Place -
Ourself behind Ourself, concealed -
Should startle most -
Assassin hid in our Apartment -
Be Horror's least -
The Body - borrows a Revolver -
He bolts the Door -
O'erlooking a superior spectre -
Or More -
650 :
Pain—has an Element of Blank—
It cannot recollect
When it begun—or if there were
A time when it was not—
It has no Future—but itself—
Its Infinite contain
Its Past—enlightened to perceive
New Periods—of Pain.
Le groupe est très pertinent dans ses choix, respectant une thématique fil conducteur, mais sans s’enfermer dans une seule et unique approche. Il termine d’ailleurs l’album avec une minute trente déchirantes, à nouveau au piano mais cette fois-ci accompagné de cris désespérés. Ils sont d’autant plus touchants qu’ils sont tirés d’un documentaire tourné dans un hôpital psychiatrique. C’était en 1978, proposé par la chaîne américaine CBS, et ça peut se voir ici-même :
Voilà en ce qui concerne le décor de ce groupe français... Voilà son univers, et voilà plus ou moins ses atmosphères. Et je dis bien « plus ou moins ses atmosphères » parce que je suis persuadé que celui qui n’aura pas encore écouté l’album pensera qu’ETAT LIMITE est plutôt orienté musique dépressive. Surtout si en plus il sait que ce nom de groupe est un terme qui, en psychiatrie, « définit des personnalités avec une grande instabilité des relations affectives interpersonnelles et de l'image de soi associée à une impulsivité marquée ». Et pourtant non, ces 67 minutes ne se rangent pas dans le DSBM. On trouve évidemment des passages touchants ou mélancoliques sur lesquels le piano réapparaît, sur lesquels des mélodies plus douces apportent une légère caresse plus chaleureuse, sur lesquels le rythme faiblit considérablement... mais ce ne sont que des souffles au milieu d’un tumulte et d’un désordre torturés, qui m’ont rappelé INFESTUS à plusieurs reprises... Et la formule fonctionne bien. Il y a certes quelques parties qui sont un peu longues, mais sans nécessairement lasser. C’est juste qu’il est difficile de maintenir quelqu’un concentré aussi longtemps avec des compositions qui titillent autant l’âme... Le prochain album est déjà sorti, mais il reprend pratiquement le même format, avec 9 pistes et plus d’une heure de jeu. Nous en parlerons le moment venu...
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