S’il fallait parler des musiques expérimentales, le nom de
PYRRHON serait forcément sur toutes les tablettes tant le quatuor américain met à la torture les lecteurs de partitions depuis 2009 et l’EP «
Fever Kingdoms ». L’histoire a suivi son chemin avec les sorties successives de quatre albums tous aussi monstrueux les uns que les autres, frôlant même parfois l’indigeste du fait de leur longueur (cinquante minutes d’un truc aussi complexe, c’est très dur à encaisser d’une traite), et alors qu’«
Abscess Time » (2020) est encore un incontournable de toutes les
playlist de bon goût, voilà enfin le retour tant attendu des enfants prodiges de New York.
Si l’on cite souvent
Erik Malave comme porte-drapeau du groupe, ses passages au sein d’
IMPERIAL TRIUMPHANT et d’
ARTIFICIAL BRAIN asseyant effectivement une solide réputation, les trois autres frapadingues qui l’accompagnent sont eux aussi des musiciens très au-dessus du lot, tant en termes de technique pure que d’inventivité. Et cette inventivité, la bande va l’étaler de façon magistrale tout au long des presque trente-huit minutes que durent les dix compositions d’«
Exhaust ». Le processus créatif de l’album est à ce titre intéressant, les membres expliquant que pour contrer la panne d’inspiration qu’ils connaissaient à la suite de la pandémie, ils se sont enfermés dans une cabane du nord-est rural de la Pennsylvanie avec leurs instruments, des champignons hallucinogènes et des mauvais films. Le résultat, je ne sais comment le décrire si ce n’est en comparant les dix compositions à des
bad trip invoquant
Mike Patton,
HUNAB KU (pas le groupe de
black costaricain),
THE DILLINGER ESCAPE PLAN,
DEATHSPELL OMEGA,
GORGUTS évidemment, l’incroyable
GIGAN… Mais quand bien même l’on mélangerait tout cela, le mystère de la musique de
PYRRHON ne serait pas pour autant élucidé. Car oui les mecs nous assènent de monstrueuses pièces de
jazz tech death metal expérimental, le chant oscillant entre le
growl profond et des hurlements démentiels (« First as tragedy, Then as Farce » ; « Luck of the Draw » ; « Stress Fractures ») mais comment expliquer la folie pure d’un « Out of Gas », soit cinq minutes d’hallucinations auditives avec le bassiste en descente qui bloque sur les quatre même notes, le guitariste qui viole sa guitare, le batteur qui répète ses gammes de jazz et le chanteur qui part dans une espèce de
spoken word bizarre avant que tout ne s’emballe dans un délirium musical qui pourrait rendre
John Zorn jaloux ? On les entend bien là les champis, c’est sûr, la schizophrénie aussi.
Un tel bordel pourrait s’avérer abscons, voire évoquer une approche dadaïste de la composition dans cette volonté de systématiquement briser les conventions, de faire abstraction de toute norme instrumentale afin de revendiquer une liberté débridée et absolue, avec quelque part l’héritage de
Franck Zappa et de tous les dynamiteurs de l’ordre établi. Et même si parfois l’ensemble peut paraître trop fumé, trop expérimental, trop incompréhensible, la volonté d’exploration, d’atteindre la connaissance par les gouffres (merci
Henri Michaux) donnant occasionnellement le sentiment qu’elle s’acquiert au détriment de notre cher
death metal technique, il demeure qu’«
Exhaust » s’avère finalement peut-être plus abordable de prime abord que «
What Passes for Survival » ou le plus récent «
Abscess Time », qui se montraient plus féroces et moins dans une expression qui se rapprocherait aujourd’hui du
mathcore de
TDEP déjà cité ou de
DAUGHTERS, tout en allant en dernière instance bien au-delà de ce que ces derniers n’ont fait qu’effleurer du doigt et en restant toujours du bon côté de la frontière
metal.
À ce stade de mes écoutes répétées, et même si le disque est encore tout jeune, je vois dans ce cinquième LP l’un des albums de l’année, si ce n’est l’album de l’année tant il s’avère transgenre, enfonçant toute concurrence que le groupe n’a de toute façon pas compte tenu des hautes sphères où il évolue. Et si je ne mets pas 10 immédiatement, c’est juste pour laisser le temps faire son œuvre et confirmer que dans six mois, deux ans, dix ans, ce disque sera toujours autant surréaliste, imperméable aux époques, aux mouvements de mode et toujours aussi peu discutable dans sa perfection outrancière.
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